La compréhension de l’esthétique comme défi technologique

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Actuellement, des développeurs cherchent à concevoir des applications capables de trier les photographies en fonction de leurs qualités esthétiques. Dans son ouvrage Esthétique de la photographie numérique paru en février dernier, Henri Maître, professeur émérite et chercheur en traitement des images à Télécom Paris, dresse un état des connaissances sur l’esthétique et sa perception, de façon à discuter la pertinence de ces démarches informatiques.

 

L’évaluation des qualités esthétiques d’une photographie est aujourd’hui un enjeu économique, social et technique. C’est ce qu’évoque le professeur émérite et chercheur en traitement des images à Télécom Paris, Henri Maître, dans son livre Esthétique de la photographie numérique paru il y a deux mois. Il s’intéresse notamment à la place de l’intelligence artificielle dans la gestion des collections d’images. « La gestion des bases de données d’images est un domaine d’intérêt pour les développeurs d’intelligences artificielles », déclare Henri Maître. Lorsque les photographies foisonnent par centaines dans une galerie de smartphone, l’utilisateur peut être conduit à en effacer. Se pose la question de quelles images conserver. Ce problème est abordé par des développeurs qui tentent de mettre au point des algorithmes capables de sélectionner les images en fonction de leurs qualités esthétiques.

Pendant un évènement tel qu’un mariage, un photographe peut être amené à prendre des centaines de clichés. Une telle application pourrait l’aider à établir la collection d’images la plus susceptible de plaire à ses clients. « Les personnes qui font de la publicité peuvent également avoir besoin de savoir comment faire de belles images pour toucher les gens », pointe Henri Maître. Une fois les clichés pris par un photographe professionnel, les agences de publicité font appel à un expert qui va sélectionner la meilleure photographie. Le développement d’un logiciel de diagnostic des qualités esthétiques des images serait ainsi un gain financier et un gain de temps puisque l’application se substituerait à un expert.

Pour concevoir une telle application, il est avant tout nécessaire de savoir ce qui constitue « le beau » pour les personnes. C’est aussi l’objectif de sites spécialisés dans la photographie qui proposent à des amateurs ou à des professionnels de sélectionner ou noter les images qu’ils trouvent belles. Les résultats montrent que de façon générale leurs avis convergent. C’est à partir de ces sites et de leur expertise que sont constituées les bases d’apprentissage des algorithmes d’intelligence artificielle dits « experts en Beau ». Cependant les sites ne sont consultés que par une étroite communauté ce qui constitue un biais. De plus, les sites ne proposent pas de renseigner la nationalité, le milieu social, le niveau d’éducation des participants, alors que ces éléments jouent sur la sensibilité esthétique des individus.

Un thème philosophique antique

Selon les cultures, les critères artistiques ne sont pas les mêmes. « En Chine, les peintures représentent les élans vitaux, l’harmonie du peintre avec son tableau », indique Henri Maître. « En Perse, les représentations sont plus mystiques, le Beau est le monde tel que le voit le Créateur, la notion de beau est encore différente », ajoute-t-il. Cette notion a aussi évolué au cours de l’histoire. « Esthétique de la photographie numérique s’articule autour d’un débat philosophico-esthétique qui oppose subjectivisme et objectivisme », explique Henri Maître. Depuis plus de deux millénaires, les philosophes se sont demandé ce qui rendait une chose belle. L’objectivité, telle qu’elle a été proposée par des philosophes de la Grèce antique, postule qu’une chose qui est belle l’est pour tout le monde. La beauté d’une chose serait indépendante de la personne qui la regarde. « Une chose était considérée comme belle parce qu’elle vérifiait des propriétés d’harmonies et de proportions », indique le chercheur.

« Entre le XIIe et le XIVe siècle, les philosophes abandonnent l’approche objective du monde harmonieux pour imposer progressivement une approche subjectiviste », poursuit-il. Cette approche, qui considère que ce sont les individus qui choisissent chacun ce qu’ils perçoivent comme beau, ne s’est traduite dans le domaine de l’art qu’au XIXe siècle en occident avec l’émergence du Romantisme. À cette époque, tandis que la création de la photographie se substitue petit à petit aux portraits peints, des peintres choisissent de ne plus représenter le monde tel qu’il est mais tel qu’ils le perçoivent : c’est l’impressionnisme.

La neurologie pour appréhender la perception de l’esthétique

L’esthétique est aujourd’hui notamment étudiée par la neuro-esthétique : une discipline qui s’intéresse aux voies biologiques de la perception de l’art de manière scientifique. Celle-ci passe notamment par l’étude du cerveau avec des outils comme l’IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) ou l’électroencéphalographie. Grâce à ces techniques, il a été possible d’identifier quelles zones du cerveau s’activent en fonction des différents stimulus. Les scientifiques ont par exemple remarqué que lorsqu’un individu aperçoit une chose qu’il trouve belle, les aires impliquées dans le système de récompense, qui est lié à la sensation de plaisir, s’activent. Les aires impliquées dans les souvenirs auraient également un rôle à jouer dans la perception de l’esthétique. Cependant « on est apte à voir les régions actives du cerveau mais on ne sait pas quelles sont leurs relations entre elles », explique le chercheur. Selon Henri Maître « les outils de la neuro-anatomie sont encore insuffisants pour analyser le fonctionnement du cerveau ». L’amélioration des outils d’imagerie médicale est donc nécessaire et permettrait notamment de suivre la chronologie de l’activité neuronale lors de la perception du Beau.

 

Rémy Fauvel

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