Incendie de Notre-Dame de Paris : quelles conséquences sur la structure de l’édifice ?

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L’incendie ayant frappé Notre-Dame de Paris en 2019 a détruit une partie de l’édifice. Mais dans quelle mesure la structure restante a-t-elle été fragilisée ? Le projet DEMMEFI vise à prédire les performances mécaniques post-incendie de bâtiments tels que la cathédrale parisienne, via des modèles numériques. Une équipe d’IMT Mines Alès a contribué à la partie expérimentale du projet, à travers la réalisation d’essais sur des matériaux analogues à ceux du monument.

Le 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris était victime d’un incendie majeur, endommageant sévèrement l’édifice. Au-delà de l’émotion suscitée par l’événement, se posait rapidement la question de la reconstruction des portions détruites et de l’impact de l’incendie sur les structures encore debout. Un sujet complexe, étant donné que le monument présente une grande valeur patrimoniale et qu’il est prévu pour recevoir régulièrement du public. Ainsi, comment évaluer les conséquences de l’incident sur la structure du bâtiment et sur ses propriétés mécaniques ?

Le projet ANR DEMMEFI entend développer une méthodologie permettant d’établir un diagnostic structurel post-incendie, en s’appuyant notamment sur des méthodes prédictives de modélisation numérique. Il regroupe des scientifiques de trois laboratoires publics (I2M, LMDC et LMGC[1]), dont une équipe d’IMT Mines Alès composée de deux chercheurs, Marie Salgues et Stéphane Corn, et d’un ingénieur de recherche, Florian Stratta.

« Le cadre du projet s’étend au-delà de Notre-Dame de Paris, qui fait plutôt office de cas d’application intéressant », précise Marie Salgues. « De manière générale, notre objectif est d’évaluer les performances mécaniques résiduelles post-incendie de n’importe quelle structure maçonnée. » Autrement dit, de tout bâtiment ou ouvrage constitué de pierres et de mortier.

IMT Mines Alès apporte sa pierre (expérimentale) à l’édifice

Modéliser un édifice aussi complexe que la cathédrale parisienne s’avère évidemment d’une grande complexité. C’est pourquoi le projet DEMMEFI se divise en plusieurs étapes. Des premières observations ont ainsi été effectuées sur place, comme l’explique Stéphane Corn : « Des équipes ont procédé à différentes auscultations à l’intérieur de l’édifice. Par exemple, selon la couleur actuelle des pierres, il est possible de déterminer les températures auxquelles elles ont été exposées. » Des petits prélèvements ont également permis de déterminer la nature des pierres et le type de mortier utilisés au sein de l’ouvrage.

Ces observations préliminaires ont servi de point de départ aux travaux expérimentaux menés à IMT Mines Alès, dans le cadre d’une thèse de doctorat menée par Colin Guenser et co-encadrée par les deux chercheurs de l’école. Leur objectif : conduire en laboratoire des expérimentations reproduisant les contraintes thermiques et mécaniques exercées sur la structure de Notre-Dame de Paris pendant l’incendie – à partir des informations recueillies sur place – afin d’en évaluer l’incidence sur les propriétés mécaniques et thermophysiques des matériaux. Des données servant ensuite à alimenter des modèles numériques capables, à terme, d’établir des prédictions fiables sur la santé structurelle des édifices.

Néanmoins, pour que cette phase expérimentale soit pertinente, encore fallait-il disposer de matériaux similaires à ceux du monument. « Nous avons travaillé sur une pierre se rapprochant de celle employée à Notre-Dame – du calcaire lutétien – extraite d’une carrière de la région parisienne », indique Marie Salgues. « Nous nous sommes également appuyés sur des études détaillant la formulation du mortier utilisé pour bâtir la cathédrale, et nous en avons fabriqué un reprenant ces caractéristiques. » Et ce, en employant des techniques de fabrication anciennes, afin de se rapprocher au plus près des propriétés des matériaux de la cathédrale.

Essais thermiques et mécaniques

L’équipe de recherche disposait alors de deux types d’échantillon, de pierre d’un côté, de mortier de l’autre, sur lesquels elle a conduit une série d’expérimentations. Il s’agissait premièrement d’essais thermiques, afin de mesurer la conductivité des matériaux. « Le but de ces tests est d’estimer la température atteinte au cœur de la matière pendant l’incendie et de comprendre comment la chaleur se propage dans l’édifice », développe Stéphane Corn. L’idée était de recréer ces conditions en laboratoire, en utilisant des fours, et d’étudier l’évolution des propriétés mécaniques des échantillons une fois refroidis, après exposition à des températures allant jusqu’à 600 °C.

Pour cela, les matériaux ont fait l’objet de divers essais mécaniques, tels que des tests de résistance en compression et en flexion. « De manière générale, le principe est d’appliquer progressivement une force sur l’échantillon et de mesurer la déformation associée », résume Marie Salgues. « Cela nous permet notamment de quantifier la rigidité du matériau, ainsi que son point de rupture, dans les zones où il est comprimé ou même étiré. » Des informations qui aident à caractériser les performances mécaniques résiduelles de la pierre et du mortier, et leur dépendance à la température appliquée.

Ces différents essais sont, par nature, destructifs : les échantillons sont soumis à une force jusqu’à leur rupture. Mais en parallèle, l’équipe d’IMT Mines Alès a mené un autre type d’expérimentation : le suivi, par « analyse modale impulsionnelle », de la rigidité des pierres en fonction de la température d’exposition. « Il s’agit d’appliquer un léger impact sur l’échantillon afin de le faire résonner », explique Stéphane Corn. « Ses fréquences de vibration dépendent de ses dimensions, mais aussi de sa rigidité. Ainsi, via un accéléromètre ou un micro, nous captons ces fréquences de résonance, à partir desquelles nous pouvons déduire la rigidité du matériau, grâce à un modèle de calcul mécanique. » Cette approche non destructive permet alors d’effectuer des tests dynamiques et d’exposer un même échantillon à différentes températures, en suivant la perte de rigidité et donc l’endommagement associé.

De l’expérimentation à la modélisation

Cette phase expérimentale sur échantillons du projet DEMMEFI s’est achevée à la fin de l’année 2022. Elle a abouti à une caractérisation mécanique précise d’une pierre et d’un mortier équivalents aux matériaux employés pour la construction de Notre-Dame de Paris, en fonction de la température. Il faut désormais pouvoir transposer ces résultats à l’échelle de l’édifice : c’est l’objectif de la modélisation numérique, en cours de réalisation par Colin Guenser avec l’équipe du LMDC de Toulouse qui co-encadre sa thèse de doctorat. « Ce travail va s’effectuer de façon progressive », ajoute Marie Salgues. « Il s’agit premièrement d’étudier une portion de maçonnerie un peu plus grande, par exemple un mur représentatif de l’élément constructif considéré. Ensuite, l’examen se portera sur des structures plus complexes, telles que des voûtes ou des piliers, jusqu’à l’étude de l’architecture complète de l’édifice. »

En parallèle des travaux de modélisation sont également menées, au LMDC de Toulouse et à l’I2M de Bordeaux, des expérimentations complémentaires à celles réalisées à IMT Mines Alès. Cette fois, il ne s’agit plus d’étudier la pierre et le mortier séparément, mais un assemblage des deux. « Le but est de suivre les propriétés mécaniques de l’ensemble, en particulier à l’interface », souligne Stéphane Corn. « Et cela permet aussi de tester la pertinence du modèle de calcul, en confrontant les prévisions aux résultats expérimentaux. » De même, les chercheurs s’appuient sur la littérature scientifique et des essais menés dans le cadre d’autres études, afin de vérifier la performance de leur modèle.

Des informations clés pour les travaux de restauration

À terme, le projet DEMMEFI va donc fournir une méthodologie et des outils aidant à optimiser la restauration d’un édifice post-incendie. Les ingénieurs pourront, par exemple, s’en servir pour identifier les zones présentant des contraintes élevées ou des performances significativement altérées, afin de déterminer les travaux de maintenance adaptés à chaque portion.

Avec une première mise en œuvre sur la reconstruction de Notre-Dame de Paris ? « Le chantier semble aller plus vite que les travaux de recherche », tempère Marie Salgues. « Le projet DEMMEFI doit s’achever en 2025, alors que le monument est censé rouvrir au public en 2024. La cathédrale constitue donc davantage un cas d’étude intéressant et emblématique qu’un véritable objectif d’application concrète des résultats. » Qu’à cela ne tienne, la méthodologie développée par les chercheurs pourra aider à restaurer, de façon sûre, tout édifice maçonné victime d’un incendie.

Par Bastien Contreras.

[1]I2M : Institut de Mécanique et d’Ingénierie
   LMDC : Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions
   LMGC : Laboratoire de Mécanique et Génie Civil

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