Collaboration homme-robot : utopie industrielle ou réalité de demain ?
Dans l’usine du futur, le robot n’a plus vocation à remplacer l’humain mais à l’assister. Les chercheurs Sotiris Manitsaris de Mines ParisTech, et Patrick Hénaff de Mines Nancy, travaillent à la conception de systèmes de contrôle à base d’intelligences artificielles s’implémentant sur tout type de robot. Le but de ces IA ? Pouvoir identifier des gestes humains et s’adapter au rythme des opérateurs dans un contexte industriel. La clé de la réussite pour une bonne collaboration avec la machine tient avant tout à la connaissance de l’Homme et de ses mouvements.
[box type= »shadow » align= » » class= » » width= » »]Cet article fait partie de notre dossier Loin des mythes, ces IA qui nous concernent vraiment [/box]
Un bras robotique frottant le fond d’une cuve en parfaite synchronisation avec la main de chair et d’os à côté de lui. Leurs mouvements sont rythmés par la même « musique », celle imposée par le corps de l’opérateur. Tantôt rapide, puis plus lente, cette symphonie du fond de cuve est rendue possible par l’intelligence artificielle dont est doté le robot anthropomorphique. À l’atelier voisin, un véhicule guidé automatiquement danse à travers l’usine, esquivant chaque obstacle sur son passage jusqu’à ce qu’il livre les pièces qu’il transporte à un agent de la chaine de production. Dans un timing redoutable, l’opérateur humain les récupère et dépose les objets qu’il a fini d’assembler sur le plateau de transport du petit véhicule qui repart aussitôt. La machine laisse dans son sillage des dizaines d’ateliers où humains et robots effectuent leur tâche « main dans la main ».
Si les robots anthropomorphiques comme les bras robotisés ou les petits véhicules autonomes sont déjà utilisés par des industriels, ils ne sont pas encore capables de collaborer avec l’Homme de cette façon. Les robots actuels sont munis de capteurs et d’algorithmes pré-intégrés par leur constructeur. Toutefois, leurs futures interactions avec l’humain ne sont pas prises en compte lors de leur développement. « Pour le moment, on trouve beaucoup de situations de coprésence dans les usines au cours desquelles un opérateur humain et un robot partagent le même espace mais n’interagissent pas vraiment ensemble car les robots ne captent l’humain que lorsqu’il est en contact physique avec eux », décrit Sotiris Manitsaris, chercheur spécialisé en robotique collaborative à Mines ParisTech.
La collaboration Homme-robot – ou cobotisation – est une branche émergente de la robotique qui redéfinit la place du robot comme travaillant « avec » et non « à la place de » l’opérateur. Cette approche permet d’augmenter la productivité tout en préservant l’emploi, en compensant les faiblesses de l’humain et du robot par les atouts de l’autre. Flexibilité, dextérité, prise de décision sont apportées par le travail manuel alors que l’automatisation mise sur l’efficacité, la vitesse et la précision. Mais pour parvenir à une réelle collaboration, les robots doivent être flexibles, interactifs et surtout intelligents. « La robotique est l’aspect concret de l’intelligence artificielle. Elle lui permet d’agir sur le monde extérieur avec une boucle constante perception-action sans laquelle le robot ne pourrait pas agir », témoigne Patrick Hénaff, spécialiste en intelligence artificielle bio-inspirée à Mines Nancy. De l’industrie automobile à celles de la mode et du luxe, tous les secteurs sont concernés par la problématique d’intégration de la collaboration robotique.
Vers un duo gagnant centré sur l’humain
Au-delà de l’interaction directe entre l’Homme et la machine, c’est l’ensemble du cycle de production qui pourrait devenir plus flexible et qui dépendrait davantage du rythme et du fonctionnement de l’opérateur. « Le robot doit répondre aux besoins de l’humain mais aussi anticiper son comportement pour s’adapter de façon dynamique », précise Sotiris Manitsaris. Dans une chaine de montage de l’industrie automobile par exemple, chaque tâche est réalisée en un temps précis. Si le robot anticipe les gestes de l’opérateur, alors il peut aussi s’adapter à sa vitesse. Cette problématique a fait l’objet de travaux avec le groupe PSA Peugeot Citroën dans le cadre de la chaire industrielle robotique et réalité virtuelle de Mines ParisTech. Les chercheurs ont pu mettre en place de premières collaborations prometteuses : sur un banc de travail, un robot apportait des pièces en fonction de la vitesse d’exécution d’un opérateur qui les assemblait et les vissait avant de les lui rendre.
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Un autre but de la cobotique est de soulager les opérateurs de tâches pénibles. Dans le cadre du projet H2020 Collaborate démarré fin 2018, Sotiris Manitsaris s’attelle au développement de technologies de reconnaissance des gestes ergonomiques et à la communication de ces informations aux robots. Les gestes sont dans un premier temps mesurés à l’aide d’objets communicants (montre connectée, smartphone, etc.) que porte l’opérateur. Les postures sont ensuite apprises par une intelligence artificielle. Ces nouveaux modèles de collaboration centrés sur l’humain et ses gestes sont conceptualisés en vue d’être implémentés sur n’importe quel modèle robotique. La question désormais est de savoir, une fois le geste reconnu, quelle information communiquer au robot pour qu’il puisse adapter son comportement sans perturber sa performance ni celle du collaborateur humain.
Collaborer en rythme
Comprendre les mouvements et les implémenter dans des robots est également au cœur des travaux menés par Patrick Hénaff. Ce dernier utilise une approche inspirée de la neurobiologie axée sur la compréhension des systèmes nerveux moteurs des animaux. « On peut considérer l’intelligence artificielle comme étant constituée d’une structure haut-niveau – le cerveau – et d’intelligences bas-niveaux qui peuvent être dédiées au contrôle de mouvements sans avoir besoin de recevoir des informations en permanence du niveau supérieur », explique-t-il. Ses recherches portent plus particulièrement sur les gestes rythmiques, des mouvements automatiques qui ne sont pas commandés par notre cerveau mais par des réseaux de neurones situés dans notre moelle épinière. C’est le cas par exemple de la marche ou du passage d’une éponge sur une surface.
Une fois initié par le cerveau, un mouvement rythmique se fait naturellement et à un rythme dépendant de notre morphologie. Néanmoins, il a été démontré que pour certains de ces gestes, le corps humain est capable de se synchroniser naturellement avec des signaux extérieurs (visuels ou auditifs) qui sont également rythmiques. C’est par exemple le cas lorsque deux personnes marchent ensemble. « Dans nos algorithmes, nous cherchons à déterminer quels signaux extérieurs intégrer à nos équations pour qu’une machine se synchronise avec l’humain ou avec son environnement lorsqu’elle réalise un geste rythmique », décrit Patrick Hénaff.
Du laboratoire à l’usine, il n’y a qu’un pas
Les chercheurs ont démontré en laboratoire que des robots peuvent réaliser des tâches rythmiques sans contact physique. Un robot observe à l’aide d’une caméra le mouvement de main d’une personne lui faisant coucou et peut le reproduire au même rythme et se synchroniser sur celui-ci. Les expériences ont également été réalisées sur une interaction avec contact : la poignée de main. Le robot apprend la façon de serrer la main d’un humain et synchronise son geste en fonction de la personne en face de lui.
Dans le cadre industriel, un opérateur réalise de nombreux gestes rythmiques : scier un tuyau, gratter le fond d’une cuve ou encore polir une surface ne sont que quelques exemples. Pour réaliser des tâches en coopération avec un opérateur, le robot doit pouvoir reproduire ses mouvements. Par exemple, si un robot scie un tuyau avec un être humain, alors la machine doit adapter son rythme de façon à ne pas générer des troubles musculo-squelettiques. « Nous venons de démarrer un partenariat avec un industriel afin de réaliser une preuve de concept et démontrer que les robots de nouvelle génération peuvent effectuer, en milieu professionnel, une tâche rythmique qui ne nécessite pas de trajectoire précise mais dont le résultat final est correct », rapporte Patrick Hénaff. En ligne de mire, s’attaquer aux milieux dangereux et aux tâches les plus pénibles pour les opérateurs non pas en les remplaçant mais en misant sur la complémentarité.
Article rédigé par Anaïs Culot, pour I’MTech.
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