Un plan de bataille franco-européen
L’institut Montaigne a donc publié un rapport qui dresse neuf recommandations stratégiques, qui vont du développement d’un tissu d’infrastructures numériques indépendantes, jusqu’à la simplification des normes européennes sur les questions digitales. « La France n’est pas une nation suffisamment grande pour obtenir une souveraineté à elle-seule, il faut donc penser à l’échelle européenne », souligne le spécialiste.
Une des premières notions qui est établie par le rapport, c’est que toute opération numérique dépend d’une infrastructure. Ce sont ces infrastructures qu’il faut développer, à l’échelle de la France comme de l’Europe, pour assurer indépendance numérique et réelle compétitivité économique. Or ces développements ne sont évidemment pas sans difficultés : des difficultés d’ordre technique (d’énergie, de sécurité…), mais aussi économique, juridique et sociétal.
Développer une solution de traitement des données numérique complète, et sécurisée
Dans un premier temps, il est nécessaire de maîtriser ses dépendances sur le plan technologique et scientifique. C’est le seul point de départ pour créer, à long terme, sur le plan français et européen, une solution numérique complète correctement dimensionnée, afin de stocker, traiter, et sécuriser les données dites « sensibles ». Il faut donc mettre en place des réseaux indépendants, afin de transporter les données entre les objets connectés et les serveurs. En résumé, développer des réseaux, qu’ils soient terrestres ou non terrestres, ainsi que des espaces de clouds qui seraient propres à la France, et aux autres pays européens.
L’edge computing, en complément, voire en alternative au cloud traditionnel, est également une option à développer. C’est une technologie qui conserve les données, et les traite sur une structure numérique locale, de taille plus adaptée et bien plus modeste qu’un centre de données classique. L’edge computing est de ce fait considéré comme moins énergivore et plus sécurisé qu’un cloud traditionnel, qui héberge les informations sur un serveur lointain.
La sécurisation des réseaux est également une priorité en ce qui concerne l’internet des objets, ou IoT. Ces outils numériques qui produisent et utilisent des données, comme un capteur de température, ou une montre connectée par exemple, doivent également être sécurisés. En établissant une chaîne numérique protégée de bout en bout, et avec une couverture globale des acteurs numériques, il sera possible de passer outre les infrastructures étrangères, et ainsi proposer une circulation et un traitement des données en interne, beaucoup plus sécurisée.
Muscler son jeu, pour devenir un acteur majeur
Afin de peser sur la scène internationale, et pour affirmer leur indépendance numérique, le rapport est on ne peut plus clair : la France et l’Europe se doivent de devenir des acteurs majeurs du numérique. Actuellement, l’Hexagone ne représente que 2,4 % des parts du marché mondial des infrastructures digitales, dont le montant global s’élève à 5 075 milliards de dollars.
Les spécialistes de l’Institut Montaigne expliquent qu’il est primordial de démarrer dès maintenant la construction d’au moins six supercalculateurs exaflopiques sur le territoire européen. Ces machines assureront au vieux continent un minimum de 15 % de la puissance de calcul mondiale, qui est détenue aujourd’hui en grande majorité par la Chine et les États-Unis. « C’est une mise à l’échelle nécessaire, nous avons un cap de croissance à passer », estime Gérard Memmi. Ces super calculateurs sont capables de réaliser des opérations flottantes, des calculs très importants sur un laps de temps de très court. Leur puissance se mesure de fait en exaflops, soit un milliard de milliards d’opérations flottantes par seconde.
À ce jour, plus d’un tiers des data centers de l’Hexagone se trouvent en Île-de-France. Face à ce déséquilibre, l’Institut Montaigne préconise une politique d’installation des centres de données équilibrée sur l’ensemble du territoire, mais aussi stratégique, compte tenu de leur cout énergétique et de leur réponse à des besoins locaux. Une telle redistribution renforcerait l’autonomie numérique du pays.
Adapter et simplifier les normes à l’échelle européenne
La dernière recommandation appelle à la simplification des réglementations relatives à l’écosystème européen sur la question numérique. La diversité des normes dans les télécommunications entre chaque pays ralentit le fonctionnement des entreprises et des infrastructures digitales. « Ces problématiques normatives apparaissent partout. Même aux États-Unis, le Gouvernement fédéral doit souvent intervenir afin d’aplanir les normes entre deux États, pour éviter que les entreprises soient trop ralenties sur le plan administratif », explique l’enseignant-chercheur. En harmonisant les règles administratives des différents pays européens, les entreprises numériques du vieux continent auront plus de latitude pour peser sur la scène mondiale.
Alerter l’État et motiver les entreprises, pour assurer l’avenir
L’objectif du rapport est donc de renseigner l’État français sur les risques et opportunités de la situation, pour l’inciter à des mesures concrètes, significatives, et à des investissements à l’échelle nationale. Mais ce n’est pas le seul acteur interpellé par l’étude de l’Institut Montaigne, qui invite aussi à une dynamique et un engagement de la part des grandes entreprises françaises.
Le rapport encourage les entreprises nationales à modérer l’emploi des services des GAFAM, en s’engageant plus résolument et plus fidèlement avec des services et des infrastructures numériques locales. « Il faut valoriser l’excellence française et européenne auprès des entreprises, pour les encourager à jouer le jeu, il ne s’agit pas simplement d’insuffler de l’argent. Tant que nos grandes sociétés resteront chez les géants américains, les plus petites start-ups du numérique atteindront rapidement un plafond de verre extrêmement difficile à briser. En ce sens, la récente alliance entre la start-up française Mistral AI et le fabricant hollandais ASML semble aller dans une bonne direction », prévoit Gérard Memmi.