Aider à l’interprétation des images médicales
Lire et comprendre un scanner ou une IRM est affaire de spécialiste. Toutefois, des outils existent qui peuvent être utiles aux médecins en les aidant à interpréter des images médicales et à établir des diagnostics. La planification thérapeutique ou chirurgicale est également facilitée grâce à la visualisation des organes et la définition des zones à irradier ou à éviter. C’est le sens des travaux menés par Isabelle Bloch, chercheuse à Télécom Paris, spécialisée dans la modélisation mathématique des relations spatiales, et le raisonnement spatial.
Les mathématiciens aussi peuvent se mettre au service de la santé. Développer des applications utiles au corps médical est un fil rouge dans le parcours d’Isabelle Bloch. Le cœur de ses travaux porte sur la modélisation des relations spatiales, avec pour objectif d’aider à l’interprétation d’images médicales, notamment lors des étapes de segmentation et de reconnaissance. La segmentation a pour but d’isoler les différents objets sur une image, d’en trouver les contours. La reconnaissance consiste à les identifier, ces objets pouvant être des organes ou des pathologies, par exemple.
Pour interpréter ces images, il faut mettre en regard ce qui apparaît – les différentes nuances de gris, les contrastes, les gradients – avec la connaissance en amont de la scène, qui a été modélisée. Certaines pathologies pouvant être particulièrement déformantes, c’est notamment le cas de certaines tumeurs, Isabelle Bloch préfère s’appuyer sur les informations structurelles entre les différents objets. Si les organes ont des formes qui peuvent subir une grande variabilité même dans un cadre non pathologique, leur organisation dans l’espace et la façon dont ils sont disposés les uns par rapport aux autres sont beaucoup plus fiables et pérennes.
Entre mathématiques et Intelligence Artificielle
Ces relations spatiales sont de différents types. Elles peuvent être des informations de localisation, des relations topologiques, de parallélisme, de distance, d’orientation… Pour les modéliser, il faut les apprendre à partir du corpus de connaissance des anatomistes et des radiologues, il faut consulter des ouvrages, des ontologies médicales, des pages web. Ces connaissances, qui sont le plus souvent exprimées sous forme linguistique, doivent être comprises puis traduites en termes mathématiques, et ce malgré leur caractère parfois ambigu.
Les « ensembles flous » apportent heureusement une grande aide pour modéliser des connaissances imprécises mais déterministes. Dans cette théorie, il est possible de graduer l’appartenance d’un certain objet à un certain ensemble. La logique floue permet de raisonner à partir d’expressions aussi peu précises que « en périphérie de », « près de » ou « entre ». Appliquée aux ensembles en 3D dans le domaine de l’image, la théorie des ensembles flous permet de faire du raisonnement spatial, c’est-à-dire de modéliser des objets et leurs relations, pour naviguer entre eux, les interpréter, les classifier, inférer des interprétations de haut niveau ou encore réviser des connaissances.
Modéliser les relations entre structures plutôt que les formes
Une fois formalisées, les relations spatiales entre les objets permettent l’interprétation d’images médicales. Si différentes stratégies restent possibles, « une approche qui fonctionne vraiment bien consiste à segmenter et reconnaître les structures les unes après les autres », explique Isabelle Bloch. Connaissant à l’avance la liste des structures à reconnaître et le graphe de leurs relations spatiales, on sélectionne comme point de départ celle supposée la plus facile à segmenter sur l’image et une fois qu’elle est reconnue, on s’intéresse à la prochaine. L’idée est de chercher les structures dans un ordre judicieux permettant de restreindre le plus possible l’espace de recherche pour chaque structure.
Cette façon de procéder séquentiellement, en combinant les informations modélisées a priori et celles extraites de l’image, donne d’excellents résultats, tant en qualité qu’en vitesse d’exécution. Elle permet en outre de valider l’hypothèse selon laquelle il est plus fiable de se reposer sur les relations spatiales entre les objets plutôt que sur leur forme. Enfin elle ouvre de larges horizons et permet d’envisager de nombreuses applications, notamment médicales.
Une recherche ouverte sur l’extérieur
C’est ainsi qu’IMAG2, un projet issu de la collaboration de l’équipe d’Isabelle Bloch avec l’hôpital Necker-Enfants Malades (services de radiologie et de chirurgie pédiatriques), fait l’objet d’une thèse qu’encadre Isabelle depuis novembre 2015. L’objectif est de développer des outils de segmentation 3D d’images IRM (Imagerie par Résonance Magnétique), dédiés à la chirurgie du bassin. Les pathologies concernées peuvent être très déformantes et l’ambition de cette collaboration est de permettre aux chirurgiens de visualiser en 3D et de naviguer entre les objets qui les intéressent. En les aidant à faire le lien entre les images acquises en amont et le champ opératoire qu’ils découvriront, ces outils devraient permettre de faciliter la planification chirurgicale et d’autoriser une chirurgie moins invasive, qui entraînera le moins possible de handicaps ou de complications pour le patient.
Un autre exemple de recherche collaborative est fourni par le WHIST Lab, le laboratoire commun de l’Institut Mines-Télécom et d’Orange. Créé en 2009, il a donné lieu à de nombreux travaux sur les interactions entre les ondes électromagnétiques et les personnes. Dans ce cadre, l’équipe d’Isabelle Bloch à Télécom Paris s’est notamment attachée à concevoir des modèles numériques d’êtres humains aussi réalistes que possible. Le WHIST Lab est à l’origine de la chaire C2M (voir encadré).
[box type= »shadow » align= » » class= » » width= » »]Une chaire pour étudier l’exposition aux ondes électromagnétiques
La chaire C2M (Caractérisation, Modélisation et Maîtrise) a été créée en décembre 2015 par Télécom Paris, en partenariat avec IMT Atlantique. Dans le cadre d’une utilisation croissante des communications sans fil, elle a pour objectif d’encourager la recherche et d’accompagner le débat scientifique et sociétal né de la prise en compte des possibles impacts sanitaires liés à l’exposition de la population aux ondes électromagnétiques. Elle est portée par Joe Wiart, qui a animé avec Isabelle Bloch à Télécom Paris et Christian Person à IMT Atlantique, le WHIST Lab. Issu de la collaboration entre l’Institut Mines-Télécom et Orange, ce laboratoire est historiquement à l’origine de la chaire. Cette chaire C2M est soutenue par l’Institut Mines-Télécom, la Fondation Mines-Télécom, Orange et l’Agence Nationale des Fréquences.[/box]
Des liens étroits avec le corps médical
L’idée du tout automatique est une utopie. Développer des modèles mathématiques à partir d’informations fournies par les anatomistes, faire tourner des algorithmes sur les images transmises par les radiologues puis envoyer directement les résultats aux chirurgiens, n’est pas un objectif raisonnable. De fréquents échanges sont nécessaires entre Isabelle Bloch et les différents praticiens : chirurgiens, anatomistes et radiologues pour la sélection des cas pathologiques, après consentement des patients, bien sûr, et anonymisation des données. Les résultats des différentes étapes de la segmentation doivent ensuite être validés par les médecins experts.
Ces nombreuses interactions ont une conséquence heureuse : l’appropriation de ces méthodes par le corps médical qui, rebondissant sur ces possibilités nouvelles, formule à son tour des idées d’applications qui lui seraient utiles. Il faut donc s’attendre à ce que de nouvelles fonctionnalités apparaissent dans le futur.
Isabelle Bloch, une mathématicienne au pays des médecins
L’intérêt d’Isabelle Bloch pour l’imagerie médicale est très ancien. À Mines ParisTech déjà, Isabelle effectue son premier stage à l’hôpital Lapeyronie de Montpellier, qui venait de se doter d’un des premiers matériels d’IRM en France, tandis que son second stage la conduit au CHNO (Centre Hospitalier National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts), où elle travaille sur l’imagerie cérébrale. Suivront un DEA d’Imagerie Médicale et une thèse. Isabelle est aujourd’hui chercheuse à Télécom Paris, au sein du LTCI (Laboratoire Traitement et Communication de l’Information). Tout naturellement, ses activités d’enseignement témoignent de la même fidélité. Isabelle forme au traitement et à l’interprétation d’images à Télécom Paris et dans des masters d’informatique cohabilités avec l’UPMC (où elle est co-responsable de la spécialité Images) et à l’Université Paris-Saclay. Elle a reçu en 2008 la médaille Blondel, qui récompense des travaux d’exception dans les domaines de la science.
Rédaction : Umaps, Frédéric Woirgard
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