Notre exposition aux ondes électromagnétiques : attention aux idées reçues
Joe Wiart, Télécom ParisTech – Institut Mines-Télécom, Université Paris-Saclay
Nous vous proposons cet article en partenariat avec l’émission de vulgarisation scientifique quotidienne « La Tête au carré », présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L’auteur de ce texte, Joe Wiart, évoquera ses recherches dans l’émission du 28 avril 2017 en compagnie d’Aline Richard, éditrice science et technologie pour The Conversation France.
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[dropcap]D[/dropcap]epuis plus de dix ans, la maîtrise de l’exposition aux ondes électromagnétiques et en particulier aux radiofréquences alimente de nombreux débats, souvent passionnés. L’analyse des rapports et publications scientifiques parus sur le sujet montre que les chercheurs étudient surtout le possible impact des téléphones portables sur notre santé. Dans le même temps, d’après ce qui est publié dans la presse, le public se préoccupe essentiellement des antennes relais. Reste que le téléphone mobile et plus généralement les systèmes de communication sans fil sont utilisés en masse, et qu’ils ont bouleversé notre manière de communiquer et de travailler, dans le monde entier.
Aujourd’hui le nombre d’utilisateurs de téléphones mobiles sur le globe dépasse les 5 milliards. Et en France, selon les chiffres d’une enquête de l’Insee le taux d’équipement de la tranche d’âge 18-25 ans est de… 100 % ! Il faut dire que l’usage de ce moyen de communication n’est plus réservé, loin s’en faut, au simple appel vocal. Tant et si bien qu’en 2020, on estime que le trafic mondial des données mobiles représentera quatre fois le trafic Internet de 2005. En France, selon l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), plus de 7 % de la population se connectait sur Internet uniquement via un smartphone en 2016. Et l’explosion de l’utilisation des objets connectés va sans nul doute renforcer cette tendance.
Les différences de perception quant aux risques liés aux émissions des téléphones portables et des antennes relais peuvent en partie s’expliquer. En effet, les unes et les autres ne sont pas considérées comme étant liées. Qui plus est, si l’exposition aux ondes électromagnétiques est jugée « volontaire » pour les mobiles, elle est souvent dite « subie » pour les antennes relais. Voilà pourquoi en dépit de l’engouement massif pour les « mobiles » et objets connectés, le déploiement des antennes relais suscite toujours de vives polémiques, souvent focalisées autour de la question des impacts sanitaires.
Dans les faits, les normes nationales qui limitent l’exposition aux ondes électromagnétiques s’inspirent des recommandations de la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) et des connaissances scientifiques. Nombre de recherches ont été menées sur les effets potentiels des ondes électromagnétiques sur notre santé. Bien sûr, les études se poursuivent, car les technologies sans fil et leurs usages sont en constante évolution. Et ce, d’autant plus que les radiofréquences des téléphones portables ont été classées « cancérogènes possibles pour l’homme » (groupe 2B), suite à l’expertise organisée par le Centre international de recherche sur le cancer.
Étant donné le nombre important et croissant de jeunes utilisateurs de smartphones et autres mobiles, cette vigilance particulière est essentielle. En France, elle est assurée dans le cadre du Programme national de recherche Environnement-Santé-Travail (PNREST) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Et pour répondre aux préoccupations du public vis-à-vis des antennes relais (plus de cinquante mille sur l’ensemble du territoire français), de nombreuses communes ont discuté des chartes régissant leur installation. À l’image de la ville de Paris, qui a signé une telle charte dès 2003, en voulant faire figure de modèle pour la France et pour les grandes villes d’Europe : il s’agissait alors officiellement de limiter l’exposition induite par les antennes relais, à travers un accord signé avec les trois grands opérateurs.
Mise à jour en 2012, cette charte a été une nouvelle fois discutée au conseil de Paris en mars dernier, dans l’esprit de la loi Abeille, qui, proposée à l’Assemblée nationale en 2013 et promulguée en février 2015, met en exergue la recherche d’une sobriété de l’exposition aux champs électromagnétiques. Or il importe de le souligner. Cette initiative, comme tant d’autres, ne s’attache qu’aux antennes relais, alors que l’exposition aux ondes électromagnétiques et aux radiofréquences a bien d’autres sources. En se focalisant sur elles, on ne règle qu’une partie du problème. Il faudrait, entre autres, tenir compte également de l’exposition induite par le téléphone mobile de l’utilisateur ou de l’un de ses voisins…
En pratique, la part liée aux antennes relais dans l’exposition globale aux ondes électromagnétiques n’est pas prépondérante, loin s’en faut. Comme l’ont démontré plusieurs études, l’exposition induite par un mobile est largement plus significative. Fort heureusement, le déploiement de la 4G, puis de la 5G, va non seulement améliorer les débits mais aussi contribuer à réduire fortement les puissances émises par les mobiles. Une architecture du réseau en petites cellules, avec des petites antennes qui viendraient compléter les plus grosses, permettrait également de limiter les puissances émises. Il est important d’étudier des solutions de faible exposition aux radiofréquences à différents niveaux, depuis les dispositifs radio à l’architecture de réseaux ou à la gestion et à la fourniture des services. Ce qu’ont entrepris dès 2012 les partenaires du projet européen LEXNET avec l’ambition de réduire de moitié l’exposition du public aux champs électromagnétiques des radiofréquences.
Dans un avenir proche, les réseaux de cinquième génération utiliseront, de manière dynamique, de nombreuses bandes de fréquences et des architectures variées, ce qui devrait leur permettre de supporter la montée en débit et le foisonnement des objets connectés. Et de facto, s’imposera alors de considérer le couple réseaux-terminaux, au lieu de les traiter séparément. Ce nouveau paradigme est devenu un axe de travail incontournable tant pour les chercheurs que pour les industriels et les pouvoirs publics. Et de ce point de vue, les toutes dernières discussions quant à l’implantation des antennes relais et au renouvellement de la charte de Paris se révèlent emblématiques.
Joe Wiart, Titulaire de la Chaire C2M de l’institut Mines Telecom, Télécom ParisTech – Institut Mines-Télécom, Université Paris-Saclay
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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