Des modèles mathématiques pour construire la transition énergétique
Le 10 juillet, la chaire Modélisation et prospective de Mines ParisTech réunit étudiants et chercheurs autour du sujet « Innovations in decarbonization ». Cet évènement se déroule en parallèle de la conférence scientifique internationale sur le changement climatique organisée par l’UNESCO qui se tient cette semaine à Paris, prélude à la COP21 (la 21ème Conférence des Nations unies sur les changements climatiques). Nadia Maïzi, coordinatrice de la chaire, nous a expliqué comment des modèles mathématiques peuvent nous aider à analyser l’impact des scénarios de transition énergétique, pour anticiper l’avenir à l’horizon 2050.
La réduction des émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine (décarbonation) est un défi majeur pour lutter contre le changement climatique. Ce sont en effet les gaz à effet de serre, composés en grande majorité de CO2, qui sont responsables de l’augmentation de la température globale de la Terre. Plusieurs stratégies peuvent être mises en place, reposant souvent sur des choix technologiques, comme le développement des énergies renouvelables. L’enjeu est d’évaluer quel sera leur impact sur l’ensemble du système, et ce à tous les niveaux.
Nadia Maïzi, chercheuse à Mines ParisTech, où elle dirige le Centre de Mathématiques Appliquées (CMA), a lancé la chaire Modélisation et prospective en 2008. A l’époque, le CMA s’est investi dans le développement de modèles de prospective (en particulier des modèles d’optimisation) pour des problèmes liés à la transition énergétique. « Dans le contexte mondial des enjeux sur le climat, on s’est dit qu’il était peut-être temps de revenir à une tradition française qui date des années 50 : la prospective. » Cette approche, développée notamment par Gaston Berger et Pierre Massé, consiste à développer des stratégies, des « grands plans », pour envisager le très long terme. « On est parti des mathématiques de la décision et du contrôle, puis on a décliné nos méthodes aux questions de l’énergie et du climat, en rassemblant des chercheurs aux disciplines complémentaires. Ça nous parait indispensable pour éclairer les stratégies de long terme. »
Répondre à un problème
Le modèle mathématique est un outil qui sert à comprendre l’évolution d’un système complexe, en en construisant une représentation et en y intégrant des hypothèses pour le futur. En pratique, « dans notre modèle, on a un gros sac dans lequel on met toutes les technologies possibles, existantes ou émergentes, et on va lui demander ensuite de piocher des solutions, selon le compromis meilleur coût / meilleure technologie, pour répondre à un problème. »
Pour construire un scénario, les chercheurs rentrent plusieurs paramètres. D’abord, les éléments exogènes : ce sont les hypothèses d’entrée. « Ils viennent d’évaluations faites par nous-mêmes ou par d’autres organismes. Par exemple, à quelle température va-t-on se chauffer en France d’ici 2030 ? On ne fait pas d’hypothèse sur la technologie utilisée mais sur la consommation. » Les mathématiciens formulent ensuite le problème : ils donnent au modèle des contraintes, qui correspondent à la solution souhaitée. « Cela peut être de satisfaire la demande en électricité, de sortir du nucléaire, d’utiliser 50% d’énergies renouvelables mais aussi de maximiser le profit. » Chaque technologie a aussi ses propres contraintes : une éolienne ne peut pas tourner toute la journée, certaines technologies ne seront pas sur le marché avant 2020, etc. Le modèle prend tout cela en compte. Cela demande énormément d’informations : « Nous faisons partie d’une communauté de modélisateurs avec qui on échange beaucoup de données, selon un modèle ouvert, de la manière la plus transparente possible. »
Les résultats sont ensuite analysés : la solution proposée est-elle réalisable ? Le système technique est-il plausible en termes de faisabilité ? Va-t-on aller vers le type de futur souhaité ? Mais aussi, est-il socialement tenable ? Comme le modèle repose sur les mathématiques, il trouve toujours une solution au problème donné : « Par exemple, si on demande au modèle de diminuer par 4 les émissions de gaz à effet de serre dans le système électrique français, il préconise d’appuyer sur la demande et de la diminuer par 2, 3 ou 4. Or, derrière, il y a des usagers qui ne pourront plus consommer ce qu’ils consomment aujourd’hui. » Le modèle nous pousse donc à envisager l’impact de stratégies sur tous les aspects du système. « Avec nos modèles, on essaie d’éclairer des éléments contre intuitifs et d’alerter, pour qu’on prenne des décisions éclairées. »
« Nos modèles vont se tromper »
« Je suis très attachée à ne pas confondre prédiction et prospective. Les modèles doivent aider à construire le futur dans lequel on souhaite vivre, précise Nadia Maïzi. Nos modèles vont se tromper. Les trajectoires prévues ne sont pas la réalité de ce qui se passera en 2050. » La construction du modèle dépend de beaucoup d’éléments non maîtrisés, comme les conditions géopolitiques ou les prix à long terme, non prédictibles et donc facteurs d’incertitudes. « Les scénarios qu’on fait aujourd’hui sont déjà obsolètes demain. On est toujours en train de recommencer car des éléments d’information arrivent tous les jours pour alimenter notre modèle. Malgré tout, les modèles offrent la possibilité de représenter les systèmes en prenant en compte tous leurs éléments constitutifs. » Or, bien souvent, un système complexe est considéré morceau par morceau, avec le risque de déplacer les problèmes en implémentant des solutions. « Par exemple, les allemands sortent du nucléaire, mais en conséquence, ils utilisent énormément le nucléaire français et les centrales à charbon, qui sont très polluantes. »
Prenons un exemple : on veut regarder le potentiel de diminution des émissions des gaz à effet de serre en France dans le système électrique. Un premier scénario propose de moins reposer sur le nucléaire. Un deuxième d’intégrer des énergies renouvelables à 50 ou 100%. « Avec le modèle, on va voir si techniquement ces scénarios sont réalisables, en prenant en compte les éléments obligatoires pour assurer la fiabilité et la fourniture du système électrique. Il peut arriver qu’on se rende compte que la mise en œuvre d’une solution soit impossible d’un point de vue pratique. L’idée alors n’est pas de dire que la solution est irréalisable, mais pour la mettre en œuvre il faut anticiper les problèmes en prenant en compte l’ensemble des éléments du système. »
Réconcilier différentes échelles
« Le modèle peut se décliner sur n’importe quelle échelle, sous réserve d’être capable de décrire très précisément l’ensemble des technologies dont on dispose et d’évaluer la demande. » Pour envisager les systèmes dans leur ensemble, un des enjeux est de réconcilier ces différentes échelles : les EnR, qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre sur le long terme, permettent-elles aussi de garantir l’équilibre offre/demande à la seconde ? Si l’objectif est que la France diminue par 4 ses émissions de gaz à effet de serre, comment cela se décline-t-il dans chaque région, en prenant en compte les contraintes telles que la localisation du réseau, l’acceptabilité pour la population ou encore le potentiel éolien de la région ? Enfin, les chercheurs s’intéressent à la réconciliation sociétale : « L’idée c’est que derrière tout ça, il y a des gens qui ont peut-être leur mot à dire, qui peuvent participer à l’effort. »
Aujourd’hui, le défi consiste donc notamment à prendre en compte de manière plus fine le comportement humain : « Représenter des hommes dans un modèle mathématique, c’est compliqué. C’est pourquoi on est très transdisciplinaires, pour se pencher sur questions philosophiques, sociologiques, techniques, économiques, etc. »
Lire sur le blog : Les nouvelles filières gazières dans le mix énergétique de demain (congrès OSE 2014)
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« Innovations in decarbonization »
La conférence est organisée par la chaire Modélisation et prospective en collaboration avec le BECI (Berkeley Energy and Climate Institute) de l’Université de Berkeley et est labellisée COP21 par le ministère du développement durable. Le matin, les élèves du Mastère spécialisé « Optimisation des Systèmes Energétiques » (OSE) présenteront leurs propositions innovantes sur le thème de la COP21, déclinées autour de secteurs, du citoyen et de la question des pays développés et en développement. Nadia Maïzi animera ensuite une discussion entre experts sur le déploiement de solutions de décarbonation. La session de l’après-midi sera consacrée aux avancées des modèles de prospective dans leur déclinaison multi-échelles en vue d’améliorer la plausibilité des scénarios de long terme qu’ils éclairent. En savoir +
Le 10 juillet 2015, de 9h00 à 17h00
à Mines ParisTech
60 Boulevard Saint Michel, Paris
Voir le programme
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