Explosion d’un camion de gaz à Fillinges : comment éviter une nouvelle catastrophe ?

, ,

Tribune rédigée par Frédéric Heymes, professeur en risques industriels à IMT Mines Alès.

Un accident de poids lourd a eu lieu le 20 janvier 2023 vers 8H00 dans la vallée du Giffre (Haute-Savoie) et a donné lieu à une importante explosion. Deux zones d’habitations et une dizaine de maisons ont été impactées par l’explosion. Le bilan provisoire fait état de 21 personnes impliquées dont 2 blessés sérieux hospitalisés.

Selon la préfecture de Haute-Savoie, l’origine de l’explosion faite suite à l’incendie du véhicule tracteur du camion-citerne de gaz. Cet incendie a provoqué une surchauffe de la citerne et son explosion. Qu’est-il passé ? Peut-on éviter ce genre d’accident ?

Que s’est-il passé ?

Le camion qui a explosé transportait un mélange de propane et de butane appelé GPL (gaz de pétrole liquéfié). Ce mélange provient des raffineries, la composition est variable et dépend de son utilisation (réservoirs de gaz domestiques ; bouteilles de gaz, GPL carburant). Pour transporter une quantité suffisante par camion il est nécessaire de liquéfier ce gaz. En effet, sous forme gazeuse et à pression ambiante, un camion de 10 m3 ne pourrait transporter que 18 kg de gaz alors que sous forme liquide il peut en transporter plus de 4 tonnes. La liquéfaction de ce gaz est obtenue par mise sous pression, typiquement de l’ordre de 7 bars à 15 °C. Les camions de GPL (qu’on peut aussi appeler propane quand il est très riche en propane) contiennent donc du gaz liquéfié et sous pression.

Lorsque la température du liquide monte, par exemple sous l’effet de la chaleur lors d’un incendie, la pression monte également et peut atteindre une valeur à laquelle le réservoir ne résiste plus. Il cède et libère l’énergie sous forme d’une explosion. C’est une explosion très spécifique qu’on appelle le BLEVE.

Le BLEVE, une explosion spécifique

Le BLEVE est un acronyme anglais qui signifie Boiling Liquid Expanding Vapor Explosion (Expansion explosive de la vapeur d’un liquide en ébullition). Ce qui est fondamental dans le cas d’un BLEVE, c’est qu’il ne s’agit pas d’une explosion liée à une réaction chimique. Dans le cas des explosifs solides (TNT par exemple) ou de l’inflammation d’un gaz, c’est la combustion très rapide de la matière qui libère l’énergie sous forme d’explosion : c’est une explosion chimique. C’est ce qui se passe lorsqu’une fuite de gaz naturel dans un immeuble est enflammée et provoque une explosion.

Dans le cas d’un BLEVE, on parle d’explosion physique. Il n’est pas nécessaire d’avoir une inflammation de la matière contenue dans le réservoir pour observer ce phénomène. Certaines matières comme le chlore gazeux liquéfié par exemple ne sont pas combustibles et peuvent donner lieu à un BLEVE.

Pour bien comprendre ce type d’explosion, il faut savoir qu’une explosion est créée par une augmentation locale et très rapide de la pression, qui se propage ensuite sous forme d’une surpression aérienne dans toutes les directions de l’espace. Cette surpression diminue progressivement avec la distance et finit en simple bruit.

Dans le cas d’une explosion chimique, c’est la combustion qui crée beaucoup de gaz de combustion à très haute température dans un temps tellement court que les gaz n’ont pas le temps de s’évacuer : il s’ensuit une augmentation de pression locale qui va se propager.

Dans le cas d’une explosion physique la pression vient le plus souvent du fait que la pression était déjà présente avant l’accident. C’est le cas de bouteilles d’air comprimé par exemple, ou tout simplement un pneu de vélo. Lorsque le confinement cède, la pression est libérée sous forme d’une onde de surpression aérienne.

Pourquoi une explosion si puissante ?

Le BLEVE est une explosion physique, mais qui présente une spécificité qui explique la puissance de cette explosion. En effet, si l’on revient à l’accident de Fillinges, le propane liquide dans le réservoir était monté à une température plus élevée mais l’état liquide était maintenu car le réservoir intact permettait de monter en pression. Le propane était en équilibre avec sa vapeur.

Le retour d’expérience montre que la rupture du réservoir survient le plus souvent sur la partie supérieure. En effet, le métal de la partie inférieure du réservoir est en contact avec le liquide qui a un effet de refroidissement du métal par l’intérieur, ce que la vapeur ne permet pas en partie supérieure. A partir du moment où le réservoir a cédé, la pression a chuté brutalement et le propane liquide chaud s’est retrouvé proche de la pression atmosphérique. Le liquide était alors en dehors de son équilibre thermodynamique et s’est mis à bouillir violemment pour retourner à l’état gazeux (qui est l’état stable du propane chaud et à pression atmosphérique). Cette production rapide de vapeur de propane contribue à l’augmentation de pression locale et à la surpression aérienne.

Comme l’a montré l’accident de Haute Savoie, un BLEVE entraîne d’autres effets dévastateurs. En premier une boule de feu, lorsque le contenu du réservoir est libéré est inflammable. A Fillinges, le propane s’est enflammé et a créé cette impressionnante boule de feu visible à plusieurs kilomètres. Les effets thermiques d’une boule de feu sont importants, et peuvent provoquer des brûlures et des incendies par effet domino. Mais la caractéristique la plus marquée pour un BLEVE est la propagation de fragments de réservoir à des distances très importantes. En effet, la vaporisation violente du liquide peut projeter des fragments à plus d’un kilomètre, par effet fusée, dépassant les distances d’effet de la surpression aérienne et du rayonnement thermique de la boule de feu.

En résumé, à Fillinges, l’incendie du véhicule tracteur a provoqué la montée en température et pression du propane liquide, qui suite à la rupture du réservoir a donné lieu à un BLEVE. A ce moment, une onde de surpression aérienne a été créée et des fragments ont été projetés. Puis, le propane libéré a été enflammé par l’incendie initial et a créé la boule de feu très visible qui s’est élevé à la verticale. Cette boule de feu n’était pas une explosion mais a eu des effets thermiques dans les environs du camion.

D’autres cas d’explosions dans le passé

Le BLEVE est malheureusement un accident industriel survenant avec une fréquence non négligeable. En France, des camions de GPL ont explosé à Bassens en 2016, à Port la Nouvelle en 2010, à Dagneux en 2007 et à La Roche-Bernard en 2003. A l’étranger, c’est l’accident de Bologne en 2018 qui a marqué les mémoires. Dans tous ces cas, c’est un incendie préalable qui a conduit au BLEVE.

À Bologne, une énorme explosion d’un camion-citerne fait au moins un mort et 68 blessés/BFM TV.

A Bologne, en plus des conséquences classiques observées à Fillinges, l’explosion du camion a également détruit le pont sur lequel il se trouvait. C’est une conséquence plutôt rare et très peu examinée par des travaux de recherche.

Comment éviter un BLEVE ?

Le BLEVE de propane est le cas le plus fréquent. Ce gaz étant également inflammable, le transport de ce gaz est soumis à la réglementation TMD (transport de matières dangereuses) au titre de la pression et du caractère inflammable. Cette règlementation est internationale et s’inscrit dans le code ADR (Accord relatif au transport international des marchandises Dangereuses par Route) sous l’égide de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (UNECE).

Il existe deux méthodes principales pour réduire le risque qu’un BLEVE ne se produise. Il s’agit de protéger le réservoir du feu et limiter la montée en pression. Sur les sites industriels fixes de nombreux dispositifs œuvrent selon ces deux méthodes et ce risque est devenu très rare dans les pays avec une culture de sécurité poussée comme la France.

[À lire sur I’MTech : Comment évaluer le risque industriel ?]

Le cas du transport de matières dangereuses est plus délicat, du fait du nombre d’accidents routiers, de la variété des cas et de la nécessité de tenir compte du fait que le réservoir est placé sur un camion et non dans un site industriel. Les accords ADR sont en constante amélioration et la recherche de nouveaux moyens de réduction du risque adaptable aux camions citerne est au cœur de la préoccupation de l’UNECE. Le cas de l’incendie du véhicule tracteur est un scénario très étudié actuellement.

A titre individuel, en cas d’incendie impactant un camion-citerne contenant un gaz liquéfié, il existe un temps avant l’explosion, qui peut varier de quelques secondes à quelques dizaines de minutes et pendant lequel on peut réagir. Il faut se protéger, on peut conseiller de se mettre derrière un obstacle qui protègera des fragments et du rayonnement thermique (mais pas de la surpression aérienne) ou à défaut se coucher au sol les pieds en direction du camion et la face contre terre. Fuir ou se protéger, tout est question de distance, de temps restant et de possibilité de se protéger. En étant au sol il est possible de s’éloigner en rampant. Le temps restant avant explosion étant une inconnue, il faut donc considérer que le réservoir peut exploser à tout moment. Il faut noter que l’explosion n’est pas systématique, cela dépend de l’intensité et de la durée de l’incendie qui impacte le camion.

Le BLEVE est un phénomène physique très complexe de changement de phase et d’interaction fluide-structure qui donne encore lieu à de nombreux travaux de recherche, notamment pour prédire les conséquences en champs proche et réduire la violence de l’explosion. Des essais réalisés à IMT Mines Alès (Laboratoire des Sciences des Risques) sont en cours afin d’étudier le changement de phase explosif de liquides en état de surchauffe.

Ces travaux que je mène, permettent d’avancer sur la compréhension du mécanisme de vaporisation explosive et d’en tirer à la fois des outils de modélisation des conséquences mais aussi de tester différentes stratégies de prévention et de protection.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons dans le cadre d’un partenariat avec l’Institut Mines-Télécom. Lire l’article original.

Pour aller plus loin :

1 réponse
  1. Franck SCHMITT dit :

    La source du feu semble être un départ de feu dans le compartiment moteur. L’évolution de la réglementation (ADR, Accord international pour le transport de marchandises dangereuses par route) en 2023, prévoit la mise en place de moyens d’extinction automatique pour les prochains véhicules homologués. Le renforcement de la protection thermique du réservoir est aussi une piste, comme la protection des réservoirs de carburant qui sont des contributeurs non négligeables à la puissance de l’incendie.

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *