Mon appli santé, bientôt remboursée par la Sécu ?
Charlotte Krychowski, Télécom École de Management – Institut Mines-Télécom ;
Meyer Haggège, Grenoble École de Management (GEM) et Myriam Le Goff-Pronost, IMT Atlantique – Institut Mines-Télécom
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« [dropcap]A[/dropcap]vis favorable » : voilà un an que la Haute autorité de santé (HAS) a rendu une conclusion positive quant au remboursement par l’Assurance-maladie de l’application Diabeo. Celle-ci est destinée à aider les patients diabétiques dans le dosage et le suivi de leur traitement. Pour une application mobile, c’est une première !
La décision effective de remboursement est cependant conditionnée à la publication des résultats de l’étude médicale et économique menée sur ce dispositif. Lancée en 2015, l’étude Telesage, impliquant 700 patients diabétiques en France doit permettra de valider, ou non, l’efficacité du dispositif.
Ces dernières années, on assiste à une explosion, à travers le monde, des applications mobiles destinées à la santé. Research 2 Guidance, une société spécialisée dans l’analyse de ce marché, estimait leur nombre à 259 000 en 2016, contre 100 000 un an plus tôt.
Applis pour l’exercice physique, le compte des calories, la prise de rendez-vous médicaux
Leurs usages sont multiples : coaching pour inciter à l’exercice physique ou à une saine alimentation, compteur de calories, prise de rendez-vous médicaux, suivi des performances sportives, proposition d’un diagnostic, suivi de maladies chroniques comme le diabète ou bientôt le cancer avec Moovcare, une application destinée à détecter les rechutes après une tumeur au poumon.
Toutes ces applications n’ont pas vocation à être un jour remboursées par la Sécurité sociale. Déjà, celles reconnues par les autorités de santé comme des dispositifs médicaux sont rares. Il s’agit d’applications ayant reçu un marquage CE, délivré par l’ANSM, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Leur utilisation est réservée à des fins diagnostiques ou thérapeutiques.
Pour de telles applis, les exigences techniques sont plus fortes car la santé des patients est en jeu. Par exemple, une application qui proposait de prendre en photo un grain de beauté afin d’évaluer le risque de mélanome (cancer de la peau) n’a pas été considérée comme un dispositif médical, car l’éditeur ne s’engageait à aucune validité du résultat et précisait que l’application n’avait qu’un rôle éducatif.
Diabéo, une appli utilisée à la fois par le patient et les soignants
L’application pour le suivi du diabète Diabeo est un dispositif médical dit de classe IIb, disponible uniquement sur ordonnance. Elle a été développée par l’entreprise française Voluntis, en collaboration avec le Centre d’études et de recherches pour l’intensification du traitement du diabète (CERITD) et le laboratoire pharmaceutique français Sanofi-Aventis. Elle propose au patient un carnet de suivi connecté de son taux de sucre dans le sang, la glycémie. L’application est couplée à un patch collé sur le bras et à un petit appareil, un lecteur de glycémie. Elle est utilisée à la fois par le malade et par l’équipe soignante.
Côté patient, Diabeo lui permet d’ajuster la dose d’insuline à s’injecter, notamment au moment des repas, en se fiant au traitement prescrit par son médecin. L’application agit également sur le plan de la motivation, en fournissant des conseils d’hygiène de vie qui aident à garder la maladie sous contrôle.
Quant à l’équipe soignante, elle reçoit en temps réel les rapports de glycémie du patient. Des alertes sont déclenchées lorsque certains seuils sont franchis. Ce système permet de suivre le patient en continu, et de programmer des rendez-vous avec lui quand le besoin de rééquilibrer le traitement se fait sentir.
C’est particulièrement utile à l’heure où le nombre de diabétiques explose, tandis que le nombre de médecins, lui, est plutôt à la baisse.
L’empowerment du patient
L’exemple de Diabeo illustre les bénéfices que l’on peut retirer de la santé mobile ou « m-santé ». Celle-ci permet, en premier lieu, d’améliorer l’efficacité des traitements grâce à un suivi sur mesure et à l’implication plus grande du patient dans son traitement, ce qu’on qualifie d’empowerment du patient. Elle améliore aussi sa qualité de vie, voire celle de son entourage.
Ensuite, la santé mobile peut faciliter la transmission d’informations au corps médical, et ainsi permettre aux professionnels de se concentrer sur leur cœur de métier, les soins. Le suivi en continu du patient permet, enfin, de réduire son risque d’hospitalisation et si cela survient, la durée moyenne de son séjour. Ce qui peut avoir un impact important sur les dépenses publiques, à l’heure où l’hôpital est prié de se serrer la ceinture.
Avec l’amélioration des traitements et l’allongement de la durée de la vie, les maladies chroniques représentent une part grandissante, et maintenant majoritaire, de nos dépenses de santé. Cela nécessite de faire passer la santé publique d’une logique du soin pur à une logique de prévention et de coordination du parcours de soins.
Les solutions de santé mobile peuvent favoriser cette transition. Ainsi, la Belgique a débloqué 3,5 millions d’euros début 2017 pour expérimenter pendant six mois le remboursement de 24 applications santé et appareils mobiles permettant de suivre ou de traiter les patients à distance. L’objectif du gouvernement belge est de tirer les leçons de ces projets pilotes avant d’élargir le remboursement en 2018.
L’Ordre des médecins se positionne
La France, jusqu’à présent plutôt à la traîne dans le déploiement de la santé numérique ou e-santé, semble prête à changer de logique. En témoignent l’avis de la HAS pour Diabeo, ainsi que le rapport remis à l’Assemblée nationale en janvier, préconisant une prise en charge partielle par la Sécurité sociale du coût des objets connectés pour les populations à risque. Dans la même ligne, le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) se positionne en faveur d’une prise en charge par l’Assurance-maladie si l’évaluation des applications et objets connectés démontre des bénéfices sur la santé.
Néanmoins, plusieurs conditions seront nécessaires pour que les applications mobiles puissent générer les bénéfices attendus en matière de santé. Du côté de l’État, un préalable incontournable est la régulation des données de santé, afin d’assurer leur confidentialité.
Par ailleurs, les autorités sanitaires devront s’efforcer d’évaluer les dispositifs médicaux connectés dans un délai plus court. Il se sera écoulé au total dix ans entre la mise au point de Diabeo (dont les tests cliniques ont débuté dès 2007) et l’avis favorable de son remboursement par la Haute autorité de santé (HAS). Les durées actuelles d’évaluation sont déconnectées du rythme rapide des progrès technologiques dans le numérique. Une problématique que rencontre également l’équivalent américain de la HAS, la Food and Drug Administration (FDA).
Introduire le numérique dans la formation des médecins
Il s’agit aussi d’amender le système de rémunération des professionnels de santé. Le paiement à l’acte, tel que pratiqué aujourd’hui, s’inscrit dans une logique de soin, et n’incite guère à s’investir dans la prévention.
Enfin, le déploiement de solutions de santé mobile nécessite de réorganiser les filières de formation, en introduisant par exemple l’enseignement du numérique dans les études de médecine et en créant des cursus de formation pour les futurs métiers de la santé numérique. Par exemple, dans le cas de Diabeo, il faudra former des infirmières au suivi à distance du diabète.
Du côté des entreprises, il faudra tout d’abord continuer à structurer la filière. La France dispose d’un vivier dynamique de start-up dans le secteur de l’e-santé, qui gagneraient sans doute à mieux se coordonner. La constitution de structures telles que l’alliance e-Health France ou la France eHealthTech est un premier pas pour permettre aux entreprises françaises de gagner en visibilité à l’étranger, et de structurer le dialogue avec les pouvoirs publics en France.
L’alliance de start-up avec des laboratoires pharmaceutiques
Plus fondamentalement, au-delà de l’innovation technologique, ces entreprises doivent aussi innover par leur modèle économique. Cela peut par exemple passer par l’alliance avec de grands laboratoires pharmaceutiques, qui sont, de leur côté, à la recherche de relais de croissance. C’est la stratégie suivie avec succès par Voluntis, qui collabore de façon étroite avec Sanofi pour Diabeo, mais aussi avec Roche et AstraZeneca dans d’autres domaines thérapeutiques.
De nouveaux modèles économiques pourraient solliciter essentiellement des payeurs privés, comme les mutuelles et les assurances santé. Ceux-ci pourraient mettre en place des taux de remboursement variables, en fonction des résultats obtenus par les éditeurs de l’application auprès de la population ciblée sur des critères définis à l’avance, par exemple une baisse des hospitalisations ou une meilleure stabilité de l’état du patient.
Gageons que l’État, en faisant évoluer le cadre législatif, et les entreprises, en bouleversant les modèles économiques traditionnels, sauront profiter, et faire profiter les citoyens, du potentiel de ces avancées techniques.
Charlotte Krychowski, maître de conférences en management stratégique, Télécom École de Management – Institut Mines-Télécom ; Meyer Haggège, postdoctorant, chercheur en management stratégique et de l’innovation, Grenoble École de Management (GEM) et Myriam Le Goff-Pronost, professeur associé, IMT Atlantique – Institut Mines-Télécom
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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