De la fibre de verre à la fibre végétale
Grâce à sa proximité avec le monde industriel, Anne Bergeret multiplie les encadrements et directions de thèses avec des partenaires industriels (dont 8 thèses avec l’industriel SGVI entre 1995 et 2010) sur le thème du traitement de surface des fibres de verre, et l’amélioration des propriétés fonctionnelles des matériaux composites à matrice polymère. Les traitements de surface varient au gré des applications visées : amélioration de la qualité de surface des carrosseries automobile en composites, résistance à l’antigel des composites utilisés pour les boites de refroidissement des radiateurs automobiles, ou encore amélioration des propriétés ignifuges pour des dispositifs électriques.
Un projet de formulation verrière avec SGVI marque cependant un tournant dans la carrière de la chercheuse. « Le verre est toujours perçu comme une matière immuable dans le temps mais en réalité, il évolue. Tout est une question d’échelle de temps. Il peut confiner pendant des siècles des déchets radioactifs, s’écouler très lentement – comme le montre les vitraux dans les églises – ou au contraire être soluble », contextualise-t-elle. « C’est le cas de la fibre de verre d’isolation, appelée laine de verre. Le faible diamètre de la fibre de verre d’isolation – entre 0,1 et 6 µm – impose des formulations verrières spécifiques permettant leur dissolution en milieu physiologique en cas d’inhalation. Tandis que pour les fibres de verre de renforcement de diamètre plus élevé – entre 10 et 24 µm – leur formulation est adaptée à un haut niveau de performance mécanique mais pas à la solubilité. »
Le projet de SGVI consiste alors à développer une formulation verrière soluble, donc dégradable, tout en conservant les propriétés mécaniques requises pour le renfort des composites. L’objectif : développer des composites compostables dans un souci d’économie circulaire. « C’est ce qui nous a orienté par la suite vers d’autres biocomposites, ceux renforcés par des fibres naturelles. »
Une ressource naturelle variable
L’intérêt pour les fibres végétales émerge dans les années 2010, du fait de leur moindre impact environnemental lié à leur légèreté (densité deux fois inférieure à celle des fibres de verre), leur origine biosourcée et leur compostabilité. Mais l’inconvénient majeur de cette ressource est sa grande variabilité. « Les propriétés mécaniques d’une fibre végétale dépendent de la variété cultivée, du sol, des conditions pédoclimatiques, des pratiques culturales… C’est ce qui rend le travail sur la matière vivante complexe », précise Anne Bergeret.
Des cultures comme le chanvre ou le lin sont notamment soumises à un processus agricole appelé le rouissage. Lors de ce processus, les tiges coupées sont laissées sur le sol, et une colonisation de la matière végétale par des communautés microbiennes s’opère, dégradant les pectines de la tige et facilitant l’extraction des fibres dans les étapes ultérieures de transformation comme le teillage. « Sans ce processus de dégradation, la fibre ne disposerait pas de propriétés techniques suffisantes pour des applications composites », complète la chercheuse. La démarche d’optimisation des pratiques agricoles pour l’obtention de fibres de chanvre de plus en plus techniques est actuellement menée en collaboration avec le Centre de Recherche et d’Enseignement Environnement et Risques (CREER) d’IMT Mines Alès
La complexité du traitement de surface des fibres végétales
Pour le moment, aucun traitement de surface des fibres végétales n’existe réellement à l’échelle industrielle. S’inspirer du savoir-faire acquis sur les fibres de verre était la première voie de recherche explorée par Anne Bergeret. Mais une différence majeure de structuration des mèches de fibres existe. Les fibres de verre sont formées de fibres longues continues tandis que les fibres végétales sont discontinues, c’est-à-dire constituées de plusieurs fibres de longueur différente assemblées, avec une torsion plus ou moins importante. Les fibres végétales sont aussi traitées en surface a posteriori alors que les fibres de verre le sont pendant l’étape d’étirage sous filière lors du refroidissement du verre. La chercheuse a toutefois conçu avec son équipe une ligne de traitement de surface adaptée aux fibres végétales : un dispositif prototype qui a déjà suscité l’attention de quelques industriels, désireux de tester des formulations à petite échelle.
Par ailleurs, la volonté de s’affranchir des produits pétrosourcés utilisés pour le traitement des fibres de verre, et de maximiser l’utilisation de produits biosourcés mais aussi non-toxiques devient très vite une priorité. Ainsi Anne Bergeret explore le potentiel de composants biosourcés comme les tanins pour améliorer l’adhésion entre les fibres naturelles et la matrice polymère et conjointement le comportement thermique et la tenue au feu.
Cette démarche d’écoconception guide désormais la majeure partie des recherches du C2MA. « Lorsque je suis arrivée il y a presque 30 ans, 100 % des produits développés étaient pétrosourcés. Aujourd’hui, 80 % de nos projets, déposés ou en cours, concernent le développement de matériaux biosourcés », conclut fièrement la chercheuse.