Plastiques biosourcés : des algues aux objets

, , , ,

Le laboratoire Polymères composites hybrides (PCH) d’IMT Mines Alès et Atelier LUMA, le programme de recherche en design de LUMA Arles, allient leurs ressources et leur expertise pour valoriser des souches d’algues locales et les intégrer dans des matrices thermoplastiques. Grâce à l’impression 3D et au moulage par injection, cette matière biosourcée est transformée en objet de design.

Échouées par tonnes sur les littoraux et exhalant des vapeurs malodorantes, voire toxiques, les espèces invasives d’algues sont une menace pour la biodiversité. La prolifération de ces espèces envahissantes est le plus souvent le fait de l’activité humaine (agriculture intensive, rejet de polluants dans les eaux…) qui déséquilibre les écosystèmes. Les conséquences sont néfastes à la fois pour l’environnement et la santé des riverains, mais aussi pour l’économie locale qui éponge les coûts d’éradication, ou encore la perte de tourisme liée à la dégradation des paysages.

Pourtant, si certaines algues ont mauvaise presse, toutes les espèces ne sont pas nuisibles. La plupart contribuent, au contraire, à la biodiversité de leur environnement. C’est le cas de nombreuses microalgues et macroalgues qui font naturellement partie des écosystèmes dans les zones humides. Ces algues constituent une ressource abondante et renouvelable dont le prélèvement serait – une fois n’est pas coutume – neutre, voire dans certains cas, bénéfique pour l’environnement. De nombreuses recherches se penchent donc sur la valorisation de cette matière première qui présente en outre de nombreuses qualités.

Leur richesse en protéines, en lipides, en carbohydrates et leur pouvoir gélifiant ont déjà permis aux algues de faire leurs preuves dans l’industrie alimentaire, comme alternative à la viande ou comme agent de texture. Ces mêmes caractéristiques en font un ingrédient intéressant pour la composition de matériaux, de construction ou d’objets du quotidien. Sous forme de poudres ou de fibres, les microalgues et les macroalgues peuvent être incorporées dans des formulations polymères thermoplastiques pour obtenir des matériaux biosourcés, remplaçant ainsi les matières premières fossiles utilisées dans la plupart des matériaux plastiques classiques. L’étude et l’amélioration des propriétés mécaniques et thermiques des biomatériaux est l’un des axes de recherche du laboratoire Polymères composites hybrides (PCH) d’IMT Mines Alès.

Arles et ses alentours, une région d’expérimentation

En 2014, alors que l’état de l’art sur l’utilisation de microalgues comme matière première est peu avancé, le laboratoire PCH collabore sur le sujet avec le CEA Cadarache et fait connaître ses travaux par l’intermédiaire des instituts Carnot Énergies du futur et M.I.N.E.S. Sur le même territoire, Atelier LUMA, laboratoire de design et de recherche implanté à Arles, au sein de l’écosystème LUMA Arles, enquête sur les ressources et les savoir-faire de notre biorégion. En connectant différents champs d’expertise, Atelier LUMA développe des solutions locales et met en valeur les matières premières issues de la région d’Arles, pour une transition écologique, économique et sociale.

À travers différentes plateformes, Atelier LUMA explore le potentiel des algues de Camargue et développe des applications dans les bioplastiques. Les techniques de mise en œuvre et de mise en forme de ces matériaux sont déterminées en fonction de leurs caractéristiques esthétiques (couleur, transparence, texture) et mécaniques (densité, rigidité, résistance). Leur production en petite série est assurée par impression 3D, et en grande série par injection. Le laboratoire PCH d’IMT Mines Alès regroupe à la fois des expertises et des outils de formulation, de mise en forme et de caractérisation des biomatériaux. C’est donc assez naturellement que les deux entités se sont rapprochées pour associer leurs compétences dans une démarche qui, aujourd’hui encore, concilie R&D et design : la conception de matériaux pour la création d’objets domestiques, à partir d’algues produites et récoltées localement.

Pour se fournir en biomasse algale, Atelier LUMA dispose d’un laboratoire, le Biolab, au sein duquel des scientifiques et techniciens en aquaculture et biotechnologies étudient, cultivent, récoltent et inventorient des micro et macroalgues naturellement présentes dans la région. Les souches prélevées dans les salins et les masses d’eau du delta du Rhône jusqu’à la Méditerranée sont conservées dans une souchothèque, pour l’identification de composés d’intérêt. Certaines sont également cultivées dans des bassins permettant de produire une biomasse destinée à un usage expérimental. L’équipe distingue ainsi l’étude et l’utilisation des macroalgues issues de milieu naturel – disponibles en quantité importante mais présentant des contraintes liées à l’extraction ou au nettoyage – de celle des microalgues de culture – plus faciles à mettre en œuvre mais plus difficiles à monter en échelle pour une production de biomasse industrielle.

Atelier LUMA possède un laboratoire de culture et d’observation de différentes espèces d’algues présentes dans la région d’Arles. Crédits : Adrian Deweerdt.

De la matière organique à des matériaux fonctionnels

L’équipe d’Atelier LUMA est complétée par des designers et ingénieurs qui expérimentent la mise en œuvre des biomasses dans les matériaux. Les algues sont désalinisées, séchées, broyées, traitées puis incorporées par plastification ou sous forme de charge dans des matrices bioplastiques. « Notre objectif est de concevoir des matériaux les plus chargés en algues possible en explorant différentes matrices et différents types d’algues macro et micro », explique Anne-Claire Hostequin, chargée de projets à Atelier LUMA.

Des protocoles de présélection sur la matière première ont été élaborés de pair avec l’équipe PCH d’IMT Mines Alès. Certaines propriétés des algues déterminent particulièrement leur capacité d’incorporation et de dispersion dans les matériaux polymères : leur granulométrie, leur tenue thermique – c’est à dire la résistance de ces biomasses aux cycles thermiques parfois élevés qui leur sont appliqués avec des matrices thermoplastiques – ou encore leur composition biochimique.

Les designers d’Atelier LUMA disposent ensuite de quelques outils d’impression 3D pour réaliser des prototypes et des pièces en petites séries, avant de s’adresser au laboratoire PCH pour produire de plus grands volumes. Grâce à la plateforme « Mise en Œuvre et CAractérisation des matériaux BIOcomposites » ou MOCABIO, le laboratoire d’IMT Mines Alès dispose effectivement d’outils pour formuler et mettre en forme par injection ou impression 3D à plus grande échelle. Le PCH est également spécialisé dans l’évaluation des propriétés fonctionnelles des matériaux. Les biomatériaux sont moulés en éprouvetteset particulièrement étudiés sous l’angle de leur comportement mécanique – rigidité et résistance – et leur tenue thermique et au feu. Les bioplastiques à base d’algues ainsi formulés sont testés selon des normes internationales en lien avec des applications dans des contextes exigeants.

Des essais en laboratoire au démonstrateur à taille réelle

Depuis 2017, la collaboration entre les équipes de PCH et d’Atelier LUMA a débouché sur deux activités principales : l’activité de recherche qui porte essentiellement sur la valorisation de biomasses algales locales, et une activité de « prestation » avec la mise à disposition des ressources du laboratoire d’IMT Mines Alès aux membres de l’atelier. Comme le précise l’un des enseignants-chercheurs de PCH, Nicolas Le Moigne : « Les personnes qui travaillent à Atelier LUMA sont formées sur les appareils que nous utilisons, nous parlons un langage commun et il y a une très bonne complémentarité entre nos équipes. »

Une force de collaboration qui ne réside pas seulement dans la complémentarité des compétences mais aussi dans la rapidité avec laquelle les résultats de recherches sont intégrés sous forme de démonstrateur à taille réelle. Les matériaux co-produits par les deux entités sont utilisés par Atelier LUMA, principal commanditaire, pour des applications concrètes, notamment du parement mural. : « Les bâtiments de LUMA Arles, dont l’emblématique Tour imaginée par Frank Gehry avec Maja Hoffmann, nous servent de terrain de jeu », complète Anne-Claire Hostequin.

Atelier LUMA vient s’inscrire dans un écosystème global formé par LUMA Arles, qui offre aux artistes, aux designers et aux chercheurs de nouvelles perspectives de création, de production et d’expérimentation, toujours dans un objectif de partage et de transmission. Le plus souvent, les équipes sont contraintes par une application et doivent trouver un matériau qui réponde à la demande. « À l’inverse pour ce projet autour des bioplastiques à partir d’algues, nous n’avons pas une application figée en tête, et nous nous adaptons aux propriétés des matières trouvées pour proposer des applications », relate la chef de projet. Ce processus laisse aux équipes la liberté de constituer un panel de matériaux avec des propriétés différentes et d’en imaginer un usage, notamment des applications domestiques.

Échantillons mis en forme par impression 3D et moulage par injection à partir de bioplastiques chargés en algues à IMT Mines Alès et Atelier LUMA, LUMA Arles, France. Crédits : Anne-Claire Hostequin.

La Tour de LUMA Arles imaginée par Frank Gehry avec Maja Hoffmann sert de laboratoire à ciel ouvert pour tester les biomatériaux développés par Atelier LUMA. Crédits : Creative commons.

Le design comme outil pédagogique et de transition

Cette exploration en design a fait écho auprès de l’école IMT Mines Alès qui a intégré dans sa formation ingénieure ECOMAP (ECOconception MAtériaux et Procédés) un temps de visite et de conférence à Atelier LUMA. « Le fait d’échanger avec les équipes d’Atelier LUMA ouvre aux étudiants les champs applicatifs du design au-delà des champs classiques de l’ingénierie comme le transport, le bâtiment ou l’emballage », argumente Nicolas Le Moigne. En dehors de quelques biologistes, la majorité des membres d’Atelier LUMA est effectivement issue des arts appliqués, de l’architecture et du design produit ou textile.

« Le design est une manière de promouvoir à la fois les propriétés fonctionnelles et esthétiques des matériaux biosourcés » souligne Nicolas le Moigne. Les qualités d’une matière sont plus visibles sur les objets de design, d’architecture, d’ameublement intérieur… que dans un mur. En partenariat avec l’équipe PCH, Eric Klarenbeek et Maartje Dros (Studio Klarenbeek & Dros) – un duo de designers néerlandais – ont fait la démonstration du potentiel de l’impression 3D. Lors de leur résidence à Atelier LUMA en 2017-2018, ils ont conçu une collection de vaisselle inspirée d’objets antiques de la région, scannés en 3D et fabriqués à partir de bioplastiques chargés en algues. L’équipe d’Atelier LUMA poursuit les recherches sur les promesses de l’impression 3D appliquée aux matériaux biosourcés, mais s’intéresse également aux modes de mise en forme « conventionnels », en relevant le défi de conserver les qualités esthétiques de la matière.

« Cette ouverture vers le design, et en particulier le biodesign, permet de former des ingénieurs sensibilisés à l’intégration de matériaux biosourcés dans les futures innovations associées aux domaines du quotidien » conclut Nicolas Le Moigne. L’enjeu est de taille puisqu’à terme, les volumes de matériaux concernés sont colossaux, et que chaque année, de nouvelles espèces d’algues invasives font leur apparition sur les littoraux et les plans d’eau.

Par Ingrid Colleau.


Un projet multi-partenaires

La première convention de recherche signée entre IMT Mines Alès (porteurs du projet : Nicolas Le Moigne et Arnaud Regazzi), Atelier LUMA et les Studio Klarenbeek & Dros date de 2017. D’autres projets entre IMT Mines Alès et Atelier LUMA ont suivi : LUMA 1 en 2021 (porteurs : Nicolas Le Moigne, Marcos Batistella), LUMA 2 en 2022 (porteur : Benjamin Gallard), LUMA 3 de 2022 à 2023 (porteur : Clément Lacoste). Ils ont tous été financés par LUMA Arles.

Au-delà des aspects scientifiques, Atelier LUMA participe chaque année au Salon du Meuble de Milan (Salone del Mobile.Milano), évènement mondial de la décoration et du design, et vitrine de la créativité et de l’innovation pour le secteur de l’ameublement. Le projet d’impression 3D sera également montré au cours d’une exposition à la Cité des Sciences en décembre 2023.


Une plateforme dédiée à l’étude des matériaux biosourcés à IMT Mines Alès

La plateforme MOCABIO, cofinancée par l’IMT Mines Alès et la Région Occitanie, a pour objectif de valoriser le potentiel de recherche de l’IMT Mines Alès dans le domaine des matériaux composites basés sur des agro-ressources et de constituer un facteur d’attractivité et de compétitivité pour la Région Occitanie. En plus d’être un outil de recherche, la plateforme a également pour rôles de soutenir et accompagner les entreprises et de constituer un outil pédagogique entre autres pour les élèves ingénieurs de l’IMT Mines Alès.


0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *