Dépolluer et traiter les déchets de l’industrie métallurgique
La fabrication de l’acier génère des résidus de matières minérales appelés laitiers sidérurgiques, qui sont massivement stockés au sein de « crassiers » sidérurgiques. Ceux-ci présentent un double enjeu. D’une part ils constituent des nuisances potentielles pour l’environnement et la santé, et d’autre part ils sont une ressource valorisable pour certaines industries. Le projet HYPASS de Mines Saint-Étienne ambitionne de répondre à ces deux problématiques. Lancé en 2018, il donne lieu aujourd’hui à de nouvelles solutions pour l’extraction des métaux lourds et le contrôle de la pollution des crassiers sidérurgiques.
Lors de la production d’acier, le minerai de fer est chauffé à haute température. Une phase résiduelle plus claire se forme à la surface, à l’image du « petit lait ». Lorsqu’elle est refroidie, cette roche artificielle, le laitier sidérurgique, est entassée dans des espaces nommés “crassiers” qui peuvent couvrir plusieurs hectares et plusieurs mètres de profondeur.
En France, il y a environ 30 millions de tonnes de résidus de laitiers sidérurgiques accumulés dans des crassiers. Ces résidus contiennent des métaux lourds qui représentent un danger pour la santé et l’environnement à plus grande échelle, car les particules polluantes peuvent se diffuser avec l’érosion. Il est donc devenu important de limiter la diffusion de ces particules.
Pourtant, les laitiers ont la possibilité d’être valorisés ! Les domaines d’application des laitiers sidérurgiques sont aujourd’hui divers et variés. Entre autres : production de ciments et de bétons, industries du verre, de la céramique, ou encore l’agriculture. Mais la présence des métaux lourds dans ces laitiers est un frein à leur utilisation, car ils peuvent avoir des impacts négatifs pour les espaces où ils sont utilisés. Ces métaux, comme le chrome, le molybdène ou le tungstène, ont eux-mêmes différentes utilisations industrielles. Une extraction optimale et efficace des métaux lourds de ces laitiers sidérurgiques permettrait donc à la fois de dépolluer les crassiers, et de développer de nouvelles filières de valorisation de la matière.
Dans ce double enjeu, le projet HYPASS (HYdrometallurgy and Phyto Management Approaches for Steel Slag management), financé par l’Agence nationale de la recherche et labellisé par le pôle de compétitivité Chimie Environnement AXELERA, a démarré en 2018. Il intègre notamment Mines Saint-Étienne1. La méthodologie HYPASS est mise en œuvre sur le crassier métallurgique de Châteauneuf, dans la Loire, inscrit dans le réseau des sites ateliers français pour l’innovation et la recherche (SAFIR). Ce projet a pour but de développer une démarche technologique innovante permettant simultanément la récupération des métaux d’intérêt stratégique des laitiers ainsi qu’une gestion se voulant plus écologique des crassiers métallurgiques.
Extraire les métaux lourds
La première partie du projet consiste à extraire par hydrométallurgie les métaux lourds des laitiers. Il s’agit d’une technique où les métaux sont extraits des matières minérales avec une étape de mise en solution, dite de lixiviation. « L’hydrométallurgie date du début du XXe siècle et était utilisée au départ sur des minerais à forte teneur en métaux, comme par exemple pour l’extraction de l’or par cyanuration », décrit Fernando Pereira, chercheur à Mines Saint-Étienne sur le projet HYPASS. « Depuis une trentaine d’années néanmoins, l’hydrométallurgie est également de plus en plus utilisée pour le traitement des déchets, qui peuvent être considérés comme des minerais à faible teneur en métaux. »
Les étapes de cette technique peuvent différer, mais elle comporte en général un prétraitement physique de la matrice minérale, une dissolution des métaux dans des réactifs acides ou basiques, un grillage à haute température, puis des étapes de purification et de raffinage.
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Dans le cadre du projet HYPASS, les chercheurs des Mines Saint-Étienne, en association avec le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), ont effectué différentes mises au point importantes en laboratoire dans les étapes du procédé d’extraction par hydrométallurgie. Ces étapes ont dû être ajustées en prenant en compte non seulement l’efficacité des techniques, mais également leurs aspects économiques ; certains procédés peuvent en effet se révéler particulièrement coûteux à l’échelle industrielle.
« Ce qui coûte le plus cher, ce n’est pas tant l’utilisation des divers réactifs lors de l’étape de lixiviation, mais les étapes préalables de broyage et de grillage [montée en température afin de rendre les oxydes métalliques plus solubles] car elles requièrent des coûts énergétiques élevés », pointe Fernando Pereira. Il a donc fallu faire une mise au point importante de l’ajustement de la température dans l’étape de grillage pour une optimisation de l’efficacité en rapport avec le coût. Une autre mise au point originale a été effectuée au niveau du choix des réactifs utilisés pour extraire les métaux. Les méthodologies habituelles reposent sur l’utilisation d’acides pour dissoudre les minerais mais cela implique une extraction non sélective, c’est-à-dire que les différents composés sont confondus dans la solution d’extraction. La méthodologie HYPASS a développé l’utilisation de réactifs basiques qui permettent d’extraire spécifiquement les métaux d’intérêt stratégique, favorisant ainsi leur valorisation ultérieure ainsi que celle de la matrice minérale.
Finalisation de la méthode de phytostabilisation
La deuxième partie du projet consiste à stabiliser la pollution des crassiers grâce à une couverture par les plantes. Cependant, il est très compliqué de faire pousser des plantes sur les crassiers pour différentes raisons : le sol des crassiers est extrêmement basique, il ne possède pas de matière organique, et peu d’éléments essentiels à la croissance comme l’azote et le phosphore. De plus, ce sol a une faible rétention d’eau de pluie. Il possède également une forte toxicité, notamment par la présence de la forme spécifique du chrome, dite chrome VI, qui est un cancérigène avéré.
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C’est donc un véritable défi de faire pousser des plantes sur un support aussi hostile qu’un crassier métallurgique. Mathieu Scattolin, chargé du volet phytostabilisation du projet HYPASS, a fait des ajustements majeurs sur les conditions de croissance des plantes dans ces milieux. « Les expériences ont notamment montré que le pH est un facteur clef pour le succès de l’implémentation de la phytostabilisation sur le crassier », souligne Fernando Pereira.
Lorsque le sol est trop basique, certains éléments chimiques importants pour la croissance des plantes (comme le manganèse, le zinc ou le phosphore) ont des propriétés qui les rendent moins phytodisponibles, c’est-à-dire qu’ils sont moins transférés du sol à la plante. De plus, des éléments chimiques toxiques, dont le chrome VI, ont au contraire tendance à être davantage assimilés.
Afin de répondre à ces difficultés, une espèce de champignons, Rhizophagus irregularis, a été inoculée avec les plantes. « Quelle que soit la partie du crassier où l’on se trouvait, l’inoculation de Rhizophagus Irregularis conduisait à une colonisation relativement rapide des systèmes racinaires », constate le chercheur. Cette symbiose permet notamment de réduire la basicité du sol, augmentant donc la phytodisponibilité des éléments importants et en réduisant celle du chrome VI. La présence de ce champignon dans le sol permet également de fournir de la matière organique et d’augmenter la rétention de l’eau des sols.
La mise au point des conditions optimales de croissance a été testée en laboratoire puis sur des parcelles expérimentales du crassier de Châteauneuf, ce qui a mené à une colonisation rapide des systèmes racinaires. Cela a aussi permis d’ouvrir un nouveau volet dans le cadre du projet HYPASS.
Un outil d’aide à la décision est en cours de développement pour comparer différents scénarios de gestion des crassiers sidérurgiques. Fernando Pereira précise que « cet outil va permettre de comparer et de choisir des scénarios de gestion de laitiers sidérurgiques sur la base de critères d’impacts environnementaux, de coûts financiers et de services écosystémiques ». Le travail de conception s’inspire des principes de l’analyse de cycle de vie (ACV), pour que l’outil puisse proposer une estimation des impacts environnementaux globaux pour chaque scénario envisageable.
Au niveau hydrométallurgique, il subsiste encore quelques phases de développement en laboratoire. Un suivi de cinétique est envisagé afin de minimiser le temps de lixiviation des métaux. Des essais de capture des oxydes métalliques, ainsi que de technologie micro-onde — afin de voir si il est possible de s’affranchir de l’étape de grillage, particulièrement gourmande en énergie — sont également en cours de développement. La partie de phytostabilisation, quant à elle, apparaît finalisée.
Un projet européen est envisagé à la suite, avec notamment une montée en échelle et une mise en place de pilotes laboratoires plus conséquents. « Celui-ci s’inscrirait dans un projet de type Horizon Europe » conclut le chercheur pour donner des perspectives plus larges au projet.
Par Antonin Counillon.
1 Mines Saint-Étienne est engagée dans le projet HYPASS au travers de l’unité mixte de recherche Environnement, Ville, Société.
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