L’actualité scientifique de l’Institut Mines-Télécom.
Publié le 18 mars 2025
Par Victor Charpenay
Retour sur le Sommet de Paris : l’IA « pour les gens et la planète » n’est pas celle que l’on croit
Le Sommet pour l’action sur l’intelligence articifielle qui s’est tenu à Paris début février 2025 se voulait optimiste. Il a abouti à une déclaration pour « une IA durable et inclusive, pour les gens et la planète ». Les discussions sur la durabilité ont principalement eu lieu au ministère de la transition écologique, où était présent un de nos chercheurs.
Il faut distinguer différents types d’IA. L’IA générative, en particulier, n’est pas indispensable pour étudier la planète ; par contre, elle consomme beaucoup d’énergie et de ressources.
L’IA générative n’est pas indispensable pour étudier la planète ; par contre, elle consomme beaucoup d’énergie et de ressources. YutongLiu /BetterImagesofAI/JoiningtheTable, CC BY
Le premier Sommet sur l’IA, organisé en 2023 par le Royaume-Uni sous le nom de Sommet pour la sécurité de l’IA, s’était conclu par une déclaration prudente sur les risques existentiels que poserait l’IA vis-à-vis de l’humanité. Le second Sommet qui se tenait le mois dernier à Paris, cette fois pour l’action sur l’IA, aura abouti à une déclaration beaucoup plus optimiste centrée sur une IA « pour les gens et la planète », pour reprendre les termes de son titre.
L’événement principal du Sommet pour l’action sur l’IA, organisé au Grand Palais, accueillait essentiellement des représentantes et représentants de gouvernements, il n’avait pas vocation à rentrer dans le détail. Pour comprendre ce que peut être une IA « pour les gens » et surtout « pour la planète », comme nous allons le voir, il faut pourtant différencier plusieurs types d’IA et préciser les termes.
Le Forum pour l’IA durable, qui se tenait en marge de l’événement principal, allait dans ce sens.Il s’est tenu au ministère de la transition écologique, à deux kilomètres du Grand Palais. En une journée, 25 personnes issues d’administrations publiques, d’entreprises de la Tech et du monde académique invitées par le ministère se sont succédé sur scène. L’organisation la plus impliquée sur la question était, semble-t-il, l’ONU, représentée par cinq personnes. J’étais, moi, dans l’audience.
Ce qui s’est dit au Forum pour l’IA durable
La conversation durant le forum peut se résumer ainsi :
– Big Tech : « Regardez ce que peut faire l’IA ! Elle a déjà un impact positif sur nos sociétés. »
– Administrations publiques : « De quoi auriez-vous besoin pour faire progresser cette technologie pleine de promesses ? »
– Big Tech : « De plus d’énergie ! »
– Recherche : « Attention tout de même au coût environnemental global de l’IA générative, qui a aussi un impact négatif sur nos sociétés. »
– Big Tech : « Le domaine évolue très vite. Demain, des gains en efficacité absorberont la hausse de consommation, l’impact net sera positif ! »
– Recherche : « C’est sans compter sur les effets rebonds qui amplifieront le recours à l’IA générative. »
– Big Tech : « Ce n’est pas à nous de décider ce que les individus feront avec l’IA. Nous faisons confiance à la créativité humaine. »
– Administrations publiques : « Cette IA pourrait-elle par exemple servir à la lutte contre le réchauffement climatique ? »
– Recherche : « Certainement. Mais on ne parle alors plus d’IA générative, qui n’est que la dernière génération d’une longue série d’innovations technologiques.
– Administrations publiques : « Je reviens quand même à l’IA générative. On observe déjà une forte inégalité d’accès à cette technologie (selon le revenu et selon le genre). Ne devrait-on pas essayer de la rendre plus accessible ? »
– Recherche : « Vous décidez. Mais il faudrait alors une collaboration plus étroite avec la Tech, pour mieux estimer son impact net réel. Nous n’avons pas assez de données fiables. Vous non plus, d’ailleurs. »
L’IA générative contre la planète
L’IA générative a quelque chose de spectaculaire. Elle est en effet pleine de promesses. Pourtant, quelques minutes à peine après le lancement officiel de la journée, Sarah Myers West, co-directrice de l’institut de recherche privé AI Now, rappelait un fait essentiel : le développement de cette technologie est en train de menacer la transition écologique.
Lorsque Donald Trump et Emmanuel Macron annoncent, les 21 janvier et 9 février respectivement, des deals à plusieurs centaines de milliards de dollars pour construire de nouveaux centres de données dédiés à l’IA, l’effet attendu est une hausse importante de la consommation électrique dans les régions concernées.
Dans l’assistance, l’association Beyond fossil fuels prend la parole pour rappeler qu’à court terme, ce surplus d’électricité sera probablement produit avec l’infrastructure existante, encore très émettrice de CO2 dans de nombreux pays.
Estimation par l’Agence internationale de l’énergie de la demande en électricité des centres de données en Irlande et en Virginie (l’État « capitale » des centres de données aux États-Unis), en pourcentage de la demande totale d’électricité de ces États. Agence internationale de l’énergie, CC BY.
Estimation par l’Agence internationale de l’énergie de la demande en électricité des centres de données dans différentes régions du monde, en pourcentage de la demande totale d’électricité. Agence internationale de l’énergie, CC BY.
À cet avertissement, Nvidia et Google, représentées par leur directeur et directrice sustainability (durabilité), répondent par des promesses. Le travail d’ingénierie dans ces entreprises serait tel que des gains substantiels en efficacité permettraient d’absorber la hausse actuelle de consommation due à l’IA.
Comme en réponse à cet argument, à la suite de Sarah Myers West, la chercheuse Sasha Luccioni prévient que l’histoire des sciences et techniques n’a jamais démontré que les gains en efficacité favorisent la sobriété. Au contraire, l’efficacité amène quasiment systématiquement un regain de consommation qui, en volume global, augmente la consommation énergétique, l’impact environnemental ou, dans le cas de l’IA, la quantité de calcul associée à une technologie. Ce phénomène porte un nom : le paradoxe de Jevons ou effet rebond.
En ligne avec cet argument, l’OCDE a proposé une méthodologie de mesure d’impact environnemental qui prend en compte non seulement la production, le transport, l’exploitation et le recyclage de l’équipement informatique mais aussi les impacts indirects de l’adoption de systèmes d’IA, comme le recours systématique à ChatGPT plutôt qu’à un moteur de recherche.
L’IA non générative pour la planète
Malgré ces précautions, l’OCDE, l’Agence internationale de l’énergie, l’ONU et d’autres administrations publiques présentes au forum sont très enclines à voir l’IA comme un outil essentiel de lutte contre le réchauffement climatique. Certes, certains systèmes d’IA ont été conçus dans cet objectif. Le directeur du CivicDataLab, Gaurav Godhwani, avait été invité pour en donner un exemple : dans l’état d’Assam en Inde, où les inondations sont de plus en plus fréquentes, le CivicDataLab propose une application d’analyse de risques pour mieux anticiper ces inondations.
La communauté scientifique Climate Change AI, représentée par David Rolnick et Lynn Kaack à Paris, a fait un travail méticuleux de recensement de ce genre d’approches. Mais les chercheuses et chercheurs enchaînent avec une précision importante : l’IA regroupe sous un seul nom, fortement polysémique, de nombreuses techniques de traitement de la donnée.
Lorsque l’IA est utilisée comme outil d’aide à la décision, ce n’est plus de l’IA générative. Il n’est pas nécessaire de générer du texte ou des images pour analyser des images satellites (pour anticiper des catastrophes naturelles) ou prédire la demande en électricité d’un territoire (pour en optimiser la distribution). Or, les méthodes vouées à ces problèmes consomment nettement moins d’électricité qu’un modèle d’IA générative et sont loin de nécessiter des investissements conséquents dans des centres de données.
Dans une méta-analyse du travail de Climate Change AI, il apparaît que plus de la moitié des approches recensées sont des méthodes d’apprentissage machine connues depuis dix ou quinze ans, avant l’émergence des IA génératives. Même lorsque l’IA générative se révèle intéressante dans la lutte contre le réchauffement climatique, pour les modèles météorologiques par exemple, son échelle est nettement réduite par rapport à celle des grands modèles utilisés par ChatGPT ou Mistral. Le laboratoire d’IA de Météo France, qui avait un stand au ministère de la transition écologique, a développé un modèle pour estimer les précipitations futures, conceptuellement proche de DALL·E (le générateur d’image de ChatGPT) mais 200 fois plus petit en nombre de paramètres.
Le terme d’« IA durable », sujet central des discussions ce 11 février, est donc utilisé pour désigner deux choses bien distinctes.
Il fait d’abord référence à une IA dont on maîtriserait la consommation énergétique et l’impact environnemental, mais les orateurs et oratrices du Forum pour l’IA durable l’utilisent aussi pour désigner une IA au service du développement durable. L’IA non générative coche les deux cases ; l’IA générative grand public, jusqu’à preuve du contraire, n’en coche aucune. L’IA des entreprises de technologie et celle des administrations publiques ne se ressemblent pas.
L’IA pour les gens
Bien que l’IA générative concentre tous les investissements et menace en partie la transition écologique, les quelques centaines de millions d’usagers de ChatGPT diraient peut-être à sa décharge qu’elle est utile à toute sorte de tâches. Il serait alors justifié de lui allouer une partie non négligeable de l’électricité mondiale.
Peut-on ainsi dire que l’IA générative est une IA « pour les gens » ? Autrement dit, si ChatGPT obtenait une dérogation à l’effort mondial de lutte contre le réchauffement climatique, qui en bénéficierait réellement ?
Ce 11 février justement, Christine Zhenwei Qiang, directrice au numérique de la Banque mondiale, reprend les conclusions d’un rapport de son institution sur l’adoption de ChatGPT dans le monde. Selon ce rapport, le trafic vers ChatGPT vient à 50 % de pays à fort revenu alors que ces pays ne représentent que 13 % de la population mondiale. Les pays à faible revenu représentent à l’inverse 1 % seulement du trafic. Comme un symbole, la ministre de l’information et des communications du Rwanda, un pays à faible revenu selon la Banque mondiale, était initialement prévue dans le programme de la journée, mais n’y a finalement pas participé.
Toujours selon le rapport de la Banque mondiale, les femmes ne représentent qu’un tiers seulement des usagers. Ces deux catégorisations, par revenu et par genre, illustrent l’utilité toute relative de l’IA générative pour l’humanité.
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