Des modèles plus intelligents de l’océan

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Photographie de l'océan

L’océan est un système difficilement observable, dont nous connaissons encore assez mal la biodiversité et les phénomènes physiques. Pour mieux comprendre cet environnement, l’intelligence artificielle pourrait être un atout. Ronan Fablet, chercheur à IMT Atlantique, présente les projets de la nouvelle chaire de recherche Océanix. Son objectif ? Utiliser l’IA pour optimiser les modèles d’observations de l’océan.

 

Plus de 70 % de la surface de notre planète est occupée par les océans et les mers. Un système colossal que nous connaissons assez mal. L’expédition TARA a découvert des centaines de millions d’espèces de planctons jusque-là inconnues, car notre capacité à explorer le fonds des océans reste limitée. Il en est de même avec l’observation des phénomènes physiques, tels que les dynamiques des courants océaniques par exemple, en surface ou en profondeur.

Pourtant, la compréhension des dynamiques océaniques est essentielle pour avoir une bonne vision des aspects écologiques, de la biodiversité et des écosystèmes. Mais contrairement à l’atmosphère que l’on peut observer plus directement, il est difficile d’étudier l’océan. Les technologies spatiales offrent une certaine visibilité de la surface des océans, notamment les courants de surfaces et les vents, mais restent aveugles en profondeur. De plus, les satellites en orbite capturent des images en passant au-dessus de certaines zones mais ne peuvent fournir une observation instantanée de l’ensemble du globe, et la présence de nuage peut cacher la visibilité des océans. Quant aux balises et bouées, certaines récupèrent des informations jusqu’à 2 000 mètres de profondeur, mais cela reste très ponctuel.

L’IA pour voir l’inconnu

« Aucun système d’observation ne permet d’avoir une image des océans tout autour du globe partout et tout le temps à haute-résolution » indique Ronan Fablet, chercheur en signal et communication à IMT Atlantique. « Et même d’ici plusieurs décennies je ne pense pas que cela soit possible, si l’on se repose sur des observations physiques ». La solution ? L’intelligence artificielle. L’IA permettrait en effet d’optimiser les systèmes d’observation, et de reconstruire, à partir des données observées, les données encore manquantes. C’est pour creuser cette piste que Ronan Fablet a lancé la chaire Océanix à IMT Atlantique en collaboration avec de nombreux partenaires institutionnels (CNES, École Navale, ENSTA Bretagne, Ifremer, IRD, ESA) et industriels (Argans, CLS, e-odyn, ITE-FEM, MOi, Microsoft, NavalGroup, ODL, OceanNext, Scalian).

L’apprentissage est une manière d’estimer des paramètres pour avoir la meilleure prédiction d’une inconnue, par exemple à un temps futur. Cela fonctionne comme les modèles de reconnaissance d’images : « nous allons nourrir le modèle avec beaucoup d’images de chiens par exemple, pour qu’il apprenne à les reconnaître » vulgarise Ronan Fablet. « La différence c’est que nous travaillons sur des systèmes avec de plus grandes dimensions, et des images de l’océan ».

Imaginons une pollution pétrolière. Pour savoir comment ce pétrole va dériver dans l’océan dans les jours qui suivent, les chercheurs vont avoir recours à des simulations basées sur des modèles physiques liés à la dynamique des fluides. « Ces modèles sont soit difficiles à résoudre, soit difficiles à calibrer, et peuvent nécessiter des paramètres inconnus » précise le chercheur. Les techniques de machine learning devraient alors permettre de développer des modèles numériques plus compacts, et donc plus rapides en simulation. Grâce à cela, il deviendrait plus facile de simuler les processus physiques mis en jeu dans la dérive d’une nappe de pétrole.

À lire sur I’MTech : La pollution pétrolière en mer s’observe depuis l’espace

Cela est aussi valable pour obtenir de meilleures représentations de la variabilité du climat, qui fait appel à de très grandes temporalités. « L’objectif est d’utiliser les données à disposition aujourd’hui, et de les coupler à des techniques de machine learning pour découvrir les informations manquantes, pour mieux comprendre la situation demain ».

Mieux voir les routes maritimes

L’optimisation des modèles et la reconstruction des données ont aussi un grand intérêt dans la surveillance du trafic maritime. Des applications possibles sont la détection de comportements anormaux, comme un bateau de pêche qui change de route ou qui s’arrête ; ou le comportement illicite d’un bateau entrant dans une zone restreinte. « Il n’est pas imaginable d’instrumenter toute une route maritime comme nous le ferions avec une autoroute pour surveiller le trafic. L’observation repose donc sur d’autres technologies du domaine spatial » précise le chercheur.

Dans le domaine du trafic maritime, il y a deux types d’informations principales : les signaux AIS (Automatic Identification System) et l’imagerie satellite. Tout navire de transport maritime se doit de transmettre un signal AIS pour le localiser, mais typiquement un navire qui ferait du trafic de marchandises est en capacité de le couper. L’imagerie satellite permet entre autres d’observer si les navires ayant navigué dans une zone ont bien émis ou pas, en comparant l’image avec les signaux AIS.

Ce type d’étude sur les comportements anormaux liés au signaux AIS était le sujet du projet ANR Astrid Sesame. « Nous avons appliqué des réseaux de neurones particuliers sur des donnés en apprentissage, notamment sur la zone ouest Bretagne, pour apprendre ce qu’est le comportement normal des navires » annonce Ronan Fablet. Le but est alors d’identifier les comportements qui s’éloignent de cette normalité, qu’ils soient peu fréquents ou de très faible probabilité. Un événement anormal transmettrait une alerte à un logiciel de surveillance pour déterminer si des actions spécifiques sont nécessaires, comme l’envoi d’une patrouille.

Les applications de l’intelligence artificielle en océanographie se développent de manière plus importante aujourd’hui car la capacité à établir des liens entre réseaux de neurones et modèles mathématiques utilisés en océanographie deviennent plus explicites et plus faciles à mettre en œuvre. La chaire Océanix d’IMT Atlantique rassemble des établissements spécifiques aux aspects d’intelligences artificielles et d’autres plutôt portés sur l’océanographie.

Certaines équipes connaissent des collaborations depuis plusieurs années, c’est le cas de l’Ifremer avec IMT Atlantique. Ces études permettront d’apporter des réponses là où les modèles analytiques ne le peuvent pas et d’accélérer fortement des calculs. Ronan Fablet ajoute que « le Graal pour nos équipes serait de pouvoir identifier de nouvelles lois pour des processus physiques, biogéochimiques ou écologiques. D’être capables d’identifier de nouveaux modèles directement à partir des données, des représentations correspondant à une loi générale ».

 

Tiphaine Claveau pour I’MTech

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