Faire payer (plus) les entreprises pour qu’elles réduisent les emballages
Tribune publiée initialement sur The Conversation. Par Matthieu Glachant et Simon Touboul, Mines ParisTech.
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[dropcap]M[/dropcap]ettre sur le marché des produits conditionnés dans des emballages plus légers, plus faciles à trier et moins polluants semble une façon intelligente de réduire les déchets. La législation française place d’ailleurs la réduction à la source au premier rang d’une hiérarchie des modes de traitement des déchets, devant le réemploi, le recyclage et bien sûr, l’incinération et la mise en décharge.
Reste à inciter les entreprises de la grande consommation à « écoconcevoir » leurs produits. Il existe depuis trente ans un instrument pour le faire, appelé la responsabilité élargie du producteur (REP). Malheureusement, son potentiel demeure insuffisamment exploité.
Les emballages taxés au poids
Depuis 1992, l’État oblige les entreprises qui mettent sur le marché des produits emballés à prendre en charge l’organisation et le financement de la gestion des déchets d’emballages. Chaque entreprise n’exerce pas individuellement cette responsabilité – on imagine mal un producteur de yaourts s’occupant dans nos poubelles des seuls pots vendus sous sa marque – mais adhère à l’éco-organisme Citéo qui porte concrètement cette responsabilité en soutenant notamment les municipalités gérant le service public des déchets ménagers.
Aujourd’hui, chaque entreprise de la grande consommation paye donc une écocontribution à Citéo pour financer la fin de vie des emballages qu’elle met sur le marché. Le niveau de cette contribution dépend notamment du poids des emballages et des matériaux utilisés.
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Elle paie par exemple 35 centimes par kilogramme d’emballages plastiques, 1,4 centime par kilogramme pour le verre ou 25 centimes pour le kilogramme de brique en papier carton. Cette écocontribution au poids influence potentiellement les décisions de conception des emballages. En l’occurrence, pour diminuer le montant de son écocontribution, l’entreprise sera incitée à réduire le poids des emballages et à opter pour des matériaux dont le taux est comparativement plus faible. Le niveau effectif de l’incitation dépendra évidemment du niveau des taux.
Des écocontributions deux fois trop faibles
Dans une étude récente, nous avons cherché à estimer si ces taux étaient fixés au bon niveau. Le critère choisi pour cette évaluation est issu de la théorie économique de l’internalisation des coûts externes. Celle-ci prédit que le conditionneur prendra une décision optimale du point de vue de l’intérêt général si le niveau de l’écocontribution par emballage est égal à son coût externe. C’est-à-dire à la somme du coût économique de son traitement en fin de vie et des coûts environnementaux qu’il génère.
Ce coût est qualifié d’externe car non payé directement par le conditionneur. L’intuition derrière cette théorie est que l’internalisation intégrale de ce coût via la contribution conduira l’entreprise à écoconcevoir son produit, en prenant en compte la totalité des conséquences de son choix pour la société, et pas le seul profit tiré de la vente du produit.
Des données de l’ADEME et de BEE nous ont fourni l’information nécessaire pour calculer le coût économique de gestion des déchets d’emballages et leur impact environnemental. Nous avons ensuite utilisé le Handbook Environmental Prices et des données collectées par le WWF pour traduire les impacts environnementaux, y compris la pollution marine, en euros.
Enfin, la somme de ces coûts a été comparée au niveau des écocontributions. Cet exercice a été réalisé pour 2014, année la plus récente pour laquelle les données disponibles permettent une évaluation rigoureuse. Les (nombreuses) hypothèses sur lesquelles reposent les estimations sont décrites dans l’étude et un tableur permet de répliquer les calculs.
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Le niveau global des écocontributions apparaît comme deux fois trop faible pour orienter efficacement l’écoconception. Elles n’internalisent en effet que 43 % du coût externe de l’emballage. En multipliant ce taux par les quantités concernées, le coût externe qui n’est pas pris en charge par les entreprises est alors proche de 900 millions d’euros par an.
Un montant qui pèse sur les collectivités qui gèrent les déchets, mais surtout sur ceux qui subissent la pollution. À des degrés divers, cette internalisation est insuffisante pour tous les matériaux. L’acier génère un déficit supérieur à celui du plastique, le matériau qui fait débat aujourd’hui, lui-même du même ordre de grandeur que celui du verre.
Les taux appliqués aux différents matériaux ne sont en outre pas en cohérence avec les coûts économiques de leur fin de vie et leurs impacts environnementaux. Ainsi l’écocontribution payée pour un emballage en verre ne couvre que 12 % de son coût externe, et même 8 % pour l’acier, loin derrière le plastique (63 %) et le papier carton (62 %).
Ces différences ont des origines multiples. Prenons l’exemple d’une bouteille d’un litre. En verre, elle est dix fois plus lourde qu’en plastique et les données que nous utilisons montrent que cela la conduit à être plus coûteuse économiquement et environnementalement, notamment en termes d’émissions de CO2. À cela s’ajoute une écocontribution par bouteille deux fois plus faible que pour une bouteille en plastique. Cet exemple nous rappelle incidemment que la réduction du plastique ne doit pas se faire au profit d’autres matériaux qui, eux aussi, dégradent l’environnement. Le dispositif conduit alors à des efforts d’écoconception trop modestes et dans des directions qui vont à l’encontre de la réduction du coût économique et environnemental des déchets d’emballages.
Élargir la REP à la prévention
La REP emballages ne prévoit pas aujourd’hui l’internalisation des coûts environnementaux : elle est principalement dédiée au financement du coût économique de la fin de vie des emballages et du recyclage. Ses missions en matière de prévention sont réduites au minimum, le cahier des charges de Citéo se limitant à demander que l’éco-organisme « contribue aux objectifs nationaux relatifs à la prévention des déchets », notamment « en proposant des actions de conseil à ses adhérents ».
Dépasser cette logique de financement permettrait pourtant d’accélérer en amont la réduction des emballages. Comme le montre notre analyse, l’instrument et les données pour le faire sont disponibles. Reste à ce que l’État s’engage davantage dans la gouvernance de la REP pour qu’elle devienne un instrument plus incitatif assurant la vérité des coûts économiques et environnementaux de l’emballage.
La loi sur l’économie circulaire qui vient d’être adoptée par l’Assemblée Nationale autorise que les écocontributions puissent « être supérieures au montant de la contribution financière nécessaire à la gestion des déchets ». Elle crée ainsi les conditions juridiques pour passer à la pratique.
[divider style= »normal » top= »20″ bottom= »20″]Matthieu Glachant, Professeur d’économie, Mines ParisTech et Simon Touboul, Doctorant, Mines ParisTech
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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