Quantification précise de l’incertitude. Une chaire AXA à Eurecom
Les chaires AXA ne sont attribuées qu’à un nombre restreint de chercheurs chaque année. À travers sa chaire AXA sur les nouvelles approches computationnelles statistiques, Maurizio Filippone, chercheur à Eurecom, rejoint une communauté de chercheurs comptant des personnalités aussi prestigieuses que Jean Tirole, économiste français prix Nobel d’économie.
Maurizio, vous venez de recevoir une chaire AXA. Pourriez-vous nous expliquer son objet et pourquoi votre projet a été sélectionné ?
Les chaires AXA sont financées par le Fonds AXA pour la Recherche qui soutient la recherche fondamentale sur les risques. Inauguré en 2008, il accorde chaque année un financement à une cinquantaine de nouveaux projets, dont 4 à 8 chaires. Elles sont attribuées à des chercheurs et celle que j’ai reçue va me permettre de poursuivre mes travaux dans le cadre du projet « New Computational Approaches to Risk Modeling ». Le processus de sélection de ces chaires n’est pas uniquement basé sur le projet. D’autres critères entrent en ligne de compte : pertinence, vision, crédibilité de la proposition et du candidat (références, collaborations, etc.), institution et adéquation avec sa stratégie. Le fait, par exemple, que le domaine de recherche de ce sujet soit en accord avec la stratégie à long terme d’Eurecom en matière de sciences des données a joué un rôle important dans la sélection de mon projet. Cette subvention représente indéniablement une étape charnière dans ma carrière.
En quoi consiste votre projet ?
Il traite d’une question simple : Comment utiliser des données pour prendre des décisions ? Aujourd’hui, on peut accéder à une mine de données générées par une infinité de capteurs, mais les utiliser de façon intelligente est bien plus compliqué. L’apprentissage automatique – la principale technique utilisée – nous aide à en tirer du sens. Avec ce projet, je vais pouvoir développer des techniques novatrices dans ce domaine. La quantification du risque et la prise de décision exigent de quantifier précisément les incertitudes, un défi majeur dans de nombreux domaines scientifiques impliquant des phénomènes complexes, tels que la finance, les sciences de l’environnement et les sciences de la vie. Pour quantifier avec précision le niveau d’incertitude, nous faisons appel aux outils flexibles et exacts des modèles statistiques probabilistes non-paramétriques, même si la diversité et l’abondance des données compliquent leur utilisation. Le but de mon projet est de proposer de nouveaux moyens pour mieux gérer l’interface entre les modèles informatiques et les modèles statistiques, ce qui, par voie de conséquence, renforcera la fiabilité des prévisions fondées sur les données observées.
Comment allez-vous procéder ? Quelles techniques informatiques avancées allez-vous utiliser ?
L’idée sous-jacente de ce projet est qu’il est possible de réaliser une quantification précise de l’incertitude en se basant exclusivement sur des analyses approximatives et donc plus économiques. Les modèles non-paramétriques sont difficiles à utiliser, avec généralement des calculs très lourds en raison de la complexité des systèmes et la somme des données. En dépit de la puissance des ordinateurs, les calculs exacts restent séquentiels, trop longs, trop onéreux et parfois presque impossibles à mener jusqu’au bout. Dans ce projet, la manière dont les calculs approximatifs seront conçus nous permettra de réduire considérablement le temps d’analyse. Pour cela, l’exploitation des calculs parallèles et distribués sur des installations informatiques de grande envergure – une expertise d’Eurecom – sera primordiale. Nous pourrons ainsi développer de nouveaux modèles pour quantifier avec précision l’incertitude.
Quelles sont les applications pratiques ?
Une partie du projet sera consacrée à des applications portant sur l’environnement et la vie humaine qui exigent tous deux une quantification des risques. Nous utiliserons ensuite essentiellement les données sur la vie humaine (par ex. en neuro-imagerie et en génomique) et sur l’environnement pour nos modèles. Je suis convaincu que ce projet va contribuer à résoudre la question de l’explosion des données de grande envergure dans les domaines des sciences et de l’environnement. C’est déjà un énorme défi aujourd’hui, mais qui sera encore plus difficile à gérer dans les années à venir. À moyen terme, nous allons développer des algorithmes pratiques et évolutifs qui tireront parti des données et qui quantifieront avec exactitude leur incertitude prédictive. Et sur le long terme, nous pourrons améliorer la pertinence et l’exactitude des approches d’estimation des risques. Car celles-ci peuvent, par exemple, avoir un impact majeur dans le développement de stratégies de traitements médicaux ou de politiques environnementales. Une activité sismique peut-elle déclencher un tsunami dont il faut avertir la population ? Une personne présentant les symptômes d’une maladie systémique, comme la maladie de Parkinson, va-t-elle développer la maladie ? J’espère que les résultats de notre projet contribueront à apporter des réponses à ces questions.
Ce projet bénéficie-t-il de partenariats ?
Bien entendu ! Je vais initier de nouvelles collaborations tout en poursuivant celles que j’ai déjà avec plusieurs grandes universités dans le monde : l’université de Columbia à New York ; Oxford, Cambridge, UCL et l’université de Glasgow au Royaume-Uni ; le Donders Institute of Neuroscience aux Pays-Bas ; l’université de Nouvelle Galles du Sud en Australie et Inria en France. Le financement du Fonds AXA va m’aider à mettre sur pied une équipe à Eurecom, qui comptera deux doctorants et un post-doctorant en plus de moi-même. Mon souhait est de réunir des talents variés puisque toute innovation exige une approche multidisciplinaire : informatique, statistiques, mathématiques, physique et un certain niveau de compétences en sciences de la vie et en sciences de l’environnement.
Quels sont les principaux défis de ce projet ?
Attirer les talents est sans doute l’un des plus épineux ! J’ai eu de la chance jusqu’à présent, mais c’est difficile. Très ambitieux, ce projet se distingue par son caractère haut risque/gains élevés. Nous faisons donc face à des difficultés techniques qui ont toutes trait au niveau pointu des outils, des techniques et des stratégies que nous mettrons en œuvre. Nous allons donc nous trouver dans des situations propres à tout projet novateur, comme buter contre un mur ou être forcés de mettre de côté des idées certes prometteuses, mais qui ne fonctionnent pas. Mais c’est pour cela que ce projet a reçu un financement de sept ans ! Malgré ces obstacles, je suis certain qu’il aboutira et que notre impact sera considérable.
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