Les fréquences millimétriques, couvrant des plages de 30 à 300 GHz, représentent un territoire d’innovation prometteur pour les réseaux 5G et 6G. Les bandes de fréquences correspondantes, appelées FR2, se distinguent des bandes FR1 qui dominent largement les télécommunications actuelles et utilisent les plages en-dessous de 6 GHz. Si ces basses fréquences sont idéales pour couvrir de vastes zones avec une infrastructure minimale, notamment dans les zones rurales ou isolées, les débits y sont limités. À l’inverse, les fréquences millimétriques permettent des communications ultra-rapides sur des distances réduites, adaptées à des besoins localisés, comme dans les zones urbaines denses ou les applications industrielles.
« L’intérêt des bandes millimétriques réside dans leur large bande passante utile, qui permet de transmettre une grande quantité de données avec des débits élevés et des temps de latence extrêmement faibles », explique Christian Person, chercheur spécialisé en télécommunications avancées à IMT Atlantique. « Elles ouvrent la voie à des spots localisés de connectivité ultra-rapide, auprès desquels il serait possible de télécharger des vidéos en quelques secondes par exemple, ou de déployer des interfaces augmentées pleinement interactives. » En revanche, ces fréquences souffrent d’une forte atténuation dans l’espace – ce qui les rend moins adaptées aux longues distances – et de la moindre maturité des filières microélectroniques dédiées. Des améliorations technologiques sont donc nécessaires pour étendre leur portée et exploiter pleinement leurs potentialités.
Le beamforming pour pallier l’atténuation des signaux
Parmi ces améliorations : la conception d’antennes dans les stations de base pour faciliter la mise en communication avec les terminaux. C’est l’objet d’un des axes de recherche du projet YACARI, dédié au déploiement de solutions techniques pour l’exploitation des bandes millimétriques dans le cadre du PEPR « Réseaux du futur ». Co-pilote du projet, Christian Person intervient sur le développement de ces antennes adaptées en s’appuyant sur la technique du beamforming, ou formation de faisceaux.
En concentrant l’énergie d’une antenne dans une direction précise, le beamforming permet de maximiser le gain directionnel, au détriment de la couverture, et ainsi d’améliorer la qualité de la liaison radio. Il est complémentaire au beam steering, qui consiste à balayer dynamiquement l’espace pour détecter les terminaux, et ajuster les faisceaux en temps réel, vers un utilisateur en mouvement ou dans un environnement changeant par exemple. L’équivalent de l’œil de Sauron recherchant Frodon dans le Mordor pour les amateurs de fantasy.
Le chercheur étudie donc différentes approches pour gérer les rayonnements des antennes. D’un côté, des réseaux d’antennes phasées : des panneaux constitués de plusieurs éléments rayonnants dont les ondes interfèrent constructivement pour former un faisceau vers une direction spécifique. Ce dernier peut être redirigé en ajustant la phase et l’amplitude de chaque élément du réseau, permettant de « balayer » l’espace sans mouvement mécanique de l’antenne. De l’autre côté, la mise en application de techniques holographiques, inspirées de l’optique. « Grâce à des antennes de formes spécifiques, il est possible de moduler les ondes radio sur le même principe que les hologrammes et de créer des faisceaux directionnels précis », détaille-t-il. « Les enjeux reposent dans la manière de contrôler dynamiquement ces surfaces d’interaction holographiques. »
Miniaturisation et surfaces intelligentes : dans la ligne de mire
Ces approches peuvent être complétées par l’utilisation de surfaces intelligentes reconfigurables (RIS) : des dispositifs qui s’adaptent à leur environnement pour rediriger les signaux. « Une façade d’immeuble équipée de RIS peut par exemple capter un signal incident et le focaliser sur une voiture en mouvement », illustre Christian Person. Aujourd’hui, de nombreux acteurs investiguent ces technologies qui promettent d’améliorer significativement la connectivité, notamment dans des environnements complexes comme la ville connectée.
C’est le cas d’un autre projet du PEPR « Réseaux du futur », PERSEUS, qui se concentre, à l’autre extrémité du spectre, sur les bandes fréquences FR1. De ce fait, PERSEUS s’intéresse à des configurations imposantes : les RIS notamment peuvent atteindre le mètre carré et être, par conséquent, très efficaces pour re-router des signaux dans l’espace. À l’inverse, dans le projet YACARI, les surfaces sont étudiées pour une intégration miniaturisée – quelques centimètres carrés – sur des appareils mobiles ou des Femtocellules locales, des éléments destinés à améliorer la couverture en intérieur des réseaux.
Pour ces surfaces contrôlées et ces antennes en gamme d’ondes millimétriques, la miniaturisation, en parallèle d’une maîtrise des performances électromagnétiques, est un défi central. Actuellement, ces dispositifs sont encore encombrants et coûteux, ce qui limite leur adoption dans des appareils grand public. « Notre ambition est d’expérimenter de nouveaux concepts et technologies d’intégration, afin de disposer de solutions d’antennes permettant des focalisations originales de l’énergie dans une direction de l’espace : beamforming, génération de spots multiples, faisceaux de rayonnement mixtes… », développe Christian Person. Toutes ces solutions impliquent évidemment l’élaboration de matériaux et de composants spécifiques, étudiée par d’autres partenaires du projet YACARI.
Vers une gestion dynamique et adaptative des infrastructures réseaux
Le développement de solutions matérielles pour la « tête de réseau », la partie où les signaux sont générés et émis vers les utilisateurs, est également une composante centrale du Projet Important d’Intérêt Européen Commun sur la MicroElectronique et les Technologies de Communication (PIIEC ME/CT). Tout comme le projet PERSEUS, le PIIEC ME/CT cible les bandes télécom classiques jusqu’à 6 GHz pour développer des infrastructures adaptées à des cas d’usage spécifiques, notamment l’optimisation de réseaux privés d’entreprise, les applications véhiculaires et d’autres scénarios nécessitant une gestion intelligente des ressources.
Plusieurs écoles de l’IMT sont impliquées aux côtés d’entreprises comme Orange ou Kalray, qui développe des processeurs spécialisés multicœurs, dans ce projet de grande ampleur, sur différents sujets allant du codage aux couches sécurité et réseau. Christian Person, qui y joue un rôle clé de coordinateur pour l’IMT, contribue également en tant qu’expert au développement de solutions d’antennes multifaisceaux dites « reconfigurables ». « À la différence de YACARI, ces antennes permettent des modes de fonctionnement simultané, avec plusieurs utilisateurs, tout en sondant l’état du réseau. C’est ce qu’on appelle l’ISAC pour Integrated Sensing And Communication », précise-t-il. Une capacité cruciale pour les stations de base : « La plupart du temps, elles envoient des signaux tous azimuts ou de manière séquentielle par balayage de l’espace. L’objectif est d’adapter le flux et de cibler seulement certaines zones du réseau suivant les besoins des utilisateurs », ajoute le chercheur.
Des solutions hybrides combinant beamforming, pour suivre des usagers, et sondage du canal, pour les localiser, sont ainsi envisagées. Elles permettent de mesurer ce qu’il se passe autour de la station de base, et d’ajuster dynamiquement les faisceaux pour les répartir selon les priorités identifiées vers des zones précises du réseau, un usager particulier par exemple. Cette gestion adaptative a pour objectif de sectoriser les signaux pour éviter une diffusion inutile et concentrer l’énergie là où elle est nécessaire, réduisant ainsi l’empreinte énergétique du réseau, tout en améliorant la qualité du service.
L’ambition du PIIEC ME/CT est également d’anticiper la disponibilité des bandes de fréquences FR3 autour de 7GHz (les « Golden Bands »), qui vont être rendues prochainement disponibles et apportent un nouveau spectre relativement libre. Les projets YACARI et PIIEC ME/CT incarnent ainsi deux facettes complémentaires pour rendre les infrastructures de communication plus intelligentes, efficaces et adaptées aux besoins variés des utilisateurs. Ensemble, ils ouvrent la voie à une connectivité alignée avec les défis des réseaux de demain, entre performance et minimisation de la ressource énergétique.