Quèsaco un fluide supercritique ?
L’eau, comme toute substance chimique, peut se trouver à l’état gazeux, liquide ou solide… Mais pas seulement ! Suffisamment chauffée et pressurisée, elle devient un fluide supercritique, à mi-chemin entre le liquide et le gaz. Jacques Fages, chercheur à IMT Mines Albi en génie des procédés, biochimie et biotechnologies, répond à nos questions sur ces fluides capables, entre autres, de remplacer des solvants industriels polluants ou de détruire des déchets toxiques.
Qu’est-ce qu’un fluide supercritique ?
Jacques Fages : Un fluide supercritique est un composé chimique maintenu au-delà de son point critique caractérisé par une température et une pression précises. La pression critique de l’eau, par exemple, est la pression au-delà de laquelle elle peut être chauffée à plus de 100°C sans devenir un gaz. Pareillement, la température critique du CO2 est la température au-delà de laquelle on peut pressuriser ce gaz sans qu’il ne se liquéfie. Lorsque la température et la pression critiques d’un corps sont dépassées simultanément, on entre ainsi dans le domaine supercritique. Incapable de se liquéfier complètement sous l’effet de la température, mais également incapable de se gazéifier complètement sous l’effet de la pression, ce corps est maintenu dans un état physique entre le liquide et le solide : sa densité sera équivalente à celle d’un liquide, mais sa fluidité sera celle d’un gaz.
Pour le CO2, le fluide le plus utilisé en phase supercritique, la température et la pression critique sont relativement basses : 31°C et 74 bars, soit 73 fois la pression atmosphérique. Comme le CO2 est également une molécule inerte, bon marché, naturelle et non toxique, elle est utilisée dans 90% des applications. Pour l’eau, le point critique est beaucoup plus élevé, à respectivement 374°C et 221 bars. D’autres molécules comme des hydrocarbures peuvent également être utilisées, mais leurs applications restent beaucoup plus marginales en raison des risques d’explosion et de pollution.
Quelles sont les propriétés du CO2 supercritique et les applications
qui en découlent ?
JF : Grâce à sa densité proche du liquide, le CO2 supercritique a un très bon pouvoir solvant, tout en surpassant le liquide par sa grande fluidité, proche de celle d’un gaz, qui va lui permettre de s’infiltrer dans les microporosités d’un matériau. Le fluide supercritique est capable d’extraire, mais aussi de fractionner voire de microniser des molécules.
Le CO2 supercritique permet de nettoyer des dispositifs médicaux en complément des méthodes de stérilisation, comme des prothèses. Il enlève toutes les impuretés pour obtenir un produit suffisamment propre pour être implanté dans le corps humain. C’est un complément très utile aux méthodes actuelles de stérilisation. En pharmacie, il va permettre d’améliorer la biodisponibilité de certains principes actifs, en améliorant leur solubilité ou leur vitesse de dissolution. À IMT Mines Albi, nous avons travaillé sur ce type de procédé pour le compte des laboratoires Pierre Fabre, ce qui a permis à l’entreprise de développer son propre centre de recherche sur les fluides supercritiques.
Le CO2 supercritique trouve ainsi des applications dans de nombreux secteurs : matériaux, bâtiment, biomédical, pharmacie, agroalimentaire, mais également dans l’industrie des arômes, des parfums et des huiles essentielles. Il est en effet capable d’extraire sans solvant des composés chimiques en leur garantissant une grande pureté.
Le CO2 supercritique permet-il de supplanter l’utilisation de solvants polluants ?
JF : Oui, le CO2 supercritique supplante les solvants organiques classiques souvent polluants dans de nombreux domaines d’applications et évite de relâcher des produits toxiques dans l’environnement. Par exemple, l’industrie emploie beaucoup d’eau pour teindre des textiles : polluée par les pigments, cette eau doit être retraitée après utilisation. Les procédés de teinture au CO2 supercritique permettent quant à eux d’imprégner les textiles sans rejets de produits chimiques. Les rouleaux de tissus sont déposés dans l’autoclave, une sorte de grosse cocotte-minute conçue pour résister à des pressions élevées qui va pressuriser et chauffer le CO2 jusqu’à atteindre sa phase critique. Dissous dans le fluide supercritique, le pigment pénètre au cœur des rouleaux de tissus, même de deux mètres de diamètre ! Il suffit ensuite de remettre le CO2 à pression atmosphérique normale pour que la teinture se dépose sur le tissu et que le gaz retourne pur dans l’atmosphère ou, encore mieux, qu’il soit recyclé pour une nouvelle opération.
Mais, attention ! On nous reproche souvent de relâcher du CO2 dans l’atmosphère, et donc de contribuer au réchauffement climatique. C’est faux : nous utilisons du CO2 déjà produit par une industrie. Nous n’en produisons donc pas et n’augmentons pas la quantité de CO2 dans l’atmosphère.
L’eau supercritique a-t-elle aussi ses propres particularités ?
JF : L’eau supercritique peut être utilisée pour la destruction de déchets dangereux, toxiques ou corrosifs dans de nombreuses industries. En effet, l’H2O supercritique est un milieu oxydant très puissant dans lequel les molécules organiques sont rapidement dégradées. Ce fluide est également employé dans la bioraffinerie : il gazéifie ou liquéfie des résidus végétaux, de la sciure de bois ou des pailles végétales pour les transformer en biocarburant liquide, ou bien en méthane et en hydrogène, des gaz valorisables énergétiquement. Ces solutions en sont encore au stade de la recherche, mais avec des applications potentielles à grande échelle dans le domaine de l’énergie.
L’utilisation des fluides supercritiques est-elle exploitée à l’échelle industrielle ?
JF : Le CO2 supercritique n’est pas une curiosité de laboratoire ! C’est un procédé devenu industriel dans bien des domaines. Il y a par exemple une société française, Diam Bouchage, qui extrait du liège la molécule responsable du goût de bouchon, le trichloro-anisole, grâce au CO2 supercritique. C’est un véritable succès commercial !
Néanmoins, cela reste un domaine de recherche relativement récent, qui s’est développé dans les années 90. La marge de progression dans ce domaine reste grande ! Au comité éditorial de la revue Journal of Supercritical Fluids, dont je suis membre, on voit apparaître tous les ans de nouvelles applications.
Très intéressant pour développer une industrie du traitement du CO2 en Nouvelle Caledonie particulièrement le CO2 émise par l’industrie du Nickel et permettre accompagner la politique de la transition énergétique de la Nouvelle Caledonie. Reste à savoir comment pourrait on initier cela , EOT ENERGIEBIO peut offrir ses service pour coordonner ce type de projet identifiant des partenaires localement
Merci pour votre article très éclairant. Il contribue à vulgariser cette technologie encore peu connue des milieux industriels.
Et pourtant, des machines industrielles, de type presse-bouton, maîtrisent maintenant le procédé du CO2 supercritique pour le dégraissage-départiculage de pièces. Cela concerne les industries de mécanique de pointe ou des domaines du médical implantable. Elles sont performantes, pas seulement pour la préservation de la qualité de l’air et de l’environnement mais surtout pour les niveaux de qualité de propreté obtenus. Dans le domaine du médical, leur mise en place peut permettre aussi de lourdement réduire les coûts.
Good article.
Studied thermo under the Mistro Dr. Mark McHugh, fabricated test benches for his experiments in the late 90s.
I have one question you MIGHT be able to address?
Are density changes due to the molar volume of C02 being changed/manipulated?
Is this explanation valid?
Can can think of no other explanation?