« Tu tournes un peu la main, comme ça… » Dans l’atelier, les mots tentent de suivre le mouvement. D’un côté, les « anciens » et « anciennes » qui forment, de l’autre, les « jeunes », qui écoutent, observent, essayent, recommencent… Mais dans de nombreux métiers artisanaux, la transmission orale atteint vite ses limites. Comment décrire précisément l’angle d’un poignet, la pression exercée par un doigt, ou la tension d’un fil ?
Ces gestes complexes, qui échappent au langage, sont aussi le fruit d’années de pratique. La transmission n’est pas seulement limitée par les mots, mais aussi par le temps – souvent compté dans les petites structures – pour revoir un geste, s’en imprégner pleinement, ou encore l’observer sous différents angles.
C’est à cette frontière entre l’oral et le corporel que se situe Myothesis. La jeune start-up, incubée à Télécom Paris, a conçu une technologie capable de capturer et d’enregistrer les gestes professionnels. Elle restitue ensuite les contenus numérisés en 3D, pour faciliter la transmission des savoir-faire et répondre à la tension du renouvellement générationnel dans l’artisanat.
Face à l’érosion des savoir-faire artisanaux
Dans tous les secteurs de l’artisanat, le constat est le même : la disparition progressive des savoir-faire techniques met en péril la pérennité des entreprises. Les départs en retraite se multiplient, les vocations sont rares, les formations manquent. Face à ce déficit, beaucoup de très petites entreprises organisent elles-mêmes leur propre parcours d’apprentissage, dans un cadre informel.
Adam Wilhelm, cofondateur de Myothesis, connaît bien cette réalité : il est issu d’une famille d’artisans depuis trois générations. « Mon grand-père était ébéniste. Puis il est devenu tailleur, et a transmis sa passion à mon père. Moi, j’ai pris un autre chemin, mais j’ai voulu y revenir », relate-t-il. C’est dans cette volonté de faire le lien entre tradition et innovation qu’il a créé Myothesis avec Adriana Berger, rencontrée en école d’ingénieurs.
Tous deux voulaient donner un sens concret à leur formation scientifique, en créant une technologie utile à celles et ceux qui, dans les ateliers, n’ont pas toujours les outils pour formaliser leur expertise. « Le projet est né à l’école et, directement après le diplôme, nous nous sommes lancés dans l’aventure entrepreneuriale », raconte Adriana Berger.
Encapsuler le mouvement
La solution conçue par Myothesis repose sur un objet discret et léger : un bracelet placé au centre de l’avant-bras. Ce dispositif élastique intègre un système électronique complet, avec des capteurs d’électromyographie qui analysent les signaux musculaires émis par le corps à la surface de la peau. Ces signaux, transmis du cerveau à la main, contiennent des informations riches sur le mouvement, la posture et la force exercée.
« Chez les artisans, il n’y a pas que le geste, il y a aussi la pression, la tension », précise Adam Wilhelm. « Notre algorithme va jusqu’à interpréter comment les doigts sont pliés, positionnés, en fonction de la tâche. » Grâce à un logiciel dédié, les gestes sont modélisés en 3D, visualisables sur tablette, ordinateur, ou via un casque de réalité virtuelle. La rotation du poignet, l’orientation des doigts ou le rythme du mouvement peuvent ainsi être observés sous tous les angles.
La fabrication du bracelet a fait l’objet d’un travail approfondi. Les capteurs sont biocompatibles, non invasifs, et la conception a été confiée à une ingénieure en mécanique, afin que le dispositif s’adapte à toutes les morphologies. « Il faut qu’il tienne sur les bras les plus fins, sans non plus faire garrot sur les bras plus musclés. Cette adaptabilité était évidemment une question essentielle, sur laquelle nous avons travaillé plusieurs mois », souligne Adriana Berger. Une batterie intégrée complète l’ensemble, rendant le système entièrement portable.