En pleine crise, l’hôpital s’organise grâce à la simulation numérique

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Représentation visuelle du LivingLab, pour développer un jumeau numérique des personnes agées

Thierry Garaix et Raksmey Phan sont tous les deux chercheurs en ingénierie des systèmes de soin à Mines Saint-Étienne[1]. En réponse à la crise sanitaire actuelle, ils mettent à disposition simulation numérique et jumeau digital pour éclairer les services de santé dans leurs prises de décisions. Une aide cruciale pour assurer l’afflux de patients dans les hôpitaux, mais également gérer la période qui suit le pic épidémique.

 

L’agencement des différents services de l’hôpital est une préoccupation particulière pour cette gestion de crise. En fonction du nombre de malades entrants et du nombre d’entre eux nécessitant des soins particuliers, il faut transformer certains services pour les dédier aux malades du Covid-19. Les hôpitaux doivent alors décider quels services ils peuvent se permettre de fermer pour attribuer les lits et les ressources aux nouveaux patients. « Nous travaillons ainsi sur des modèles de simulation des hospitalisations et des services de réanimation » indique Thierry Garaix, chercheur en ingénierie des systèmes de soins à Mines Saint-Étienne.

« Les blocs opératoires de cardiologie sont déjà équipés de certaines ressources nécessaires pour les services Covid comme les appareils respiratoires » précise le chercheur. Ils sont de fait un bon candidat pour accueillir les patients Covid en détresse respiratoire. Ces simulations offrent une vision plus claire aux soignants pour anticiper le besoin de lits en hospitalisation ou réanimation. « Au pic de l’épidémie toutes les ressources possibles sont réquisitionnées » affirme-t-il. « Une fois ce pic passé, le nombre de cas admis à l’hôpital commence à redescendre, et il faut alors déterminer la réattribution des ressources aux activités habituelles ».

Visualiser l’hôpital

Pour les hôpitaux il est essentiel d’avoir une bonne appréciation de l’évolution de l’épidémie pour définir leurs priorités et leurs possibilités. Une fois le pic passé, moins de nouveaux patients sont admis à l’hôpital chaque jour mais ceux déjà présents ont toujours besoin de soins. Ces simulations permettent d’envisager combien de temps ces services resteront occupés par des patients Covid et d’estimer quand ils seront à nouveau disponibles.

« L’outil que je développe permet de voir la progression dans le temps des flux de patients Covid pour aider le CHU à prendre ses décisions » annonce Thierry Garaix. Le chercheur fournit au modèle des données sur le temps de séjour des patients, le temps passé en hospitalisation ou en réanimation et la capacité de chaque unité de l’hôpital. Le modèle peut alors simuler numériquement le parcours des patients pour aider à visualiser les flux dans l’ensemble de l’hôpital. « Il faut penser que la progression n’est pas forcément linéaire » ajoute-t-il en soulignant que « si nous assistons à une baisse du nombre de cas il faut envisager la possibilité qu’il y ait ensuite une remontée de l’épidémie ».

De fait, même si un bloc de l’hôpital peut être libéré pour être réaffecté à ses activités habituelles il est peut-être plus précautionneux de le garder sous le coude pour faire face à de nouveaux cas. « Au début de l’épidémie les services de santé ont dû agir dans la précipitation pour affecter les ressources et mettre en place des services Covid rapidement » signale Thierry Garaix. « L’intérêt de ces simulations est de prévoir avec moins de difficulté la gestion des ressources et de pouvoir les affecter graduellement en fonction de l’évolution de l’épidémie ».

« Nous ne sommes pas à proprement parler sur un jumeau numérique car le modèle n’est pas directement en interaction avec la réalité » annonce le chercheur. « Par ailleurs, si nous avions eu à disposition un jumeau numérique de l’ensemble des services de l’hôpital cela aurait été d’une grande aide pour prévoir l’affectation des ressources au début de l’épidémie ».

Visualiser les personnes

Un double numérique pourrait permettre d’évaluer de nombreux aspects complexes, dont les conséquences du confinement sur l’état de santé des personnes âgées. « C’est un projet sur lequel nous travaillons depuis un moment mais qui prend une nouvelle ampleur avec le confinement » indique Raksmey Phan, également chercheur à Mines Saint-Étienne sur les systèmes de soins. La grille AGGIR est habituellement utilisée pour mesurer la perte d’autonomie d’une personne. Elle divise en différentes catégories l’état de santé  ̶̶  autonome, à risque, fragile, dépendante  ̶̶  pour proposer une prise en charge adaptée. Le double numérique serait utilisé pour prévoir l’évolution de l’état de santé, cibler les personnes à risque et prévenir un passage vers une situation de dépendance.

« Il faut savoir qu’une personne fragile peut, avec une activité physique adaptée, repasser dans une catégorie correspondant à un meilleur état de santé. Cependant, si une personne passe la barre de la situation de dépendance, il n’y a pas de machine arrière » informe Raksmey Phan. L’objectif de ce projet de jumeau numérique est de prévoir cette évolution pour proposer des activités adaptées avant qu’il ne soit trop tard. Aujourd’hui, le manque d’activité physique lié au confinement soulève un risque de conséquences néfastes sur l’état de santé puisqu’il implique une perte de mobilité.

Dans le cadre du confinement, ce jumeau numérique est alors une possibilité d’estimer l’impact de cet immobilisme pour les personnes âgées. Les chercheurs ont installé avant la période de confinement des capteurs chez les bénévoles, sur les portes, les objets comme les frigos, la porte d’entrée, etc. pour évaluer leur présence et leur activité chez eux. « Avec des capteurs assez simples nous avons un modèle qui correspond bien à la réalité et qui est efficace pour mesurer l’évolution de l’état physique » ajoute-t-il.

Ces capteurs évaluent la durée passée dans un lit, dans un canapé, ou indiquent si, au contraire, la personne passe beaucoup de temps debout, en mouvement ou si elle sort souvent de chez elle. Avec ces données, le double numérique va permettre d’extrapoler de nouvelles données sur une situation future, et donc prédire l’évolution dans le temps de l’état de santé. « Le but est essentiellement d’analyser un changement préoccupant qui pourrait donner suite à un risque de fragilité, et de réagir pour l’en empêcher » insiste le chercheur.

Les chercheurs travaillant avec la mutuelle EOVI MCD peuvent alors proposer des activités adaptées pour maintenir un bon état de santé. Même en temps de pandémie et en prenant en compte des gestes barrières et des contacts limités, il est possible de proposer des activités à faire chez soi, devant la télévision par exemple. « La mutualité peut proposer des activités, des services à domicile, ou éventuellement les orienter vers une maison de retraite » avertit Thierry Garaix. « Le point central est d’offrir la possibilité d’agir avant qu’il ne soit trop tard en estimant l’état de santé futur des personnes concernées, et de réagir en leur proposant des activités ou des structures adaptées » résument les deux chercheurs.

[1] Thierry Garaix et Raksmey Phan sont chercheurs au Laboratoire d’Informatique, de Modélisation et d’Optimisation des Systèmes (LIMOS), unité mixte de recherche Mines Saint-Étienne/CNRS/Université Clermont-Auvergne.

 

Tiphaine Claveau pour I’MTech

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