Le chanvre, un atout pour des composites plus éco-responsables

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Depuis une vingtaine d’années, les industries européennes et françaises montrent un intérêt croissant pour les fibres végétales, comme le chanvre. Elles ne manquent pas d’atouts pour la fabrication de matériaux composites, en leur apportant en particulier légèreté et impact environnemental réduit par rapport aux fibres de verre communément utilisées.

Parmi les fibres végétales, le lin et le chanvre apparaissent nettement comme les fibres « eco-friendly » par excellence. Mais avant de se retrouver sous la forme de fibres textiles, celles-ci doivent subir une série de transformations depuis le champ jusqu’à la filature. L’une de ces étapes est l’opération de rouissage en champ.  « Le rouissage en champ consiste à couper des tiges végétales et à les mettre en contact avec le sol pendant deux à dix semaines », explique Luc Malhautier, chercheur à IMT Mines Alès et spécialisé dans la gestion d’écosystèmes microbiens.

« Cela favorise le développement de micro-organismes comme les bactéries et les champignons filamenteux, qui assurent la dégradation de polymères naturels, comme la pectine et l’hémicellulose, liant les fibres entre elles au sein des tiges », poursuit le chercheur. Anne Bergeret, également chercheuse à IMT Mines Alès, et spécialisée quant à elle dans le domaine des matériaux polymères et composites, précise l’intérêt de cette étape : « La séparation des fibres de l’écorce de la tige est alors facilitée lors de l’étape suivante appelée ‘teillage’. » La fibre longue teillée est ensuite peignée, avant d’arriver en filature pour produire un textile, qui servira de renfort pour l’élaboration d’un matériau composite.

Le rouissage au champ : un bioprocédé mal connu, voire empirique

Malgré son importance, le rouissage des tiges végétales reste toutefois un bioprocédé mal connu, voire empirique, qui dépend de nombreux paramètres extrinsèques, comme la nature des sol sur lesquels les tiges sont mises en contact, les conditions météorologiques, la période de récolte des tiges, la durée de rouissage… Ces différents paramètres impliquent une variation de la composition des communautés microbiennes qui se développent au cours du rouissage. La qualité des fibres végétales que l’on extrait de ces tiges peut donc varier grandement, car elle est liée à l’activité des micro-organismes. Or les performances, en particulier mécaniques, du matériau composite final sont très dépendantes de la qualité de ces fibres végétales.

Le changement de couleur a par exemple été identifié comme un critère d’identification des différents stades de rouissage. En effet, au début du processus de rouissage, les tiges sont vertes, puis elles deviennent plus noires au fil du temps. La résistance des tiges à la rupture est aussi un indicateur potentiel. « Il est important de surveiller les étapes du rouissage, car au bout d’un certain temps les micro-organismes ne dégradent plus seulement les hémicelluloses et les pectines, mais aussi les fibres de cellulose destinées à être extraites », souligne Luc Malhautier. Les performances mécaniques des fibres seront alors diminuées en cas de sur-rouissage. Par contre, si le rouissage est arrêté trop tôt (sous-rouissage), les fibres ne seront pas suffisamment désolidarisées pour être teillées facilement. 

En conséquence, « nous cherchons à comprendre quelles populations microbiennes sont réellement actives et quelles enzymes sont responsables de la dégradation des molécules qui composent les tiges », déclare Luc Malhautier. Les chercheurs vont donc essayer de comprendre, dans un premier temps, quelles sont les différentes populations microbiennes présentes au cours du rouissage. Pour cela, les scientifiques vont recueillir l’ADN du génome microbien à partir des tiges de chanvre à différents moments du processus. Grâce à la métagénomique (séquençage et analyse des séquences obtenues par bio-informatique), les chercheurs vont dans un second temps identifier quelles populations sont présentes et déterminer leurs abondances relatives. « Nous utilisons le séquençage haut débit, qui permet d’identifier la structure de la communauté microbienne en s’abstenant d’une étape d’isolement des micro-organismes au préalable », indique le chercheur.

Des verrous industriels à lever

La France est actuellement le leader européen de la production de chanvre avec environ 20 000 hectares cultivés en 2020. « Même si le chanvre est actuellement essentiellement cultivé en Normandie, région de culture du lin, c’est une plante qui peut être également cultivée dans des régions qui subissent de plus en plus le réchauffement climatique puisqu’elle ne nécessite de l’eau qu’au moment de la germination », pointe Anne Bergeret. Ainsi, « le chanvre commence aujourd’hui à s’implanter dans l’arc méditerranéen : on en retrouve également en Italie » précise Luc Malhautier. Et Anne Bergeret complète : « Il nous a donc semblé important de renforcer la culture du chanvre dans le sud de la France afin d’accroitre l’offre en fibres végétales sur le marché des matériaux composites, mais aussi des textiles en général, en complément de la culture du lin. »

Pour cela, deux thèses de doctorat ont été réalisées au sein d’IMT Mines Alès, co-dirigées par Anne Bergeret et Luc Malhautier. « La première thèse entre 2015 et 2018 a permis de relier les paramètres de rouissage avec les propriétés intrinsèques des fibres de chanvre », indique Anne Bergeret. « Une deuxième thèse de doctorat démarrée en 2020 porte sur le procédé biologique de rouissage en champ, et devrait permettre de mieux comprendre le rôle et l’action des micro-organismes dans le processus », ajoute Luc Malhautier.

Améliorer la connaissance d’ensemble du rouissage

Il existe d’autres techniques de rouissage en particulier le rouissage à l’eau qui n’est plus pratiqué en France depuis le début du XXe siècle. Des travaux ont été réalisés par IMT Mines Alès dans le cadre d’un projet avec l’université de Nîmes, l’université de Montpellier, l’université de Bourgogne, et financés par la Maison des sciences de l’Homme région sud. Cette dernière initiative vise notamment à analyser les documents historiques sur le rouissage à l’eau, une pratique qui a perdu en popularité au début du XXe siècle révélant une pratique nuisible pour l’eau et l’air.

Les sources historiques fournissent des indices sur les gestes et connaissances techniques, et permettent d’interroger l’ampleur réelle des pollutions causées par le rouissage. Pour cela, la chimie et la biologie étudient les impacts du procédé de rouissage sur l’environnement. L’objectif de ce projet a consisté à évaluer et mesurer la réalité du risque environnemental, en le qualifiant (origine chimique, microbienne, toxicologique) afin de le confronter aux discours des acteurs sociaux. Les recherches se sont aussi focalisé sur la dynamique temporelle des populations microbiennes et les propriétés mécaniques des fibres ainsi que leur composition biochimique, ce qui permettra de comparer ces données avec celles obtenues dans le cadre du rouissage en champ.

Contrairement au lin, les études sur le chanvre sont pour le moment peu nombreuses. Il reste donc à conduire des recherches sur différents aspects, autant biochimiques que physiques ou même historiques, pour améliorer la production des fibres de chanvre et la rendre peut-être plus adaptée aux attentes des industries. L’enjeu est important, car le chanvre pourrait constituer une ressource locale de qualité pour la production de matériaux composites plus éco-responsables, mais aussi des textiles techniques. Une aubaine à l’heure de la sobriété énergétique et environnementale !

Par Rémy Fauvel.

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