Les années 1990 et 2000 ont été marquées par des changements majeurs dans l’industrie des médias et en particulier dans le secteur de la musique. Ce dernier a connu une baisse des ventes physiques (CD), l’augmentation des téléchargements (sur un mode illégal mais aussi légal), un usage croissant du smartphone comme terminal privilégié pour la consommation de contenus… Le marché du streaming musical enregistre alors une croissance rapide devenant l’un des principaux moyens d’écouter de la musique dans de nombreux pays, dont la France.
C’est dans ce contexte de transformation numérique que Daniel Marhely décide de lancer en 2006 en France une plateforme de streaming musicale Blogmusik, rebaptisée Deezer, dès 2007. Les débuts de Deezer sont chaotiques sur un marché français très concurrentiel avec des acteurs déjà bien installés à l’époque, à l’instar de Spotify. Mais progressivement, Deezer réussit à se positionner comme un acteur clé avec sa plateforme de streaming au niveau international.
La fin des pertes
Après des années de performances financières assez médiocres, Deezer annonce en mars 2025, des résultats pour 2024 en nette progression avec une augmentation du chiffre d’affaires de 12 % et surtout une amélioration significative de la rentabilité : la plateforme a atteint le seuil de rentabilité pour la première fois au cours du second semestre de l’année 2024, avec un Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) ajusté passant d’une perte de 28,8 millions d’euros en 2023 à 4 millions d’euros en 2024. Les prévisions pour 2025 sont optimistes avec des objectifs affichés pour un Ebitda ajusté positif et un flux de trésorerie disponible positif pour la deuxième année consécutive. Deezer a traversé plusieurs phases qui coïncident avec des prises de décision stratégique engageant l’entreprise à adapter notamment son modèle d’affaires.
Cette notion de modèle d’affaires s’est très largement diffusée depuis la fin de la décennie 1990. Cela correspond à la montée en puissance de tous les services et applications numériques dans un contexte de convergence des secteurs des TIC. Le modèle d’affaires (ou modèle économique) renvoie à des sens, des interprétations et des représentations multiples selon l’angle considéré (différenciation, avantage concurrentiel, innovation, disruption, partage de la valeur, etc.) et la discipline de référence (management des systèmes d’information, stratégie, entrepreneuriat, marketing digital, etc.). De fait, le modèle d’affaires est défini tour à tour comme une méthode, une démarche, un cadre d’analyse unifié, une logique, un concept, etc.
Le modèle d’affaires de Deezer sur plusieurs années peut être analysé au travers de trois dimensions principales dont certaines sont très anciennes et relèvent du champ économique « classique » :
- la valeur : proposition, processus de création, partage de la valeur ;
- les ressources : capacités d’innovation, « scalabilité » (passage à l’échelle et rendements croissants) ;
- les revenus : le modèle de revenu (flux de revenus), souvent confondu avec le modèle d’affaires lui-même. Il existe plusieurs modèles de revenus parmi lesquels les formules « gratuites » (assorties ou non de publicité), payantes avec notamment les abonnements, les offres premium, etc.
Un environnement en évolution permanente
Deezer a évolué dans un environnement technologique et réglementaire très changeant obligeant les acteurs du marché à des adaptations continues. Trois grandes périodes peuvent être identifiées avec un impact significatif sur les modèles d’affaires :
- La fin des années 2000 : les premiers tâtonnements dans le streaming musical. Le fait marquant est bien entendu le lancement de la plateforme (avec des ressources et une démarche innovante) qui s’inspire des autres modèles existants sur le marché. Deezer a surtout testé pendant cette période des modèles de revenus (abonnements, formule premium). La proposition de valeur « accès (écoute et/ou téléchargement) à un son de très haute qualité et sans publicité » trouve son public et les premiers chiffres sont encourageants.
- Les années 2010 : vers une transformation profonde du modèle d’affaires initial ? Cette décennie a été l’occasion, notamment pour Deezer, de « reconfigurer certaines briques » de son modèle d’affaires d’origine et d’étendre le périmètre géographique de ses activités au-delà du territoire français. Deezer poursuit la signature d’accords avec les labels de musique. La plateforme s’est enrichie avec des ressources issues de nombreux partenariats que Deezer a su développer. Plusieurs alliances sont nouées avec des opérateurs tels qu’Orange mais aussi avec d’autres acteurs du secteur des médias comme Fnac-Darty puis dans la décennie suivante avec Bouygues Telecom, Sonos, RTL+, DAZN, etc.
Deezer réussit plusieurs levées de fonds successives et l’intégration de nouveaux actionnaires. Les processus de capture et de partage de la valeur entre les différents partenaires (offres intégrées) évoluent en conséquence. Son modèle économique est hybride, alliant des canaux de distribution direct (B2C) et indirect (B2B grâce aux partenaires).
Une licorne française
Côté consommateurs, Deezer poursuit sa croissance avec un catalogue de plus en plus étoffé, une audience en augmentation avec des offres ciblées (Deezer famille) et une mise à jour du site et de l’application (navigation plus fluide), de nouveaux contenus, des interactions directes et exclusives entre les utilisateurs et leurs artistes préférés, l’accompagnement d’artistes en leur permettant une plus grande visibilité sur la plateforme et les réseaux sociaux.
Même si Deezer devient une licorne française à la fin des années 2010, son renoncement à une première tentative d’entrée en Bourse en 2015 montre aussi que le modèle d’affaires de la plateforme n’était pas encore totalement « stabilisé » et que Deezer cherche de nouveaux relais de croissance et nouvelles sources de monétisation de son audience.