Douze êtres humains ont posé le pied sur la Lune depuis le premier, Neil Armstrong, en 1969. La dernière sortie extravéhiculaire sur le satellite naturel de la Terre remonte toutefois à plus de cinquante ans : le 14 décembre 1972. Néanmoins, l’attente devrait prendre fin prochainement : le programme Artemis de la NASA prévoit de nouvelles expéditions humaines sur le sol lunaire à l’horizon 2025. Et l’agence spatiale américaine entend aller plus loin, en y installant une base autonome permanente à partir de 2026, qui pourrait notamment servir de station intermédiaire en vue de missions d’exploration de Mars.
Une telle ambition s’accompagne évidemment d’innombrables défis : alimentation en eau, en nourriture, en énergie, en oxygène… Une fois sur place, les équipes auront également besoin d’objets tels que des briques de construction, des outils ou des pièces mécaniques. Or, le coût d’une mission spatiale étant très élevé, il est primordial d’alléger au maximum le matériel importé depuis la Terre. C’est pourquoi les agences spatiales privilégient l’utilisation des ressources in situ, c’est-à-dire l’exploitation des matériaux présents sur le sol lunaire. Une approche qui permet aussi de répondre aux besoins de réparation auxquels peuvent être confrontés les astronautes.
Fusion laser sur lit de poudre
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les travaux de recherche d’une équipe d’IMT Mines Albi, équipe dont Thierry Cutard est membre. « Le procédé de fabrication additive apparaît comme un candidat naturel pour cette production lunaire », souligne-t-il. « Plus précisément, notre étude porte sur les objets techniques de petite taille, comme des outils ou des filtres, fabriqués dans un premier temps via la fusion par laser. » Un procédé mature, déjà couramment utilisé sur Terre, notamment dans l’industrie.
Il consiste à étaler un lit de poudre – souvent polymère ou métallique – et à l’exposer localement à un faisceau laser, qui va fusionner totalement ou partiellement les grains et solidifier la partie visée. L’opération est ensuite répétée, couche après couche, de sorte à réaliser in fine le modèle 3D préalablement conçu sur ordinateur. Il ne reste alors plus qu’à aspirer la poudre non fondue, afin d’obtenir l’objet ainsi produit.
À terme, l’objectif de l’équipe de recherche est d’adapter ce processus aux matériaux lunaire, pour fabriquer des objets techniques satisfaisant notamment des critères de géométrie et de résistance mécanique. « Nos travaux comportent une part d’expérimentations, mais pas seulement », précise le chercheur. « Nous opérons également par modélisations et simulations numériques, à des fins de prédiction et d’optimisation du procédé. »
Une roche analogue au régolithe lunaire trouvée dans le Massif central
Concrètement, quel matériau la Lune peut-elle fournir ? Il s’agit principalement de « régolithe » lunaire, nom donné à la poussière recouvrant la surface du satellite. Cependant, les chercheurs d’IMT Mines Albi ne peuvent pas le manipuler directement : seuls quelques échantillons ont été rapportés par des missions spatiales, en quantité limitée. La première mission des équipes de recherche consistait donc à identifier un analogue reproduisant les propriétés chimiques et minéralogiques de la poudre lunaire.
Or, le régolithe de la Lune fait partie de la famille des oxydes, associant sous forme complexe des atomes d’éléments métalliques et de l’oxygène. Une caractéristique bienvenue, puisque cela le rapproche de plusieurs roches présentes sur Terre. « Comme le sol lunaire provient surtout de coulées volcaniques, les meilleurs candidats terrestres sont à chercher autour des volcans », ajoute Thierry Cutard. « Nous nous sommes donc intéressés à un analogue issu d’une coulée basaltique du Massif central, au niveau du Pic d’Ysson, identifié par des chercheurs de l’Institut de recherche en atsrophysique et planétologie (IRAP). »
Faire parler la poudre
La roche prélevée doit ensuite être réduite à l’état de poudre, avec des grains de taille semblable à ceux trouvés sur la Lune, avant de vérifier la concordance des compositions chimique et minéralogique avec celles de référence. « Il est néanmoins impossible d’imiter à 100 % le régolithe lunaire, qui est soumis en permanence à des rayonnements », concède le chercheur. « Ce n’est, de toute façon, pas notre but. Nous visons uniquement à nous en approcher suffisamment pour que les résultats restent transposables à des applications lunaires. »
La poudre est alors prête à intégrer la machine de fabrication additive (communément appelée « imprimante 3D »). Mais celle-ci doit encore être configurée afin d’opérer sur l’analogue. Dans le cas de la fusion par laser, il faut déterminer la puissance délivrée, la taille du faisceau, la vitesse de déplacement, le niveau de recouvrement entre deux passages… « Pour déterminer ces paramètres, il est nécessaire de connaître la manière dont la poudre va réagir au rayonnement », explique Thierry Cutard. « Car sa réponse peut par exemple dépendre de la température, de la longueur d’onde du laser ou des deux à la fois. Nos travaux permettent ainsi de déterminer précisément les comportements thermiques, thermo-optiques et thermo-mécaniques de notre analogue. » Des informations essentielles pour modéliser les interactions rayonnement-matière et optimiser le paramétrage de la machine.
Renforcer le matériau et réduire la consommation d’énergie
Ce processus de fabrication s’accompagne toutefois d’une difficulté majeure : les produits formés peuvent s’avérer fragiles. « Ces matériaux risquent de se fissurer, surtout avec la chaleur opérée localement par le laser », note le chercheur. « Fabriquer une pièce sans fissure représente donc un vrai défi. » Pour y répondre, au-delà de l’optimisation des paramètres de la machine, l’équipe de recherche étudie la possibilité de mélanger l’analogue avec un autre élément, comme du métal, qui rendrait le matériau plus résistant, plus tenace.
De même, les scientifiques envisagent le recours à la fabrication additive indirecte, c’est-à-dire en associant la poudre à un liant organique, permettant d’unir temporairement les grains les uns aux autres. Une méthode qui limite les risques de fissures, mais qui implique un traitement supplémentaire dans un four pour fritter le matériau, augmentant ainsi la durée de l’opération et sa consommation énergétique.
Cependant, les chercheurs ne se focalisent pas uniquement sur la fusion par laser. Au contraire, ils étudient la possibilité de recourir à d’autres sources de rayonnement, moins énergivores. « Au sein d’une station lunaire, il n’y aura pas nécessairement d’énergie disponible en grande quantité », signale en effet Thierry Cutard. L’équipe d’IMT Mines Albi a ainsi réalisé de premiers essais prometteurs avec des lampes halogènes, en concentrant leur rayonnement, et commencé à modéliser les interactions entre la poudre et ce nouveau type de source.
De la Lune à la Terre
Les résultats obtenus et à venir sont régulièrement partagés avec d’autres acteurs de la communauté scientifique, notamment entre membres de la « Toulouse Task Force » composée de l’IRAP, du Laboratoire de génie chimique (LGC) et de l’Institut Clément Ader. L’équipe de recherche est déjà parvenue à fabriquer des premiers objets, de l’ordre du centimètre, issus de la fusion par laser de l’analogue du Pic d’Ysson et présentant des propriétés mécaniques satisfaisantes (dureté, résistance en compression…).
Par la suite, les chercheurs entendent passer à l’échelle, en réalisant des produits d’une dizaine de centimètres, tout en caractérisant leurs performances. Des objets dont la forme et la fonction sont encore à définir, en concertation avec des partenaires tels que l’Agence spatiale européenne (ESA), le Centre national d’études spatiales (CNES) ou des industriels du secteur spatial. En parallèle, l’équipe continue d’affiner ses calculs et simulations multiphysiques, afin de disposer de modèles représentant fidèlement la réalité.
Par ailleurs, l’étude de la fabrication additive sur la Lune pourrait avoir des retombées… sur Terre. « Sans ce contexte lié aux nouvelles ambitions d’exploration spatiale, nous n’aurions peut-être jamais travaillé sur des procédés de fabrication à partir de roches naturelles », remarque Thierry Cutard. « Dès lors, pourquoi ne pas appliquer ces méthodes sur des matériaux terrestres, dans une optique de développement durable ? » Tirer parti de ressources locales de manière raisonnée, s’adapter à un environnement contraint, limiter sa consommation d’énergie : autant d’enjeux pas vraiment lunaires aujourd’hui.