Une oasis de déchets reconvertie en matériaux céramiques
Transformer des déchets et des coproduits non utilisés par les industriels permettrait de répondre à des problématiques d’accès aux ressources du génie civil, de recyclabilité, et même de réduire la consommation d’énergies fossiles. Doan Pham Minh, chercheur en génie des procédés à IMT Mines Albi, expose quelques pistes de valorisation explorées par ses travaux.
Parfois, les déchets des uns font le bonheur des autres. Transformer les détritus en ressources, c’est l’ambition de l’économie circulaire. C’est aussi la problématique au cœur du projet Matériaux céramiques innovants pour le stockage d’énergie et le bâtiment (MACISEB)[1] démarré en 2019 auquel participent des chercheurs d’IMT Mines Albi[2]. « Notre objectif est de transformer des déchets et coproduits inorganiques industriels, disponibles autour de nous, en quelque chose d’utile pour la société », décrit Doan Pham Minh, chercheur en génie des procédés. Les solutions identifiées dans le cadre du projet seront ensuite transférées à des entreprises de la région Occitanie. De la valorisation de déchets non recyclables, au remplacement de matières premières en voie de disparition, la seconde vie s’applique à un important panel d’applications insoupçonnées.
Réserve de sable cherche remplaçant le temps de se refaire une santé
L’Agence de la transition écologique (Ademe) rapporte qu’entre 27 et 40 milliards de tonnes de sable sont extraites chaque année à travers le monde. Nous le retrouvons dans nos bâtiments, nos vitres, mais aussi nos ordinateurs. « La demande de cette ressource est plus critique encore que celle en métaux nobles. Et les réserves s’épuisent si vite qu’elles arrivent à un point de rupture », souligne Doan Pham Minh. Extrait des carrières ou récupéré dans les lits de rivière, le sable naturel se forme par un long processus d’érosion. Trop long donc pour répondre aux besoins de la société. Car ce matériau est indispensable au secteur du génie civil qui en est le principal consommateur, et donc à la stabilité économique de nombreux pays.
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C’est pourquoi le projet MACISEB cherche des remplaçants au sable parmi les coproduits inorganiques, c’est-à-dire des déchets industriels qui ne sont pas valorisés actuellement. « L’idée n’est pas de bouleverser les modes de fabrication, mais de remplacer une matière première critique dans une démarche d’économie circulaire », précise Doan Pham Minh. Avec son équipe, le chercheur réalise des cartographies de ressources sur l’ensemble du territoire occitan. Il identifie et localise des gisements à fort potentiel ayant des propriétés similaires au sable. Il s’assure également de la pérennité qu’offrent ces produits en notant la quantité et la disponibilité de ces déchets.Plusieurs candidats ont ainsi été retenus tels que les résidus de verres.
En effet, lors de son recyclage, le verre est broyé afin d’obtenir des granulométries nécessaires à sa réutilisation par les verreries. Toutefois, une fraction de ce verre, trop fine, trop grossière ou polluée, n’est pas réexploitée. « Nous récupérons ces restes pour remplacer en partie ou la totalité du sable nécessaire à la conception de briques et de tuiles céramiques », précise Doan Pham Minh. Les sables de fonderie, les laitiers de hauts fourneaux, et les cendres des centrales thermiques biomasse, sont également prometteurs.
À partir de ces matières, les chercheurs proposent des recettes de conception aboutissant à des briques et à des tuiles ayant les mêmes propriétés mécaniques et thermiques que celles fabriquées à partir d’argile et de sable naturel. De plus, ces formulations suivent le cahier des charges des industriels. Les produits sont ainsi assurés de pouvoir être fabriqués avec les équipements déjà détenus par les entreprises sans investissement complémentaire. Des premières briques seront fabriquées en 2022 avant d’être testées par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB).
Du vent à la chaleur : la reconversion des pales d’éoliennes
La durée de fonctionnement d’une éolienne est estimée à une vingtaine d’années. Les premières installations françaises arrivent donc à échéance et ces démantèlements devraient se multiplier dans les prochaines années. En somme, le recyclage devient un défi majeur du secteur éolien. Si les parties métalliques (le mat et le rotor) et béton (le socle) se recyclent bien, les pales – constituées de fibre de verre mêlées à des résines organiques – n’ont pas cette chance. Toujours dans le cadre du projet MACISEB, les chercheurs proposent donc de valoriser ces déchets au sein de matériaux de stockage thermique. « Notre objectif est de réutiliser la fibre de verre des pales afin de développer des céramiques utilisées par les centrales solaires à concentration (CSP) », explique le chercheur. Ce mode de production énergétique transforme l’énergie solaire d’abord en chaleur puis en électricité. Pour ce faire, il s’appuie sur des systèmes composés de miroirs qui concentrent les rayons du soleil en un point jusqu’à générer des températures très élevées (de 200 à 1 500°C). La chaleur est transportée par un fluide pour faire tourner des turbines et produire. Elle peut être stockée au sein de « batteries thermiques » capables de la restituer pendant la nuit afin d’assurer une continuité de service.
Or, actuellement les centrales thermiques stockent la chaleur grâce à du sel fondu – un mélange de nitrate de potassium et de nitrate de sodium. « Ces composés sont également présents dans les engrais agricoles. Il y a donc un conflit d’utilisation entre les deux secteurs. Or, il n’existe actuellement pas d’alternative commerciale viable économiquement et environnementalement », précise Doan Pham Minh. Transformer les pales d’éolienne en céramiques apporterait ainsi une nouvelle solution à ce secteur. En ce sens, les chercheurs développent des matériaux capables de supporter des cycles de réchauffement-refroidissement intenses et répétés pendant plusieurs années. Cette solution permettra à terme de valoriser un déchet dont la quantité s’accroît. Mais elle apportera également un coup de pouce technologique au solaire thermodynamique qui pourrait lui permettre de s’installer sur le marché des énergies renouvelables. Dans le cadre du projet MACISEB, cette recherche est notamment menée par le laboratoire PROMES, partenaire du projet, et acteur académique de référence dans le domaine du stockage thermique. Art-dev, partenaire et laboratoire en sciences sociales, s’intéresse également aux conditions sociales du recyclage des pales d’éoliennes et aux possibilités de mise en œuvre d’une écologie du recyclage de ces pales à l’échelle régionale.
Fumées industrielles : une idée qui réchauffe les turbines
Une autre application pourrait bénéficier de matériaux céramiques fabriqués à partir de déchets inorganiques pour capter de la chaleur. Actuellement, l’industrie gaspille plus de 30 % de l’énergie qu’elle consomme sous forme de chaleur dite fatale rejetée dans l’atmosphère au sein des fumées industrielles. Les chercheurs d’IMT Mines Albi collaborent avec l’entreprise Eco-Tech Ceram spécialiste du stockage thermique, en vue de récupérer cette énergie, la stocker et la restituer pour alimenter des procédés industriels. Par exemple, les céramistes et les usines de métallurgie utilisent des fours à haute température souvent alimentés au gaz naturel. Restituer la chaleur captée au sein de leurs fumées permettrait de chauffer en partie leurs équipements et donc de réduire leur consommation d’énergies fossiles.
Comme pour le solaire thermodynamique, l’enjeu est donc de développer des matériaux céramiques adaptés aux conditions d’utilisation par les entreprises. « Néanmoins, se pose ici une autre problématique : les fumées industrielles contiennent des polluants. Ces gaz acides et corrosifs accélèrent le vieillissement des céramiques et altèrent donc leurs performances », explique le chercheur. De plus, la composition des fumées est différente selon l’activité de l’industriel. Un premier travail consiste donc à caractériser les types de fumées, leurs températures, etc., par secteur en vue de développer des matériaux durables et à coût maîtrisé[3].
Anaïs Culot
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