« Il faut s’intéresser au recyclage des composites dès à présent »
Les matériaux composites haute performance sont utilisés dans des secteurs de pointe : énergie, aérospatial, défense… Les pièces fabriquées ne sont pas encore massivement en fin de vie. Cependant, la question de leur recyclage se posera à moyen terme. Elle doit être considérée dès aujourd’hui pour apporter, le moment venu, des solutions techniquement efficaces et économiquement supportables. Chercheuse en matériaux et procédés de plasturgie, Marie-France Lacrampe travaille sur cette question à IMT Lille Douai. Elle nous présente les procédés étudiés par les scientifiques pour recycler les composites, et nous explique pourquoi il faut intensifier les efforts sur ce thème dès aujourd’hui.
Tous les matériaux composites sont-ils recyclables ?
Marie-France Lacrampe : En théorie, ils sont tous recyclables : on arrivera toujours à en faire quelque chose. La question qui se pose est surtout : ce quelque chose est-il utile ? Et si oui, est-ce économiquement supportable ? De ce point de vue, il faut distinguer les composites selon la nature de leur matrice polymère, celle de leur renfort en fibres, et les dimensions de ces fibres. Entre des composites à fibres de verre et des composites renforcés avec des fibres de carbone, les perspectives de recyclage sont différentes.
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Les composites à fibres de verre sont parmi les plus répandus. Que faire de ces matériaux lorsqu’ils seront en fin de vie ?
MFL : Les polymères renforcés de fibres de verre constituent, aujourd’hui, le gisement potentiel de produits à recycler le plus important. La production mondiale annuelle est de l’ordre de millions de tonnes. La plupart utilisent des fibres coupées, de faible taille. Ce sont des composites non structuraux, que l’on peut considérer comme des polymères thermoplastiques ou thermodurcissables chargés de fibres. Le rapport entre le coût de leur recyclage et la valeur du recyclat n’est pas très avantageux. La solution actuelle la plus raisonnable est de les incinérer pour récupérer de l’énergie thermique pour différentes applications industrielles. Néanmoins, dans certains cas particuliers, il est possible d’avoir recours au recyclage mécanique : le matériau est broyé et intégré dans une matrice polymère. Il en sort des fonctionnalités intéressantes qui apportent de la valeur au recyclat et donc permettent de justifier le coût du recyclage. C’est par exemple cette voie qui est explorée dans un des volets du projet Interreg Recy Composite* dans lequel nous sommes impliqués.
Quel type de fonctionnalité ce genre d’approche permet-il de mettre en valeur ?
MFL : Dans notre cas, nous broyons des pièces automobiles à fibres de verre situées sous le capot du moteur. Le broyat est utilisé pour la mise au point de systèmes intumescents — qui gonflent sous l’action de la chaleur. Ces systèmes intumescents représentent l’une des stratégies pour protéger un matériau de l’incendie de manière passive. L’intumescence se traduit par la formation d’une croûte qui conduit faiblement la chaleur à la surface d’un matériau, entraînant la diminution de sa dégradation, et par conséquent une réduction des gaz alimentant la flamme. Ces systèmes sont généralement onéreux. Intégrer le broyat permet de diminuer les coûts de production. Les formulations proposées à base de composites à fibres de verre recyclé sont, pour le comportement au feu, concurrentielles vis-à-vis des formulations existantes. Les travaux en cours visent à apporter d’autres fonctionnalités, notamment mécaniques. Ces résultats sont encourageants et permettent d’apporter de la valeur au recyclat. Toutefois, cela ne permet pas d’absorber l’ensemble du gisement potentiel de composites à fibres de verre. En l’état, la valorisation énergétique reste la seule solution économiquement viable.
Qu’en est-il des autres composites, comme ceux à fibres de carbone dédiés aux applications haute-performance ?
MFL : Les composites de structure renforcés par des fibres de carbone présentent un potentiel de valeur, et donc de débouchés après recyclage, beaucoup plus élevé. Ils sont moins nombreux en volume actuellement mais la production mondiale est en nette progression. Des solutions existent pour leur recyclage, même si elles concernent essentiellement les déchets de fabrication pour l’instant. La pyrolyse de ces composites permet, dans certains cas, de revenir à des fibres de carbone longues et des renforts architecturés, utilisables en substitution de fibres neuves. L’inconvénient est que la matrice en polymères est brulée lors du traitement et ne peut pas être valorisée. D’autres solutions sont actuellement à l’étude : par exemple les procédés de solvolyse.
En quoi consiste cette solvolyse ?
MFL : C’est une dissolution sélective des constituants du composite pour les récupérer. Dans le cas des matrices polymères de type thermoplastique, le problème, sans être simple, est techniquement faisable. Dans le cas des matrices polymères thermodurcissables, la dissolution sélective sans endommager les fibres est plus délicate et nécessite des équipements et des protocoles spécifiques. Ce volet est également traité dans le projet Recy-Composite. Les premiers résultats montrent la faisabilité de ce procédé. Le renfort de carbone récupéré est de bonne qualité et pourrait être réintroduit avec des propriétés satisfaisantes pour refaire un composite. Des verrous restent cependant à lever, notamment sur l’identification de solvants permettant d’atteindre l’objectif sans poser de problème majeur d’hygiène et de sécurité.
Existe-t-il un enjeu de recyclage sur d’autres types de composites ?
MFL : Sans être exhaustif, on peut évoquer une nouvelle classe de matériaux composites qu’il faudra, à un moment ou à un autre, recycler. Ce sont les composites utilisant des fibres naturelles. Ils présentent des propriétés très intéressantes, y compris sur le plan environnemental. Le problème de leur traitement en fin de vie n’est pas encore très bien maitrisé. Pour l’instant, seul leur recyclage mécanique est considéré et pose déjà des problèmes techniques. En effet, les renforts végétaux utilisés sont sensibles au vieillissement, et ils supportent mal des températures et des cisaillements importants. Leurs broyage, reconditionnement et réintroduction dans un nouveau matériau composite s’accompagnent de pertes de performances mécaniques significatives. Une solution potentielle, là-aussi actuellement évaluée dans le cadre de Recy-Composite, consiste à utiliser un procédé original de mise en forme qui permet de réduire les températures. Les premiers résultats obtenus confirment le potentiel de cette technologie mais doivent être complétés pour atteindre un taux de conservation des performances plus important.
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D’une manière générale, le faible tonnage des matériaux composites est-il un problème pour le développement d’une filière de recyclage ?
MFL : Oui, parce que le plus gros problème à l’heure actuelle est la taille des gisements de composites intéressants. Tant que nous n’aurons pas un flux d’entrée à peu près constant et homogène, il sera difficile de recycler les composites. Or, un des principaux intérêts des composites structuraux est d’être des matériaux de construction primaires conçus au cas par cas, en fonction de l’application. D’où une très grande variété de matériaux à traiter, avec de faibles volumes et des solutions de recyclage également à adapter au cas par cas.
Y a-t-il des raisons d’être optimiste sur notre capacité à instaurer des filières de recyclage efficaces malgré cette problématique du cas par cas ?
MFL : Les marchés évoluent vite. De nombreuses applications voient le jour pour lesquelles le coût du recyclage peut être compensé par le gain sur les matières premières, sans conséquence néfaste sur les performances. Les composites sont de plus en plus utilisés pour des pièces structurelles, ce qui entraîne une augmentation naturelle des volumes des gisements potentiels de composites à recycler. Ces gisements futurs sont assez bien localisés : ce sont les lieux où se trouvent les avions, les éoliennes, les infrastructures importantes… et nous connaissons les types de matériaux qui sont dedans. Dans ces cas, les circuits de démantèlement, de collecte et de traitement seront faciles à créer et à adapter. Le gros défi concernera les déchets banals, diffus, mal connus et hétérogènes. Mais même avec des tonnages faibles par rapport à d’autres matériaux, les filières pourront s’organiser et être rentables.
Il s’agit de situations qui ne se présenteront pas avant quelques années. Pourquoi déjà s’intéresser à ce sujet ?
MFL : Ces filières ne seront rentables que si, en amont, les solutions techniques aux problèmes rencontrés ont été validées. Les prétextes de type « ce n’est pas rentable aujourd’hui », « les filières n’existent pas » ou « les flux sont trop faibles » ne doivent pas être des freins à la recherche de solutions. Sinon, le jour où les volumes deviendront vraiment significatifs et où les contraintes environnementales seront très fortes, nous n’aurons ni les solutions techniques, ni les filières. Nous n’aurons pas avancé et la seule solution proposée sera : « Il ne faut plus fabriquer de composites ! ». Les volumes n’existent pas encore, mais nous pouvons les prévoir, les anticiper, imaginer les logistiques à mettre en place, et nous préparer en parallèle du travail scientifique et technique encore à mener.
*Le projet Interreg V France Wallonie Flandres RECY-COMPOSITE, soutenu par l’Union Européenne et la Région Wallone, est mené conjointement par Certech, VKC, CTP, CREPIM, ARMINES et IMT Lille Douai.
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