Semaxone garde un œil (et une oreille) sur le niveau de stress des pilotes d’avion
En vol, un pilote d’avion doit être capable de prendre rapidement les bonnes décisions. Une lucidité difficile à conserver dans un environnement souvent stressant… Semaxone, start-up présente à VivaTech 2022 avec l’IMT, entend surveiller l’état cognitif des pilotes, à travers l’étude de leur débit sanguin cérébral, mais aussi l’analyse de leur voix.
Les pilotes d’avion, de ligne comme de chasse, doivent souvent gérer des situations complexes, voire critiques, parfois de façon urgente. Une activité rendue plus difficile par les conditions extrêmes dans lesquelles ils évoluent.
La charge mentale du pilote
Lors d’un vol, en plus de l’alimentation artificielle en oxygène liée à l’altitude, les pilotes sont soumis à d’intenses accélérations verticales, pouvant aller jusqu’à 10 g — c’est-à-dire dix fois l’effet de la pesanteur à la surface de la Terre. Dans une telle situation, l’individu a ainsi la sensation d’avoir son poids multiplié par dix. Cette accélération entraîne des variations dans la répartition du sang au sein du corps. Lorsque le cerveau est affecté, il devient beaucoup plus difficile de prendre des décisions, voire simplement de rester conscient. En effet, à partir de 4 ou 5 g, le pilote peut être soumis à une perte de vision, voire de connaissance.
De plus, en cas d’incident, les appareils de l’avion peuvent eux-mêmes générer du stress, en émettant de multiples alarmes simultanées. Le pilote doit alors traiter cette masse d’informations et comprendre d’où vient le problème, tout en maintenant l’aéronef en vol. De quoi mettre à mal les capacités cognitives de l’individu. « Le facteur humain et la capacité à maintenir ses ressources cognitives, notamment en réaction à une panne ou une situation anormale, sont centraux pour la sécurité des vols », résume Guilhem Belda, fondateur de la start-up Semaxone.
Analyse de sang
La jeune entreprise incubée à IMT Mines Alès développe des algorithmes visant à détecter des variations de l’état physique ou cognitif chez les pilotes. « Notre objectif n’est pas de livrer des mesures absolues de stress ou de fatigue », précise Guilhem Belda. « Nous étudions plutôt l’évolution de la capacité cognitive des individus à répondre à diverses situations en vol, une aptitude elle-même influencée par le stress, la fatigue, la surcharge d’informations, etc. » Avec l’ambition, in fine, d’aider les pilotes à mieux gérer leurs vols (voir encadré vidéo en fin d’article). En collaboration avec les chercheurs d’IMT Mines Alès, le centre de recherche EuroMov DHM et le Laboratoire Informatique d’Avignon (LIA), Semaxone concentre ses analyses autour de deux axes majeurs.
Premièrement, l’entreprise développe des capteurs afin d’étudier l’évolution du débit sanguin, et donc de la concentration en oxygène, dans le cerveau, ainsi que l’activité de certaines zones cérébrales. Des mesures qui permettent d’observer les réactions opérées par le cerveau en fonction de la quantité d’oxygène. Pour cela, la start-up a recours à la spectroscopie proche infrarouge, une technique qui consiste à envoyer de la lumière infrarouge dans le crâne, afin d’en déduire le taux d’oxygène au niveau du cerveau. « Une technologie qui n’a rien de nouveau », concède l’ingénieur. « En revanche, l’innovation réside dans son utilisation en conditions extrêmes. »
La voix des airs
Deuxièmement, Semaxone s’intéresse à la voix des pilotes en vol. Un champ d’études plus riche qu’il n’y paraît. « Produire de la parole nécessite la mobilisation de multiples processus cognitifs, ainsi que d’un grand nombre de muscles », note le fondateur de la start-up. « Et les variations physiologiques affectent ces deux aspects. » L’idée est donc « d’écouter » le pilote, afin d’analyser ses émotions, ses hésitations, mais également sa respiration et le spectre de sa voix. Autant d’éléments qui peuvent témoigner d’une dégradation de l’état cognitif.
Néanmoins, le recueil de données en vol constitue un véritable défi. « Les conditions n’ont rien à voir avec celles en laboratoire », souligne Guilhem Belda. « Tout d’abord en raison des contraintes physiques sur les capteurs, qui doivent être légers et peu encombrants. Mais aussi à cause du bruit enregistré lors des prises de mesure. Comment savoir si les variations observées dans la voix sont dues au stress ou simplement à un mouvement ? » La start-up concentre ainsi une grande partie de ses efforts à l’isolation de ce bruit et à la fiabilisation des mesures physiologiques en environnement extrême.
Une IA à bâtir de zéro
Enfin, des modèles d’intelligence artificielle analysent les éléments relatifs à l’activité cérébrale et à la voix. Leur but : extraire de ce flux de données une « bibliothèque » de marqueurs physiologiques et identifier, parmi cette quantité d’informations, les signes annonciateurs d’une détérioration de l’état cognitif d’un pilote. « Notre idée n’est pas seulement de signaler un problème lorsqu’il survient, mais d’anticiper une éventuelle dégradation à partir d’indicateurs physiologiques », avance Guilhem Belda.
Plus précisément, Semaxone s’appuie sur des algorithmes de machine learning, qui nécessitent une phase d’apprentissage avant de pouvoir être utilisés en conditions réelles. Or, aujourd’hui, il n’existe pas de jeu de données exploitables sur les réponses cognitives des pilotes en vol. La start-up doit donc d’abord le construire ! « Avec nos partenaires, nous créons des expériences très contrôlées, où nous reproduisons en laboratoire les phénomènes qui nous intéressent », explique le fondateur de l’entreprise. « Et dans un second temps, nous réalisons des tests en situation réelle, via un simulateur ou un vol d’entraînement. Par exemple, nous avons étudié l’influence de l’accélération lors d’un exercice de voltige aérienne, ou soumis des pilotes à divers incidents dans un simulateur d’avion A320. »
L’entreprise profite de ces tests pour effectuer ses analyses, qui sont ensuite complétées par un processus d’enquête auprès des pilotes. Les réponses fournies par ces derniers, les informations recueillies durant le vol, ainsi que des indicateurs de performance (qualité des manœuvres, atterrissage…), permettent alors de qualifier les phénomènes observés et les réactions enregistrées. Un travail de longue haleine, mais indispensable avant toute application en pratique.
Pour l’aviation… et au-delà ?
De quelles applications est-il question ? Les analyses de Semaxone peuvent être exploitées de deux façons. Soit a posteriori par les pilotes eux-mêmes, lors de débriefings, d’entraînements ou dans le cadre de leur formation. Soit par les avionneurs, qui peuvent améliorer l’ergonomie de leurs appareils ou concevoir des fonctionnalités, par exemple d’alertes, à partir des informations produites par la start-up.
Avant de voir l’entreprise voler vers d’autres cieux ? « Nous avons déjà réfléchi à adapter notre solution à des secteurs tels que le nucléaire ou la chirurgie », annonce Guilhem Belda. « De façon générale, nous pensons pouvoir apporter de la valeur à toutes les activités nécessitant de mettre en pratique des compétences cognitives dans des situations extrêmes. »
Bastien Contreras.
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