Comment le projet SEAS redéfinit le marché de l’énergie

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SEAS, ITEA

La transition énergétique se traduit par de nouveaux modes de production et de consommation de l’énergie. Le projet européen SEAS coordonné par Engie entend bien favoriser ces changements pour aboutir à un marché de l’énergie plus responsable. En facilitant l’intégration de nouveaux acteurs économiques pour mieux redistribuer l’énergie, et en augmentant les possibilités de gestion offertes aux particuliers, SEAS veut inventer les usages de demain en matière énergétique. Autant de perspectives rendues possibles grâce aux contributions des chercheurs de plusieurs écoles de l’IMT (IMT Atlantique, Mines ParisTech, Mines Saint-Étienne, Télécom ParisTech et Télécom SudParis). Parmi ces contributions, deux innovations sont portées par IMT Atlantique et Mines Saint-Étienne.

 

« De plus en plus de personnes installent chez elles des outils de production d’énergie, comme des panneaux solaires. Cela casse le modèle énergétique classique producteur-distributeur-consommateur. » Cette redéfinition des acteurs de la chaîne énergétique mise en avant par Guillaume Habault, chercheur en sciences de l’information à IMT Atlantique, est au cœur de la problématique à laquelle tente de répondre le projet Smart Energy Aware Systems (SEAS). Terminé en décembre dernier après trois ans d’activité, ce travail de recherche mené dans le cadre du programme européen ITEA a rassemblé 34 partenaires dans 7 pays, dont l’IMT en France. Le projet SEAS recevait le 11 mai dernier un prix ITEA Award of Excellence pour récompenser la qualité des résultats obtenus.

Si le projet est prometteur, c’est qu’il ne concerne pas seulement les particuliers souhaitant pratiquer l’autoproduction à partir de panneaux photovoltaïques. Les nouvelles installations, comme les éoliennes, amènent de nouvelles sources d’énergie à l’échelle locale. Mais pour les acteurs de la chaîne tels que les gestionnaires de réseau, cela crée des complications : ces productions sont erratiques, car dépendantes des saisons ou de la météo. Or il est important d’être capable de prévoir la production d’énergie à très court terme pour être certain que tout consommateur soit fourni. Surestimer la production d’un champ éolien ou d’un quartier équipé de panneaux solaires, c’est prendre le risque de ne pas prévoir assez d’énergie pour combler le manque de production, et au final générer des coupures de courant chez les habitants. « À l’inverse, la sous-estimer revient à devoir stocker ou acheminer ailleurs le surplus d’énergie. Si mal planifié, cela peut engendrer des problèmes sur le réseau, voire réduire la durée de vie de certains équipements » avertit le chercheur.

 

Une architecture pour une gestion intelligente de la grille énergétique

Un des résultats de SEAS est une architecture de communication capable de récupérer localement toutes les informations des différents modes de production et de consommation, quasiment en temps réel. « L’idéal est de pouvoir informer le réseau par tranche d’environ une heure : c’est une durée qui évite d’avoir des informations trop précises sur les consommations des usagers, tout en pouvant anticiper les cas de sur- ou de sous-consommation » détaille Guillaume Habault, développeur de cette architecture.

Pour les particuliers, SEAS pourra se traduire par un équipement électrique capable de remonter les informations de consommation et de production à leur distributeur d’électricité. « Ce genre de données permettra à chacun d’optimiser sa facture » explique le chercheur. Et de poursuivre : « En connaissant parfaitement la demande en énergie et la production locale à un instant t, un habitant pourra savoir s’il préfère stocker l’énergie qu’il produit, ou la redistribuer sur le réseau. Il pourra également choisir avec l’aide du réseau — selon par exemple le prix de l’électricité — à quelles heures il lui sera plus économique de charger sa voiture électrique. »

Ces données sur l’état d’un sous-réseau permettent d’envisager l’émergence d’acteurs, dits « opérateurs de flexibilité ». D’abord parce qu’optimiser sa consommation en adaptant l’usage de chaque appareil électrique de la maison nécessite du matériel approprié et prend du temps. S’il est facile de prédire que chaque jour l’énergie est plus chère aux heures de forte demande — comme le soir — il devient plus difficile d’anticiper le prix de l’électricité en fonction de la force du vent soufflant sur un champ d’éoliennes situé à plusieurs dizaines de kilomètres. Il y a ainsi fort à parier qu’avec l’équipement adéquat, certains particuliers seront enclins à déléguer l’optimisation de leur consommation à des entreprises tierces.

Ensuite parce que les perspectives de gestion intelligente de l’énergie offertes par SEAS dépassent le cadre individuel. Si les habitants d’une maison sont en vacances, ne pourrait-on pas envisager d’utiliser la production de leurs panneaux solaires pour alimenter le quartier et décharger ainsi la demande sur une centrale située à une centaine de kilomètres ? Autre exemple : les réfrigérateurs ont un fonctionnement périodique, ils ne refroidissent pas en permanence mais par intervalle. À l’échelle d’un quartier ou d’une ville, il serait donc envisageable de décaler intelligemment le démarrage d’un ensemble de ces appareils en dehors des heures de pointe par exemple, afin que le réseau déjà fortement sollicité puisse être concentré sur les chauffages mis en route aux horaires de retour du travail.

Les entreprises sont particulièrement friandes de ce genre de services. L’effacement de consommation leur permet de temporairement éteindre des machines non essentielles à leur service contre une rétribution de la part des acteurs chargés de cet effacement. L’architecture SEAS intègre les questions de sécurité des communications afin d’assurer la confiance entre les acteurs. Les données personnelles sont notamment décentralisées : chacun est propriétaire de ses propres données et décide non seulement de laisser un opérateur de flexibilité y avoir accès, mais aussi de leur granularité et du niveau d’utilisation. « Un particulier acceptera sans souci que son réfrigérateur refroidisse à des heures différentes de celles habituelles, mais pas qu’on lui coupe sa télé lorsqu’il est en train de la regarder, schématise Guillaume Habault. Et une entreprise souhaitera encore plus rester en contrôle des machines qui sont éteintes ou non. »

 

Des objets qui parlent la même langue

Afin de parvenir à une gestion aussi performante des grilles énergétiques, le projet SEAS s’est appuyé sur l’expertise en web sémantique de Mines Saint-Étienne. « Le web sémantique est un ensemble de principes et de formalismes qui ont pour but de permettre aux machines d’échanger des connaissances sur le Web » résume Maxime Lefrançois, chercheur responsable du développement du modèle de connaissances du projet SEAS. Ce modèle de connaissances est le langage pivot qui permet aux objets d’être interopérables dans un contexte de gestion des réseaux d’énergie.

« Jusqu’à présent, chaque constructeur avait sa propre manière de décrire le monde, et les machines de chaque entreprise évoluaient dans un monde qui leur était propre. Dans le cadre de SEAS, nous avons utilisé les principes et formalismes du web sémantique pour fournir aux machines le vocabulaire qui leur permet de ‘discuter énergie’, d’utiliser des données ouvertes existantes par ailleurs sur le Web, ou de faire appel à des algorithmes d’optimisation innovants exposés sur le Web », pointe le chercheur. En d’autres termes, SEAS propose un langage commun permettant à chaque entité d’interpréter un message donné de la même manière. Concrètement, cela passe par attribuer à chaque objet une adresse URL, vers laquelle il est possible d’aller afin d’obtenir des informations sur celui-ci, notamment pour savoir ce qu’il peut faire et comment communiquer avec lui. Maxime Lefrançois ajoute : « Nous avons également contribué aux principes et formalismes du web sémantique avec une série de travaux qui visent à le rendre plus accessible aux entreprises et concepteurs de machines, de sorte qu’ils puissent adapter leurs services web et machines existants au modèle SEAS à moindre coût ».

 

Illustration de l'apport du modèle de connaissances SEAS. Il permet de recouper les informations pour une meilleure gestion de l'énergie.

(cliquez pour zoomer) Illustration de l’apport du modèle de connaissances SEAS. Il permet de recouper les informations pour une meilleure gestion de l’énergie.

 

Pour reprendre un exemple précédent, l’utilisation de cette extension du web permet par exemple d’adapter deux réfrigérateurs de marques différentes pour qu’ils puissent dialoguer, s’accorder sur leur fonctionnement, et éviter de déclencher un pic de consommation en se mettant en route en même temps. En termes de services, c’est grâce à cela que des opérateurs de flexibilité pourront développer des solutions sans être limités par des langages spécifiques aux marques. Quant aux constructeurs, ils y voient l’opportunité de proposer des solutions de gestion de la maison qui ne se limitent pas qu’à leurs simples appareils.

Grâce au web sémantique, les communications entre machines peuvent plus facilement être automatisées pour améliorer le service de gestion énergétique proposé au consommateur. « Tous ces travaux permettent d’envisager un déploiement à grande échelle » assure Maxime Lefrançois. Dès lors, différents niveaux de gestion sont envisageables : à l’échelle de la maison d’abord, pour coordonner les appareils entre eux ; au niveau du quartier ensuite, en permettant de redistribuer l’énergie produite par chaque particulier en fonction de la demande des voisins ; et à une dimension régionale voire nationale enfin, en coordonnant des effacements de consommation globaux pour délester les réseaux en cas de périodes de grand froid par exemple. C’est donc bien sur tous les plans que les résultats du projet SEAS pourraient changer la donne, et offrir de nouveaux modes de consommation de l’énergie, plus responsables.

 

Cet article fait partie de notre dossier Numérique et énergie : des transitions inséparables !

 

 

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SEAS remporte un « ITEA Award of Excellence for Innovation and Business impact »

Coordonné par Engie et dont l’un des principaux partenaires académiques était l’IMT, SEAS a remporté le 11 mai dernier un prix d’excellence au Digital Innovation Forum 2017 à Amsterdam. Ce prix distingue la pertinence de l’innovation en termes d’impact sur l’industrie.

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