L’Analyse de cycle de vie (ACV) est de plus en plus utilisée, notamment pour l’écoconception, ou pour obtenir un label. Elle consiste à évaluer l’empreinte environnementale d’un produit ou service en prenant en compte le maximum de sources. Miguel Lopez-Ferber, chercheur en évaluation environnementale à IMT Mines Alès, illustre dans cet entretien l’intérêt de cet outil et sa complexité.

 

Qu’est-ce que l’analyse de cycle de vie ?

Miguel Lopez-Ferber : L’analyse de cycle de vie est un outil permettant de prendre en compte la totalité des impacts de la vie d’un produit ou d’un service, depuis leur conception jusqu’au démantèlement des assemblages, et éventuellement le recyclage, on dit aussi « du berceau à la tombe ». C’est une approche multicritère la plus exhaustive possible, prenant en compte un grand nombre d’impacts environnementaux. Cet outil est essentiel pour analyser la performance et optimiser la conception des biens et services.

Existe-t-il des normes ?

MLF : Oui il y a des règlementations européennes et il existe aujourd’hui des normes, notamment les normes ISO 14040 et 14044. La première décrit les principes et le cadre de l’ACV. Elle présente clairement les quatre phases d’une étude d’ACV, la définition des objectifs et du champ d’étude ; la phase d’inventaire, puis d’évaluation de l’impact, et enfin la phase d’interprétation. La norme ISO 14044 spécifie les exigences et lignes directrices.

A quoi sert l’ACV ?

MLF : Le grand intérêt est de pouvoir comparer des technologies ou méthodes différentes pour orienter les prises de décision. C’est un outil formidable pour les entreprises souhaitant améliorer leurs produits ou services. Par exemple, l’ACV va pointer immédiatement sur un produit les composants ayant le plus d’impact. Ainsi, il sera possible d’explorer la substitution de ce composant, tout en étudiant les impacts que ces changements peuvent entraîner. C’est pareil sur un service. Un autre avantage de la vision « cycle de vie » est la prise en compte des transferts d’impacts. Par exemple, pour baisser l’impact dû à la consommation électrique d’un four, nous pouvons améliorer son isolation. Mais cela nécessitera plus de matière première et augmentera l’impact de la production. L’ACV permet de prendre en compte ces aspects, et de faire la comparaison sur la totalité de la vie du produit. L’ACV est un outil très puissant pour détecter rapidement ces transferts d’impacts.

Comment se fait cette analyse ?

MLF : Les normes ISO 14040 et 14044 nous indiquent clairement le déroulement. Une fois définis le cadre d’étude et les objectifs, il s’agit de déterminer tous les flux d’entrée et sortie associés au produit ou au service. C’est la phase d’inventaire. Ces flux doivent être ramenés à des flux provenant de l’environnement. Pour cela, il existe des bases de données de plus en plus fournies, plus ou moins faciles d’accès, généralistes ou spécialisées. Certaines portent sur les produits agricoles et leurs dérivés, d’autres sur les plastiques ou encore la production d’électricité. Ces informations de flux sont récupérées puis assemblées, et rapportées au flux pour une unité fonctionnelle (UF) permettant les comparaisons. Il existe aussi des logiciels de comptabilisation pour aider à compiler les impacts des différentes étapes d’un bien ou d’un service.

En effet, l’ACV ne s’intéresse pas au produit directement mais à sa fonction, et il arrive de comparer des technologies très différentes. Nous allons alors définir une UF qui se concentre sur le service rendu. Imaginons deux modèles de chaussure. Un modèle A de très bonne qualité, demandant plus de matière pour sa production mais qui tiendra deux fois plus longtemps que le modèle B. Le modèle A induira peut-être plus d’impacts dans sa production, mais sera équivalent à deux modèles B dans la durée. Au final, pour un même service rendu, le modèle A pourrait avoir un impact moindre.

Quels éléments prendre en compte dans l’ACV ?

MLF : L’intérêt de l’analyse de cycle de vie est d’avoir une grande amplitude, et donc de prendre en compte le plus grand spectre possible. Cela concerne des impacts directs comme indirects, la consommation de ressources incluant l’extraction des matières premières, l’impact carbone, ou encore le rejet de pollution. Il y a donc une question de temporalité, car il faut étudier l’ensemble de la vie d’un bien ou d’un service, une question géographique puisque plusieurs sites sont pris en compte, et l’aspect multicritère, c’est-à-dire tous les compartiments environnementaux.

Qui réalise les ACV ?

MLF : Quand elles le peuvent et qu’elles ont les compétences, les entreprises le font en interne. C’est de plus en plus courant. Autrement, elles peuvent le commander à un cabinet d’experts. Dans tous les cas, si l’objectif est de communiquer sur ce travail, les résultats doivent être mis à disposition pour être relus, vérifiés et validés par des experts extérieurs.

Quelles sont limites de cet outil aujourd’hui ?

MLF : Il y a une question de territorialité, par exemple la consommation d’énergie n’induira pas le même impact d’un pays à l’autre. Au début, nous utilisions des moyennes mondiales pour l’ACV. Nous avons aujourd’hui des moyennes continentales, voire nationales, mais pas encore régionales. Plus ces données seront précises, plus les études d’ACV le seront aussi.

À lire sur I’MTech : Le millefeuille de l’impact environnemental

Une autre problématique concerne les impacts supplémentaires ou additionnels. Nous partons du principe que les impacts sont cumulatifs et linéaires, c’est à dire que fabriquer deux stylos double les impacts d’un seul stylo. Mais ce n’est pas toujours le cas. Imaginons qu’une entreprise rejette une certaine quantité de polluants en sortie de l’usine, c’est peut-être viable si elle est seule mais pas si trois autres entreprises font de même. Passé un certain niveau, l’impact sur l’environnement pourrait aller en s’aggravant.

Puis, nous sommes évidemment limités par nos connaissances scientifiques. Les impacts environnementaux et climatiques sont complexes et les données changent en fonction des avancées scientifiques. Nous commençons également à prendre en compte des aspects sociaux, c’est extrêmement complexe mais très intéressant.

Par Tiphaine Claveau.

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