Mesurer les émissions polluantes du transport maritime

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EMINAV

Si les émissions polluantes des véhicules routiers sont aujourd’hui bien encadrées, ce n’est pas le cas dans le monde maritime, avec de nombreux carburants, types de motorisation, réglementations en fonction des zones de navigation… Le projet EMINAV, financé par l’Ademe à hauteur de 258 000 € pour une durée de 3 ans, vise à évaluer de façon la plus complète possible les émissions polluantes liées au transport maritime. Entretien avec Aurélie Joubert, chercheuse à IMT Atlantique, partenaire du projet.

EMINAV va renforcer le projet CAPNAV déjà engagé par le consortium. À quels besoins répondent-ils ?

Aurélie Joubert – Malgré l’introduction de limitation de teneur en soufre des carburants marins et la définition de zones de contrôle des émissions de soufre (zones SECA) par l’Organisation Maritime Internationale, les émissions particulaire et gazeuse des navires demeurent un enjeu sanitaire et environnemental majeur en particulier dans les zones portuaires. La contribution du transport maritime aux émissions de particules fines PM 2,5 aurait augmenté de 45% en mer Méditerranée sur la période 2006 à 2020.

À lire : Quèsaco les particules fines ?

Il existe des solutions technologiques pour limiter les rejets atmosphériques : les systèmes de dépollution tels que les scrubbers (laveurs), efficaces en particulier pour diminuer les rejets de SOx, ou encore les moteurs GNL (gaz naturel liquéfié) permettant de réduire les émissions des principaux polluants (particules fines, SOx, NOx et CO2) mais susceptibles d’émettre dans l’atmosphère des imbrulés de méthane, puissant gaz à effet de serre. L’emploi de solution d’additifs au carburant, déjà validée dans le secteur du transport routier poids lourds, est également une solution.

Il y a aujourd’hui un réel besoin de quantifier les émissions polluantes des navires en distinguant les périodes de régime moteur pleine charge ou pendant les manœuvres dans les ports et d’évaluer le gain apporté par des solutions technologiques en termes de rejets atmosphériques.

Quel est l’objectif d’EMINAV ?

AJ – Le projet EMINAV vient renforcer le projet CAPNAV en cours, sur la caractérisation des particules fines émises par le transport maritime, à la fois sur de la propulsion classique diesel et sur un moteur GNL. Le projet EMINAV vise à étendre l’analyse des rejets dans l’atmosphère à l’ensemble des polluants. Ce projet va permettre d’approfondir les connaissances sur la nature et la concentration des polluants gazeux et particulaires émis par le transport maritime, avec en particulier, une quantification des émissions en polluants gazeux de type NOx, SOx, CO et méthane pour la motorisation GNL et de type BTEX et HAP.

Quelles technologies vont être utilisées pour atteindre cet objectif ?

AJ – Des campagnes de mesure sont réalisées sur des bateaux des compagnies Penn Ar Bed (motorisation classique avec et sans solution additive dans le carburant) et Brittany Ferries (moteur GNL), partenaires du projet, en prélevant et analysant les fumées directement à l’échappement. Considérant l’impact sanitaire et environnemental des émissions en particules fines et composés gazeux, il apparait nécessaire d’analyser les émissions réelles en conditions d’usage.

La ligne de prélèvement et le système de dilution/refroidissement des gaz prélevés alimentent simultanément des analyseurs de gaz (EMINAV) et de particules (CAPNAV), ainsi que des filtres et cartouches de prélèvement pour une caractérisation chimique au laboratoire. Les niveaux d’émission sont corrélés aux paramètres du navire, et de l’environnement. On s’intéresse en particulier à l’impact des manœuvres en zone portuaire sur les émissions.

Quelle expertise apportent les chercheurs d’IMT Atlantique ?

AJ – Le rôle d’IMT Atlantique dans le projet EMINAV est de caractériser les composés organiques volatiles ou semi-volatiles (tels que les HAP) émis. Une partie des COV contenus dans les fumées est déjà mesurée dans le cadre du projet CAPNAV : il s’agit des composés organiques les plus lourds adsorbés puis condensés à la surface des particules tel que le triméthylbenzène.

La méthodologie implique le prélèvement des suies émises à la cheminée par principe de filtration, en distinguant les périodes de régime moteur pleine charge en mer ou pendant les manœuvres dans les ports. L’analyse se fait ensuite au laboratoire par extraction des molécules à l’aide d’un solvant et analyse par chromatographie gazeuse couplée à un spectromètre de masse (GC-MS).

Dans le projet EMINAV, la part des COV les plus légers non condensés sera mesurée, tels que le benzène et le toluène, qui seront prélevés et/ou analysés en phase gazeuse par deux moyens : une analyse directe à travers l’utilisation d’une baie micro-GC et une analyse indirecte qui se fera par prélèvement actif sur des cartouches adsorbantes puis analyse au laboratoire via un GC-MS.

À lire : Quèsaco un composé organique volatil (COV) ?

Qui sont vos partenaires et quel est le rôle de chacun ?

AJ – Le consortium est composé de 7 partenaires. Le projet est piloté par Benoit Sagot, enseignant-chercheur à l’ESTACA, une école d’ingénieurs dans le secteur des transports (aéronautique, automobile, ferroviaire, spatial, naval). En plus d’IMT Atlantique, une troisième école fait partie du consortium, l’ENSM (École Nationale Supérieure Maritime). Les deux armateurs, Penn Ar Bed et Brittany Ferries, mettent à disposition des navires pour la réalisation des campagnes expérimentales. Le constructeur Les Chantiers de l’Atlantique (partenaire non financé) apporte son expertise du secteur. Le porteur d’innovation, BEE Distribution, propose une solution additive ajoutée dans le carburant pour réduire les émissions.

Quels sont les résultats attendus ?

AJ – Les résultats attendus sont tout d’abord techniques puisqu’il s’agit dans un premier temps d’améliorer les connaissances sur les émissions des navires mais aussi de définir une méthodologie expérimentale validée et robuste pour la mesure en condition d’usage des émissions gazeuses et particulaires.

Il s’agit aussi d’apporter une contribution pour le calcul des facteurs d’émission employés dans les inventaires grâce à l’approche de mesure dynamique, qui permettra d’accéder à un zonage des émissions. Les retombées visent aussi l’établissement de recommandations pour les personnels navigants sur l’impact de l’usage sur les émissions.

Enfin, la quantification des gains effectivement obtenus en termes d’émissions de polluants gazeux et particules fines, avec deux solutions très différentes (GNL et solution additive) sont des éléments stratégiques pour définir l’orientation des futurs navires plus vertueux en termes d’émissions.

Quelle est la prochaine étape importante du projet ?

AJ – Les prochaines étapes de travail visent à consolider les résultats obtenus sur le bateau fonctionnant à motorisation classique et avec solution additive via la réalisation de prochaines campagnes de mesure sur le Fromveur 2 de la Penn Ar Bed. Puis une première campagne de mesure sera réalisée à l’automne 2022 sur le bateau Salamanca de Brittany Ferries fonctionnant avec une propulsion GNL (gaz naturel liquéfié).

Propos recueillis par Véronique Charlet

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