Le télétravail, entre espoirs, peurs et désillusions
Pourtant encensé par de nombreux rapports, le télétravail peine à s’imposer dans les pratiques des entreprises. Et pour cause, ni celles-ci, ni les salariés ne semblent y trouver leur compte. Début 2016, une publication co-signée par Virginie Lethiais (Télécom Bretagne, Marsouin) présentait les raisons de ce désamour à partir d’une étude sur les PME et salariés de la région Bretagne.
Pourquoi le télétravail séduit-il si peu ? En 2009, le centre d’analyse stratégique estimait à 30 % la part de population active pouvant bénéficier de cette pratique. Il prévoyait également un chiffre de 50 % pour 2015. Pourtant, malgré l’évocation d’avantages en termes de qualité de vie du salarié ou de gain d’efficacité pour l’entreprise, seuls 8 % des actifs ont recours au télétravail — dont 3 % seulement de façon régulière. Trouver les causes de cette dichotomie constitue un des travaux de recherche de Virginie Lethiais, économiste à Télécom Bretagne.
Pour cela, elle s’est associée à Anne Aguiléra et Laurent Proulhac du laboratoire Ville mobilité transport de l’Ifsttar, ainsi qu’à Alain Rallet du laboratoire Réseau, innovation, territoire et mondialisation de l’université Paris Sud. Ensemble, les quatre chercheurs ont collecté en 2012 des données représentatives sur les PME et les salariés de la région Bretagne, et les ont couplées à l’enquête nationale transport et déplacements (ENTD) réalisée par l’Insee en 2008. Les résultats et conclusions tirées de ces travaux ont fait l’objet début 2016 d’une publication dans la Revue d’économie régionale et urbaine.
Réticence des PME face au télétravail
Les scientifiques ont ainsi mis en évidence l’existence de nombreux freins au développement du télétravail, en premier lieu du côté des entreprises. Pour celles-ci, « le principal inconvénient vient de l’apparente nécessité de réorganiser le travail » indique Virginie Lethiais. Une modification structurelle qui représenterait des coûts pour l’entreprise, et freinerait ainsi les ardeurs de développement de 58 % des PME consultées. Dans le détail, c’est essentiellement l’absence du salarié des locaux de l’entreprise qui gêne. L’employeur perçoit en effet la soustraction de la personne à son contrôle physique comme un désavantage. Les firmes considèrent aussi que la réduction des interactions entre salariés est une limite.
De ces inconvénients résulte une réticence des PME à intégrer le télétravail dans leurs pratiques. Seuls 12 % des entreprises étudiées accueillent un salarié travaillant au moins une demi-journée à domicile ou dans un bureau distant. Et parmi elles, 41 % n’en accueillent qu’un seul. Une disparité d’autant plus accentuée par un paramètre crucial : la culture d’entreprise. « Les PME qui adoptent le télétravail ont souvent des salariés nomades, et ont donc l’habitude de gérer des individus hors des locaux » pointe ainsi Virginie Lethiais. Dans ce cas-là, l’adoption de la pratique est plus aisée, puisqu’elle ne demande pas de changer les pratiques de management.
Il serait tentant de croire que les freins propres aux entreprises se lèveront au fur et à mesure que les entreprises tenteront l’expérience du télétravail. Les données accumulées par l’étude ne vont pas dans ce sens, bien au contraire. Parmi les PME bretonnes s’étant essayées à la pratique, plus des trois quarts déclarent ne pas vouloir développer le télétravail plus avant. Près de 4 % souhaitent même le réduire !
Atouts pour les salariés : chimère ou réalité ?
Si les entreprises restent encore à convaincre, qu’en est-il des salariés ? Les bienfaits avancés — notamment vis à vis de l’équilibre entre vie privée et professionnelle — sont-ils réels ? Les réponses des salariés interrogés lors de l’enquête sont mitigées. « Seulement 12 % des individus qui télétravaillent à leur domicile déclarent que cela leur permet de mieux équilibrer leur vie privée et leur vie professionnelle » est-il ainsi précisé dans la publication. De plus, la littérature scientifique déjà présente sur le sujet rapporte des dangers d’envahissement de la vie privée. Le second argument bien souvent avancé est celui de l’efficacité de l’employé, prétendument accrue lorsqu’il travaille chez lui. Or les données accumulées par les chercheurs ne permettent pas de confirmer ce point. Les salariés bretons ayant recours au télétravail ne sont que 22 % à considérer qu’ils sont plus efficaces depuis leur domicile.
Quels avantages les télétravailleurs voient-ils alors à se tourner vers cette pratique ? « Cela dépend du temps de trajet » répond Virginie Lethiais. Selon les travaux des chercheurs, la part des télétravailleurs à domicile varie assez peu en fonction de la taille du lieu de résidence ou de son caractère urbain, périurbain ou rural ; sauf à Paris où cette part atteint plus du double de la moyenne nationale, probablement à cause de la concentration des professions supérieures — plus favorables au télétravail — et des difficultés de déplacement. En revanche, un effet de seuil est observé sur le paramètre du temps de déplacement domicile-travail en région parisienne. « La part de télétravailleurs atteint 13 % lorsque ce temps dépasse 60 minutes » écrivent ainsi les auteurs de la publication. Un effet également observé en Bretagne, où « le télétravail au sens large ne croît pas linéairement avec la distance, mais la pratique est plus fréquente dès qu’on passe le seuil d’un trajet domicile-travail de plus de 30 minutes ».
Quel avenir pour le télétravail ?
La résolution des problèmes de congestion dans les métropoles pourrait alors être la seule conséquence unanimement reconnue au télétravail. Cependant, les premiers bénéficiaires d’une amélioration de la fluidité des transports ne seraient ni les entreprises, ni les salariés — qui par leur pratique du télétravail resteraient chez eux et ne profiteraient pas du désengorgement des axes routiers. Ce sont plutôt les pouvoirs publics, villes et régions en tête, qui tireraient principalement parti d’une telle mutation.
Or, les travaux des chercheurs montrent bien que ce ne sont pas les acteurs des politiques publiques locales qu’il faut convaincre pour développer le télétravail, mais bien les salariés et les PME. Faut-il alors adopter une législation plus stricte pour inciter voire même contraindre les entreprises à adopter ce mode d’organisation du travail ? Cette idée entre en fait en contradiction directe avec les modes d’adoption du télétravail au sein des structures entrepreneuriales. La majorité des entreprises recourant à cette pratique le fait de façon informelle. Ainsi, sur les PME étudiées, seulement 41 % d’entre elles ayant des employés en télétravail l’ont inscrit au contrat de travail de leurs salariés. 11 % n’ont même pas l’intention de le faire.
Cette absence de cadre juridique semble bénéficiaire aux deux partis : non seulement l’entreprise n’a pas à se soucier d’adapter ses assurances ou de fournir un matériel particulier à son salarié, mais ce dernier n’a pas non plus l’impression de se retrouver dans une position plus fragile qui pourrait lui être défavorable en cas de difficulté financière de son employeur. Dans ces conditions, l’essor du télétravail apparaît délicat. Non seulement car l’imposer apparait contre-productif si ni les entreprises, ni les salariés ne le plébiscitent ; mais aussi car cela pourrait étouffer des pratiques informelles naissantes. Bien confiant serait donc celui ou celle qui pourrait prédire avec certitude l’évolution du télétravail dans les années à venir…
Bonjour, c’est un article très intéressant. Merci. Je crois que le télétravail est une solution parmi d’autres pour répondre à l’évolution du marché du travail comme le travail en espaces partagés/ coworking ou le temps partiel/ partagés ou encore le freelancing. C’est ce que je mets en place sur la première plateforme de recrutement dédiée aux nouvelles formes de travail : flexjob.fr.
Nous répondons aux besoins de flexibilité, d’attractivité et de productivité des entreprises tout en répondant aux besoins de souplesse, d’épanouissement et de reconnaissance au travail des hommes et des femmes. Jérémie