Jean-Louis de Bougrenet : une nouvelle vision de l’Humain augmenté

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lentille de contact autonome

Développer des dispositifs de vision augmentée cyborg pour des applications civiles et militaires : c’est l’un des enjeux des recherches de Jean-Louis de Bougrenet, professeur à IMT Atlantique. Ses travaux sur l’acceptabilité des systèmes immersifs lui ont permis d’être pionnier dans l’élaboration de lentilles de contact instrumentées. Cette révolution technologique concerne aussi bien leur utilisation comme assistant pour la restauration visuelle, que la réalisation de systèmes de réalité augmentée fortement miniaturisés. Pour l’ensemble de ses travaux, il reçoit le Grand prix IMT-Académie des sciences 2022.

Du milieu des années 1980 à la fin des années 1990, vous avez consacré vos premiers travaux de recherche au traitement du signal et aux communications optiques. Quels ont été vos intérêts de recherche ?

Jean-Louis de Bougrenet : Mes activités à cette époque ont porté principalement sur la réalisation de corrélateurs optiques embarqués pour la reconnaissance des formes, l’holographie dynamique, et le calcul optique, avec des applications, par exemple, dans le domaine automobile et la défense.

Au terme de cette période, vous créez avec Philippe Gravey la start-up Optogone. Comment ce passage par le monde de l’entreprise a impacté par la suite votre retour à la recherche ?

JLB : Optogone, prix spécial ANVAR 2001 (aujourd’hui Bpi) était le produit de son époque. Elle réunissait les expertises de France Télécom et de l’ENST Bretagne (devenu depuis IMT Atlantique) en pleine bulle télécom ! La start-up développait des fonctions de routage pour le réseau tout optique s’appuyant sur un savoir-faire en optique, en cristaux liquides et en communication. J’ai dirigé la société pendant près de 3 ans, jusqu’à ce qu’elle soit rachetée fin 2004 par la société Memscap. À mon retour dans le monde académique, j’ai fait bénéficier mon équipe de cette expérience industrielle en l’appliquant à d’autres domaines, comme la santé et la défense.

Le fait d’évoluer au sein d’une grande école d’ingénieur m’a habitué à privilégier une recherche industrielle appliquée, avec un goût pour le transfert technologique et à la création de start-up. Si bien que quelques années plus tard, avec l’explosion de la 3D au cinéma, j’ai développé une nouvelle activité dans la conception de lunettes actives 3D. J’ai créé ainsi la société E3S en 2008, actuel leader européen de la location/vente de lunettes actives pour le cinéma et les usages professionnels.

Cette activité marque le début pour vous d’un nouvel intérêt de recherche sur l’acceptabilité des systèmes de vison 3D immersifs. Qu’est-ce qui vous a intéressé en particulier ?

JLB : J’ai été sensibilisé très tôt, en effet, à l’impact des dispositifs 3D pour le cinéma, et me suis orienté naturellement vers les technologies plus immersives comme la réalité augmentée et mixte. Ces dernières ont un taux d’immersion supérieur à celui de lunettes 3D et soulèvent des problématiques plus fondamentales sur les mécanismes de perception avancés. J’ai abordé ces questions sous le double angle du développement technologique et de l’impact de ces technologies sur la gestion de la charge cognitive et attentionnelle. Ceci m’a permis de me rapprocher de l’équipe en neurosciences de l’Institut de la vision afin de mieux analyser l’impact cognitif des systèmes immersifs et d’améliorer leurs performances et, par là même, leur acceptabilité. Nous avions à l’esprit de les utiliser pour améliorer l’efficacité du traitement de pathologies rétiniennes.

Au fil de sa carrière, Jean-Louis de Bougrenet est allé de plus en plus loin dans la recherche et le développement de systèmes immersifs.

Par la suite, vous mettez en place une technologie encore plus immersive sous la forme de la lentille de contact cyborg. En quoi consiste-t-elle ?

Jean-Louis de Bougrenet : Les lentilles de contact cyborg sont l’un des paradigmes emblématiques de la convergence technologique entre nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Ce sont des dispositifs miniaturisés agissant comme des biocapteurs ou actionneurs. Elles sont connectées et peuvent échanger des données avec la cybersphère. Leur conception/utilisation comme interface avec le cerveau est indissociable de la compréhension de leur impact neurosensoriel.

Ces dix dernières années, nous avons été capables d’intégrer beaucoup de fonctions présentes sur les casques de réalité augmentée dans nos lentilles de contact. En collaboration avec d’autres écoles de l’IMT, nous avons développé un savoir-faire technologique unique, allant des micro-batteries aux transpondeurs, en passant par des moyens de projection holographique, qui nous ont valu une reconnaissance internationale. Nous avons également intégré des fonctions complètes comme un pointeur laser, ou un système de détection des clignements d’œil et de suivi du regard. Tout cela, bien entendu, en parallèle à des études sur la biocompatibilité de nos dispositifs afin d’assurer la sécurité de leur port pour l’humain ; le marquage CE du pointeur laser est en cours.

Les lentilles de contact cyborg peuvent désormais intégrer beaucoup des fonctions actuelles d’un casque de réalité augmentée. Toutefois, du fait de leur volume limité, elles n’ont pas vocation à les remplacer. Elles ont par contre l’énorme avantage de s’affranchir des mouvements oculaires et de paupières et constituent de ce fait d’excellentes interfaces cerveau-machine.

En apportant de nouvelles informations, la lentille risque-t-elle de perturber notre cerveau ?

JLB : L’objectif est bien entendu de l’éviter. Pour cela, il est essentiel de comprendre comment l’information est perçue par le cerveau, et de connaître les limites de la charge cognitive et perceptive. Sachant que 70 % de l’information cognitive transite par l’œil, l’utilisation d’une lentille offre un contrôle précis et fiable de la stimulation rétinienne, permettant une meilleure analyse de la stimulation des différentes couches du cortex visuel. Leur utilisation est de nature à permettre une meilleure compréhension des mécanismes de perception attentionnelle en particulier.

Quels sont les usages envisagés pour ces lentilles ?

JLB : Il y a actuellement trois niveaux d’application : la restauration visuelle, la vision augmentée et la vision cybernétique. La restauration est une véritable préoccupation de santé publique. Dans ce contexte, nos solutions visent à améliorer les performances d’implants rétiniens actuels. La lentille constitue une interface fiable pour l’échange d’informations entre le cortex visuel et le monde extérieur ou la cybersphère, sans pour autant perturber les fonctions neurosensorielles indispensables.

De telles fonctions sont aussi utilisables avec les bien-voyants, en faisant de véritables dispositifs de réalité augmentée. Ils présentent un intérêt ergonomique, car ils sont directement placés sur l’œil. Ils peuvent permettre de projeter des symboles dans la zone de vision périphérique, et augmenter ainsi la vigilance d’une personne en lui signalant des dangers détectés par un dispositif externe connecté, par exemple, à la cybersphère (GPS, etc.).

Vous vous intéressez particulièrement aux enjeux liés à son utilisation dans la santé. Comment cette lentille peut-elle aider des personnes atteintes de déficiences visuelles ?

JLB : Comme mentionné, je m’intéresse aux pathologies ou neuropathies affectant la rétine. La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) affecte, par exemple, la zone centrale de la rétine. Aujourd’hui, ce trouble bénéficie d’une rééducation s’appuyant sur l’utilisation des zones maculaires périphériques par un contrôle des mouvements oculaires. La lentille permet de projeter directement les informations non perçues par la zone atteinte vers celles non atteintes. Autrement dit, elle aide à stimuler les zones périphériques pour des raisons de restauration ou de réhabilitation. Le même principe s’applique à la rétinite pigmentaire qui se manifeste par une désensibilisation progressive de la rétine depuis les zones périphériques. En pratique, le système est équipé d’une caméra filmant une scène, il formate et simplifie ensuite cette information avant de la transmettre à la lentille qui, à son tour, stimule la rétine dans le secteur rétinien sélectionné.

Ces lentilles seront-elles bientôt accessibles ?

JLB : Oui, les premières versions concernent les applications de santé. Pour cela, elles doivent passer par une phase de certification avant d’être utilisées sur des patients. Cette année, nous avons amorcé leur certification avec des tests sur animaux. Elles seront testées début 2023 au Streetlab de l’Institut de la vision sur des patients et des bien-voyants. L’objectif est de comparer leurs performances à celles d’oculomètres existants et d’évaluer ainsi leur apport dans des protocoles de réhabilitation visuelle.

Ces recherches ont également permis de créer en 2021 la société Cylensee qui valorise et exploite nos savoir-faire dans de nombreux domaines applicatifs. Une des cibles actuelles de Cylensee concerne la projection d’informations sur les zones périphériques de la rétine, baptisée Perifoveal Retinal Augmented Reality.

Propos recueillis par Anaïs Culot.


Jean-Louis de Bougrenet, lauréat du Grand prix IMT-Académie des sciences 2022

Depuis 5 ans, l’Institut Mines-Télécom et l’Académie des sciences récompensent des chercheurs s’étant distingués dans l’un des domaines scientifiques et technologiques suivants : transformation numérique dans l’industrie, ingénierie de l’énergie et de l’environnement, matériaux et fabrication. Chaque année, les deux institutions remettent deux prix :

  • Le Grand prix IMT-Académie des sciences – d’un montant de 30.000 euros – récompense un scientifique sur l’ensemble de ses travaux ;
  • Le prix Espoir IMT-Académie des sciences – d’un montant de 15.000 euros – distingue un scientifique de moins de 40 ans dans le cadre d’une innovation majeure.

En 2022, le Grand prix est attribué à Jean-Louis de Bougrenet, professeur en optique à IMT Atlantique, pour l’ensemble de ses travaux. Le prix Espoir est remis à Silvère Bonnabel, professeur à l’université de Nouvelle-Calédonie.

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