Le bitcoin et la blockchain : des gouffres énergétiques
Par Fabrice Flipo et Michel Berne, chercheurs à Télécom Ecole de Management.
Tribune initialement publiée dans The Conversation.
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[dropcap]L[/dropcap]e monde numérique vit toujours dans l’illusion de son immatérialité. Alors que les gouvernements se sont engagés, au moment de la COP21 de Paris, à réduire leurs émissions de carbone pour limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2 °C, le déploiement du numérique s’effectue sans le moindre souci environnemental. La vogue actuelle du bitcoin et de la blockchain en constitue l’exemple parfait.
Le principe de la blockchain peut se résumer ainsi : chaque opération se trouve inscrite dans des milliers de Grands Livres de compte, chacun soumis à la scrutation d’un observateur différent. Mais rien n’est dit de l’empreinte énergétique de ce registre de transactions inédit, ni de la nouvelle « monnaie virtuelle » (le bitcoin) qu’il gère.
À lire sur le blog R&I : Quèsaco la blockchain ?
Une consommation électrique digne de l’Irlande
Karl J. O’Dwyer et David Malone ont montré, dans une étude publiée en 2014, que la consommation du réseau destiné au bitcoin était probablement de l’ordre de grandeur de la consommation électrique d’un pays comme l’Irlande, soit environ 3 GW.
Imaginons que les monnaies de type bitcoin se généralisent. La masse monétaire mondiale en circulation est estimée à 11 000 milliards de dollars. La consommation d’énergie correspondante devrait donc s’élever à plus de 4 000 GW, soit 8 fois la consommation électrique de la France, et deux fois celle des États-Unis. Ce n’est pas sans raison que le site Novethic titrait dernièrement : « Le bitcoin, un boulet climatique ».
Ce que disent les chiffres
Toute blockchain étant un registre (et donc un fichier) existant en de très nombreux exemplaires, les ressources informatiques nécessaires au calcul, à la transmission et au stockage des informations croissent, de même que l’empreinte écologique, et cela même si l’on prend en compte l’amélioration des technologies sous-jacentes.
Les deux paramètres qui jouent ici sont la longueur de la blockchain et le nombre d’exemplaires. Pour le bitcoin, la longueur de la blockchain a crû très rapidement : elle était, selon Quandl, de 27 Go début 2015 pour 74 à la mi-2016.
Pour le bitcoin, dont le dispositif a été modelé sur celui des monnaies de l’ancien étalon-or, la création se fait par des opérations informatiques complexes – et même de plus en plus complexes au fur et à mesure que le temps passe, à l’image d’une mine d’or qui s’épuise et dont les coûts de production s’élèvent.
Genesis Mining indiquait ainsi, en 2015 dans Business Insider, qu’elle était l’une des entreprises les plus énergivores d’Islande, avec une dépense d’électricité de l’ordre de 60 dollars par bitcoin « extrait » – alors qu’elle bénéficiait d’un prix bas du KWh et d’un climat favorable.
On peut enfin imaginer toutes sortes d’applications de type smart contracts reposant sur l’Internet des objets. Ces derniers sont loin d’avoir un impact énergétique et écologique négligeable si l’on tient compte de leur fabrication, leur alimentation électrique (souvent autonome, donc compliquée et peu efficace) et leur mise au rebut.
Or, si la majorité des objets connectés ne sera probablement pas le support de smart contracts, on envisage cependant un nombre d’objets connectés très élevé dans un futur proche, probablement 30 milliards au total en 2020 d’après le cabinet de conseil américain McKinsey.
Le bitcoin est un exemple parmi d’autres des nombreux dispositifs qui sont développés sans se soucier de leur impact énergétique. Face à l’enjeu climatique, leurs promoteurs font comme s’il n’existait pas, ou comme si les solutions énergétiques de remplacement existaient.
Une facture de plus en plus lourde
Décarboner l’énergie est pourtant un vaste enjeu, comportant des risques majeurs. Et les solutions techniques avancées à ce sujet ne nous garantissent en rien de pouvoir faire face à l’accroissement massif et mondial de la consommation d’énergie tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.
Le numérique absorbe déjà 15 % environ de la consommation électrique nationale française, et autant d’énergie, à l’échelle globale, que l’aviation. Rien ne laisse aujourd’hui penser que la masse à absorber va baisser, ni que le numérique permet une réduction des consommations, comme l’affirment les industriels du secteur (voir à ce propos l’ouvrage La Face cachée du numérique).
Une décarbonation massive de l’énergie rencontre de multiples défis : fiabilité des diverses techniques envisagées de séquestration de carbone, « cannibalisme énergétique » du déploiement des énergies renouvelables, qui ont besoin d’énergie pour être fabriquées, limites techniques, sociales et politiques (les différentes sources renouvelables ont besoin de surfaces importantes, or les espaces disponibles sont largement occupés, par exemple)… Les défis sont immenses.
En savoir + sur le bitcoin
Cette analyse, qui a le mérite de poser les bonnes questions, ne s’intéresse qu’aux blockchains « publique ouvertes » telle bitcoin. En effet, la création d’un consensus (qui remplace la confiance entre les acteurs) est une opération coûteuse.
Mais d’autres systèmes existent, telle la blockchain « publique autorisée » où seuls certains acteurs (de confiance, extérieurement à la blockchain) peuvent modifier le registre.
C’est notamment ce qui est utilisé dans le projet BrooklynMicroGrid autour de la production PV, permettant également un temps de transaction plus court que la validation d’un block dans une blockchain ouverte.
La technologie de registre distribué peut ainsi être appliquée en gardant les « bons côtés » et en cherchant, dans une logique d’amélioration continue, à éliminer ses défauts.
Une consommation d’énergie en W ? Probablement une coquille à corriger…