XENON1T : chasseur de matière noire grand format

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Cinq à six fois plus présente que la matière ordinaire, la matière noire reste l’une des grandes énigmes de notre univers. Invisible, inobservable, elle ne cesse de défier les physiciens du monde entier. Pour la déceler et l’étudier, Dominique Thers et son équipe de Subatech ont rejoint le projet XENON en 2009. Le 11 novembre 2015, dans les entrailles de la montagne du Gran Sasso en Italie, les chercheurs de ce programme ont lancé le détecteur de matière noire le plus sensible jamais mis au point : XENON1T.

 

Dispositif de détection de la matière noire.

XENON1T est le dispositif de détection de la matière noire de plus grande ampleur construit jusqu’à présent.

 

Qu’est ce qui constitue la matière noire ? Comment l’observer ? Sommes-nous au moins certains de son existence ? Autant de questions qui alimentent la controverse scientifique depuis des décennies. Pour Dominique Thers la réponse à la troisième question est catégorique : « L’observation de certains phénomènes dans notre univers ne laisse place à aucun doute sur l’existence de la matière noire ». Et pour cause : depuis 2009 ce chercheur du laboratoire Subatech — sous tutelle de Mines Nantes, de l’université de Nantes et du CNRS — traque la matière noire. Les premiers indices remontent aux années 1930, quand un astronome suisse nommé Fritz Zwicky mesure la vitesse de sept galaxies dans la constellation de la Chevelure de Bérénice. Or les données relevées posent problème ; si les vitesses observées sont exactes, alors les masses des galaxies doivent être plus importantes que celles de la matière visible qui les compose. Il émet donc l’hypothèse qu’elles seraient également constituées d’une masse invisible : c’est la matière noire.

Presque un siècle plus tard, les astronomes ont accumulé d’autres preuves, notamment grâce au satellite Planck, leur permettant de renforcer cette idée devenue certitude. Mais toutes ces observations sont indirectes, puisqu’il s’agit de déduire la présence de cette matière énigmatique par des phénomènes qui ne la révèlent pas vraiment. Alors pour définitivement lever le voile sur cette matière noire, le programme de recherche XENON a décidé de monter un dispositif expérimental d’une ampleur inégalée jusqu’à présent. Son nom ? XENON1T. Fruit d’une collaboration de plusieurs années entre 21 équipes internationales rassemblant plus de 120 chercheurs, dont Dominique Thers et ses collègues de Subatech, il a été inauguré le 11 novembre dernier au cœur de l’Italie.

 

equipe xenon subatech

L’équipe « Xénon » du laboratoire Subatech, une des 21 équipes travaillant à la détection de la matière noire dans le programme XENON.

 

Le WIMP, un candidat de choix

Le programme XENON part du principe que de toutes les hypothèses actuelles concernant la nature de la matière noire, la plus probable est celle des WIMPs — acronyme anglais pour particules massives de faible interaction. Les WIMPs seraient des particules de matière, mais différentes des baryons qui rassemblent entre autres les protons et les neutrons, constituants élémentaires des noyaux atomiques. À l’inverse des baryons, les WIMPs réagiraient très faiblement avec la matière classique de par leur minuscule surface d’interaction, mais auraient une masse très importante, expliquant qu’ils ne soient pas observables mais pourtant capables de résoudre le problème de la masse invisible de l’univers.

Peu d’interaction ne signifie pas aucune cependant. Et c’est dans cette nuance que les chercheurs trouvent leur point de départ. Car bien que très faible, la probabilité qu’un WIMP entre en contact avec le noyau d’un atome ou un électron gravitant autour existe bel et bien. L’enjeu est alors de faire en sorte que ce choc se produise sous les yeux des scientifiques. Ou plutôt sous les yeux de leurs instruments, puisque la détection de ce phénomène demande un outillage bien particulier.

Le choc attendu

XENON1T est en réalité un immense caisson rempli d’une tonne de l’élément chimique xénon, maintenu à l’état liquide à une température avoisinant -100 °C. Au-dessus de celui-ci, une fine couche de xénon à l’état gazeux. La clé, c’est qu’un WIMP interagisse avec le xénon dans le caisson. « Quand une particule de matière noire entre en collision avec le xénon, celui-ci se dimérise grâce à l’énergie fournie par le choc » explique Dominique Thers. Autrement dit : deux atomes isolés de xénon s’associent pour former une molécule de dixénon. Mais cet état est transitoire, car instable. Rapidement, la molécule va se séparer pour redonner deux atomes de xénon isolés et inertes. Mais puisque de l’énergie avait été consommée pour lier les deux atomes, de l’énergie est émise lorsqu’ils se séparent — « rien ne se perd » disait Antoine Lavoisier. Et cette énergie est restituée sous la forme d’un photon. Autrement dit, de lumière.

« Ce signal lumineux dit « de scintillation » est détecté par des instruments situés au-dessus et en-dessous du caisson de xénon liquide, et constitue le premier signal que nous relevons » précise Dominique Thers. Mais ce n’est pas tout : le choc entre le WIMP et l’atome provoque le recul du noyau et des électrons du xénon, qui en se se freinant ionisent le xénon sur leurs trajectoires. Si d’habitude un électron arraché revient vers son noyau d’origine, les chercheurs l’en empêchent cette fois en appliquant un champ électrique au dispositif. Les électrons sont donc forcés de suivre ce champ et remontent jusqu’au sommet du caisson, où ils passent dans la phase gazeuse, émettant par la même occasion un second signal, dit « d’ionisation ». Pour Dominique Thers, « les deux signaux permettent de déterminer la nature de la particule à l’origine du choc avec une très grande précision ».

 

Schéma explicatif (en anglais) de l'expérience XENON1T : interaction de la mtière noire avec le xénon liquide.

Schéma explicatif (en anglais) de l’expérience XENON1T.

 

Enfoui sous la montagne

Le problème, c’est que les WIMPs ont de sérieux concurrents. Bon nombre de particules issues des rayons cosmiques qui bombardent chaque jour la Terre interagissent avec la matière ordinaire, et pour leur part de façon bien plus fréquente que les WIMPs. Pour se protéger de ces particules parasites, la collaboration XENON a décidé de s’enfouir à 1 400 mètres sous le massif du Gran Sasso dans les Apennins, au sein du plus grand laboratoire sous-terrain au monde : le laboratoire national du Gran Sasso (LNGS). Seules des particules n’interagissant que très peu avec la matière ordinaire — comme celles de matière noire — peuvent traverser la roche et arriver jusque-là.

Malgré ces précautions, il reste toujours des signaux résiduels non voulus, du « bruit ». Et c’est justement pour limiter celui-ci que les chercheurs ont décidé de déployer un protocole impliquant une tonne de xénon liquide. « Le premier prototype, XENON10, ne contenait que 10 kg de xénon, puis en 2009 nous sommes montés à 100 kg avec XENON100 » se souvient Dominique Thers. « Plus le volume augmente, plus nous avons de probabilités de détecter un choc » ajoute-t-il. La montée en gamme du détecteur sur un volume associé à une masse d’une tonne permettra d’affiner suffisamment les résultats pour faire de lui le détecteur le plus performant du monde. Ainsi XENON1T, successeur de XENON100 et de XENON10, « améliorera la précision des observations d’un facteur 100 par rapport aux limites actuelles » indique le coordinateur de l’équipe de Subatech.

Les chercheurs ont donc bon espoir de finalement détecter la particule de matière noire tant attendue : « Nous espérons des résultats dans les premiers mois d’exposition du détecteur » déclare, optimiste, Dominique Thers. Jusqu’alors, les physiciens ont toujours progressé en éliminant des hypothèses et en espérant arriver à une seule possibilité.

L’observation d’une interaction avec le xénon représenterait une avancée considérable car elle permettrait de dresser la carte d’identité des particules constituantes de cette matière si mystérieuse, pourtant cinq fois plus présente dans l’univers que la matière ordinaire. Et si jamais XENON1T n’arrivait pas à remplir son objectif, les chercheurs du laboratoire sous-terrain du Gran Sasso ont déjà prévu de passer au gabarit supérieur. En 2018, XENON1T deviendra XENONnT, quintuplant son poids en xénon liquide.

Tunnel d'accès au laboratoire national du Gran Sasso, qui abrite l'expérience XENON1T de détection de la matière noire.

Tunnel d’accès au laboratoire national du Gran Sasso.

 

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  1. […] L’homogénéité de la détection n’est pas le seul avantage de ce scanner nouvelle génération. « Les produits d’injection traditionnels, comme ceux à base de fluor 18, émettent deux rayons gamma diamétralement opposés » détaille Dominique Thers. « Lorsqu’ils entrent en contact avec le xénon autour du patient, deux choses se produisent : une lumière est émise, et un courant électrique est produit. » C’est cette détection du choc avec le xénon qui est directement issue de la méthode de traque d…. […]

  2. […] Pour comprendre le fonctionnement du détecteur XENON1T, lire notre article dédié : XENON1T : chasseur de matière noire grand format […]

  3. […] down dark matter is located in Italy, where it was built under the mountain of Gran Sasso for the XENON1T experiment. Detection is based on the hope of an interaction between a particle of dark matter and one of the […]

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