Traitement des laitiers sidérurgiques par hydrométallurgie et phytomanagement
Les laitiers sidérurgiques sont des matières minérales artificielles, co-produits de la fabrication de l’acier dans les hauts-fourneaux. Longtemps considérés comme des déchets inutilisables et entreposés dans des crassiers (décharges pour déchets minéraux), ils constituent aujourd’hui une ressource à part entière, avec de nombreuses applications (granulats pour ouvrages routiers, correcteurs d’acidité, du fait de leur forte basicité, récupération des métaux résiduels). Toutefois, en sortie d’usine, ces matières sont riches en particules de métaux et oxydes métalliques, ce qui pose des problèmes sanitaires et environnementaux… Et elles se sont accumulées dans les crassiers depuis plus d’un siècle.
Revenons un peu en arrière pour comprendre le contexte
En France, avant les années 60, la législation environnementale était quasi inexistante. En 1964, une première loi reconnaît l’eau comme une ressource au-delà de son usage commercial, et des normes sanitaires apparaissent. En 1992, l’eau devient patrimoine commun de la France. En 2000, une directive européenne adopte des mesures de protection des sols, elle est transmise au droit français en 2006. Il convient donc de prendre des mesures de protection, et la problématique de dépollution des sols prend de l’importance. Cette évolution de la législation est due à une succession de scandales sanitaires : la marée noire de l’Erika, la pollution à l’arsenic de la mine d’or de Salsigne, la décharge de Montchanin… Ce passé industriel a laissé de nombreuses friches et décharges, riches en polluants, qui risquent d’être transportés au-delà du site par l’eau et le vent. Dans le cas des crassiers, il s’agit de matières minérales, fortement basiques, avec une capacité de rétention de l’eau très faible, riches en métaux lourds, pauvres en nutriments, qui peuvent s’étendre sur plusieurs hectares. De plus, du fait de l’usage des sites sur plusieurs dizaines d’années, la composition chimique des laitiers peut varier. Les polluants peuvent être transportés de plusieurs manières : verticale (contamination des aquifères par infiltration des eaux de pluies, du fait de la faible capacité de rétention de l’eau des laitiers) ; latérale (transport de la poussière contaminée par le vent et les eaux de pluie) ; par le haut (transport par la chaîne alimentaire : une plante absorbe des métaux, elle est consommée par un herbivore, lui-même mangé par un prédateur). Cela pose des problèmes environnementaux et sanitaires (difficultés respiratoires dues à la poussière, cancers à cause des métaux lourds…).
Nous sommes allés à la rencontre d’une équipe de chercheurs de l’École des Mines de Saint- Étienne qui travaille sur ces problématiques : Frédéric Paran, ingénieur recherche spécialisé en hydrologie ; Mathieu Scattolin, doctorant biologiste et écologue ; Fernando Pereira, ingénieur en procédés hydrométallurgiques ; Steve Peuble, ingénieur recherche en géologie. Dans le cadre du projet HYPASS (HYdrometallurgy and Phytomanagement Approaches for Steel Slag management), ils travaillent à des solutions pour empêcher la diffusion des polluants des crassiers, mais aussi à leur valorisation.
L’hydrométallurgie
L’hydrométallurgie traite de l’extraction de métaux en solution aqueuse, à faible température (de température ambiante, à 80 °C au maximum). Fernando Pereira et Steve Peuble appliquent ces méthodes aux laitiers sidérurgiques afin d’en extraire les oxydes métalliques résiduels, polluants. Une fois traités, ces laitiers peuvent alors être utilisés ou stockés sans risques.
Les principales étapes sont :
- Le prétraitement physique : broyage des blocs de laitiers, traitement densimétrique et magnétique pour extraire les métaux.
- La lixiviation : attaque chimique par introduction dans une solution acide ou basique, dans laquelle se dissolvent les oxydes métalliques. On obtient d’un côté un solide traité, débarrassé des métaux, et de l’autre une solution riche en espèces métalliques et impuretés. Dans le cas du projet HYPASS, il est prévu d’utiliser des bases car c’est un moyen de lixivier certains oxydes (Cr, Mo, V, etc) sans trop attaquer le solide (qui devrait ensuite être ré-utilisé sous forme de granulats).
- La purification : avec diverses techniques, on extrait les impuretés de la solution.
- Élaboration du métal et raffinage : on extrait le métal de la solution, pour l’obtenir sous forme solide.
Le but est d’obtenir un process ne nécessitant pas de chauffage, pour économiser de l’énergie et de l’argent, mais efficace dans l’extraction, et suffisamment rapide.
Le solide traité peut alors être utilisé par la deuxième équipe du projet.
Le phytomanagement
Frédéric Paran et Mathieu Scattolin travaillent sur la partie phytomanagement. Leur but est de phytostabiliser les métaux sur les crassiers, c’est-à-dire d’empêcher leur diffusion. Pour ce faire, ils travaillent à développer un couvert végétal. Cela permet d’éviter les transferts aériens par fixation des poussières, tout comme les transferts vers les aquifères par stockage de l’eau de pluie par les plantes. Il faut également choisir des espèces “excluders”, c’est-à-dire qui n’absorbent pas les métaux dans leurs feuilles afin d’éviter les transferts par la chaîne alimentaire.
Ils ont l’expérience du programme Physafimm qui, de 2009 à 2014, leur a permis de conduire des expériences de développement d’un couvert végétal sur un crassier à Rive-de-Gier.
Sur 9 parcelles de 50 m2 chacune, ils ont étudié l’influence des différents semis : aucun semis, semis classique et semis “optimisé”; et amendements: aucun amendement, BRF (copeaux de bois) et MIATE (compost issu de centrales de traitement des eaux).
Ils ont ensuite suivi l’évolution de la couverture végétale et son état physiologique, ainsi que les transferts résiduels de métaux. 4 ans plus tard, les résultats montrent l’efficacité du couple semis optimisé-MIATE, avec une couverture végétale de 95%, loin devant les 3% de la parcelle témoin, sans management. Une colonisation végétale rapide du crassier est donc possible, empêchant la diffusion des polluants. De plus, cette méthode est réversible : si ces déchets deviennent un jour une ressource en métaux rentable, ou qu’une méthode de dépollution efficace est développée, il suffit d’enlever le couvert végétal, qui n’occupe qu’une couche superficielle.
Actuellement, dans le projet HYPASS, un nouveau facteur a été inclus dans l’investigation : l’utilisation de champignons mycorhiziens en symbiose avec les plantes. Cette technique est encore au stade du développement en laboratoire, mais semble prometteuse, permettant un développement de la biomasse plus rapide et une limitation des transferts de polluants vers les feuilles.
Afin d’étudier les quantités optimales de MIATE et champignons à fournir aux semis, Mathieu Scattolin procède à des cultures en pots, où il fait varier ces quantités. La température et luminosité de la salle sont contrôlées, afin que les seuls facteurs influant sur les cultures soient les quantités de MIATE et de champignon, et que l’on puisse en tirer des conclusions.
L’étape de semis sur site est prévue au printemps 2018.
Ces deux projets explorent deux pistes complémentaires pour le traitement des laitiers sidérurgiques. Leur développement fournirait une solution pour la rétention puis la valorisation de ces matières.
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La version originale de cet article a été publiée sur le site ÉchoSciences Loire, réseau social animé par La Rotonde
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