Google, géant technologique fondé en 1998, est devenu un acteur incontournable dans la recherche en ligne, la publicité numérique, les systèmes d’exploitation mobiles et les services cloud. Cette position dominante a suscité l’attention des autorités antitrust à travers le monde, qui accusent l’entreprise d’abus de position dominante et de pratiques anticoncurrentielles.
Pour comprendre cette situation, il est nécessaire de revenir sur les principes fondamentaux du capitalisme. Le capitalisme repose sur plusieurs règles qui structurent son bon fonctionnement économique et social : propriété privée, libre entreprise, libre concurrence, libre-échange, régulation des prix par le marché…
La recherche de la maximisation des profits conduit à l’accumulation de capital favorisant les investissements nécessaires pour stimuler la productivité, l’innovation et l’efficacité économique sur le long terme. L’État est chargé principalement de garantir le respect des lois, de protéger la propriété et d’assurer un cadre favorable aux échanges économiques. Il intervient pour corriger les inégalités et réguler le marché, habituellement, sans restriction majeure.
Neutralisation de la concurrence
Toutefois, comme le souligne Fernand Braudel dans Civilisation matérielle, économie et capitalisme, le capitalisme, en quête de profits maximaux, tend à éliminer la concurrence en instaurant des positions dominantes. Il note que les corporations concernées, souvent proches du pouvoir, disposent de la force nécessaire pour neutraliser la concurrence la majeure partie du temps. Son analyse met en évidence la manière dont le capitalisme peut entraver le fonctionnement naturel de l’économie de marché en restreignant la concurrence. La concentration des marchés – c’est-à-dire la diminution du nombre de concurrents sur les marchés – conduit à l’émergence d’oligopoles ou de quasi-monopoles. Elle peut être accélérée par des pratiques anticoncurrentielles car ces dernières limitent l’entrée de nouveaux concurrents innovants. Par conséquent, la concentration ralentit aussi souvent l’innovation.
Les lois antitrust sont des instruments législatifs visant à préserver la concurrence en empêchant les entreprises d’adopter de tels comportements anticoncurrentiels, notamment les abus de position dominante et les accords restrictifs de marché. Elles constituent un cadre juridique destiné à limiter la concentration excessive du pouvoir économique et à garantir un fonctionnement efficace des marchés en empêchant la constitution de monopoles abusifs ou de cartels et en interdisant les ententes secrètes entre entreprises visant à fixer les prix ou se partager le marché.
À cette fin, les fusions et acquisitions sont surveillées par les états pour éviter la domination d’un acteur unique ; des prix justes sont garantis et l’innovation est encouragée par le maintien d’une concurrence saine. En Europe, l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit l’abus de position dominante. Aux États-Unis, la loi Sherman de 1890 est la première loi antitrust visant à interdire les monopoles et les pratiques anticoncurrentielles.
Accumulation d’accusations
Dans le cas de Google, l’accumulation des accusations tant en Europe qu’aux USA conduit la Commission Européenne à ouvrir une enquête pour abus de position dominante, dès 2010, sur la base de 18 plaintes officielles. Depuis cette date, l’Union européenne a mené plusieurs enquêtes antitrust contre Google, aboutissant à des amendes dépassant les 8 milliards d’euros. Ces enquêtes ont porté sur divers services, notamment Google Shopping, le système d’exploitation Android et Google AdSense.
En 2020, l’UE a également lancé une enquête approfondie sur les pratiques publicitaires de Google. En 2021, c’est au tour de la France d’infliger 220 millions d’euros d’amende à Google pour abus de position dominante. En mars 2025, l’Union européenne a intensifié son application des règles antitrust en vertu du Digital Markets Act (DMA), ciblant des entreprises comme Google pour avoir prétendument favorisé leurs propres services au détriment de ceux de leur concurrence.
Aux États-Unis, le département de la justice (DOJ) a intenté plusieurs actions en justice contre Google. En octobre 2020, il a engagé une action pour monopolisation illégale du marché des moteurs de recherche. En janvier 2023, une autre action est entamée contre la monopolisation illégale du marché de la technologie publicitaire. Le procès a débuté le 9 septembre 2024 et s’est conclu le 27 septembre. Les arguments finaux ont été présentés le 25 novembre 2024.
Verdict attendu
Bien que la juge fédérale Leonie Brinkema ait indiqué qu’elle rendrait sa décision dans un délai court, le verdict est toujours attendu. Par ailleurs, en mars 2025, Google a accepté de payer 100 millions de dollars pour régler un recours collectif aux USA intenté en 2011, accusant l’entreprise de surfacturer les annonceurs en ne fournissant pas les remises promises et en facturant des clics publicitaires en dehors des zones géographiques ciblées.
Ces actions ne se limitent pas aux pays occidentaux. Ainsi, en 2022, la Corée du Sud (30 millions de dollars) puis l’Inde (160 millions de dollars) attaquent également Google pour abus de position dominante. Ces poursuites reflètent une volonté accrue des autorités européennes et américaines, entre autres, de réguler les pratiques des grandes entreprises technologiques. Les règlements financiers, bien que substantiels, représentent toutefois une petite fraction des revenus de Google. Mais ils signalent une tendance croissante des annonceurs et des régulateurs à contester les pratiques commerciales de l’entreprise.