Tandis que les réseaux mobiles évoluent vers des générations de plus en plus performantes — de la 4G à la 5G, en route vers la 6G — des préoccupations grandissent quant à leur impact sur notre environnement et notre santé. Depuis environ quarante ans, chaque décennie apporte une nouvelle génération de réseaux mobiles dont les progrès sont avant tout centrés sur l’amélioration des performances. Longtemps, ces évolutions se sont faites sans réelle considération pour la consommation énergétique ou les émissions électromagnétiques de ces réseaux.
Les premières générations de réseaux mobiles avaient en effet pour seul objectif de répondre aux besoins techniques de qualité de service. « Lors de la mise en route des réseaux 2G et 3G, la consommation n’était pas un sujet. L’objectif des GSM était d’émettre un maximum pour être captés par les stations de base », rappelle Joe Wiart, chercheur à Télécom Paris, spécialisé dans la dosimétrie. Ce n’est qu’à partir de la 4G que des efforts ont été entrepris pour mieux maîtriser l’énergie, notamment en éteignant certains équipements lorsque la demande était faible, par exemple la nuit. Or avec l’avènement de la 5G et l’arrivée prochaine de la 6G, ces efforts risquent de ne pas suffire. La complexité croissante des infrastructures et les nouveaux usages prévus exigent d’aller plus loin pour concilier performance et responsabilité.
C’est dans cette perspective que s’inscrit le projet Just Enough Network (JEN), du PEPR « 5G et Réseaux du Futur ». Sa proposition : créer des réseaux véritablement « agiles », capables d’ajuster leur consommation en fonction des besoins précis des utilisateurs et utilisatrices, tout en garantissant une qualité de service optimale. « Il faut donc que les objets connectés et les réseaux soient efficients, pour minimiser à la fois la consommation énergétique, mais aussi les niveaux d’exposition aux champs électromagnétiques induits par ces dispositifs », soulève le chercheur de Télécom Paris et co-pilote du projet. « En résumé, il faut chercher la sobriété ! » Ce à quoi se propose de répondre le projet JEN, en imaginant des réseaux qui consomment et émettent « juste ce qu’il faut », sans excès ni gaspillage.
Un compromis entre qualité de service, efficacité énergétique et émissions
L’efficacité énergétique est donc un axe de travail central pour les différentes équipes de recherche du CNRS, du CEA et de l’IMT impliquées dans le projet. Plusieurs stratégies sont mises en œuvre, depuis l’optimisation des capteurs IoT jusqu’à la gestion globale des infrastructures. Les capteurs IoT, par exemple, consomment individuellement peu, mais représentent un défi énergétique majeur lorsqu’ils sont déployés à grande échelle. L’objectif est de maximiser leur autonomie tout en réduisant leur impact énergétique global.
Parallèlement, les équipes explorent des approches visant à adapter dynamiquement la consommation énergétique des infrastructures. Car, « une consommation énergétique optimisée n’implique pas un système sobre en tout point. Même si le système est efficace, s’il est tout le temps ouvert, l’ensemble du réseau consomme et émet », explique Joe Wiart. Les différents groupes de travail sont donc amenés à développer des modèles qui ajustent les équipements aux besoins réels en évitant une consommation inutile, mais également, une exposition prolongée aux champs électromagnétiques (CEM), dont on ignore encore les effets sur la santé. Ils recherchent ainsi le meilleur compromis entre la qualité de service, la consommation et l’exposition.
Minimiser l’exposition : enjeu de société et casse-tête
L’exposition aux CEM est un enjeu sociotechnique fondamental du déploiement de la 5G, et plus généralement des technologies de télécommunication. Si aucune preuve d’effet néfaste n’a été établie à ce jour, cette question demeure très présente dans le débat public. La confiance est en effet un facteur significatif de l’acceptabilité sociale d’une technologie, et cette confiance repose notamment sur la garantie de son innocuité. Or la recherche de l’optimum entre une exposition réduite à son minimum et une qualité de service acceptable est en réalité très délicate.
Au premier abord, réduire la densité des antennes réduit mécaniquement l’exposition induite par les réseaux, mais affecte également la qualité de service. Une couverture insuffisante oblige les téléphones à émettre à des puissances plus élevées pour maintenir la connexion, annulant ainsi les bénéfices de la diminution du nombre d’antennes. Une autre solution est de multiplier les émetteurs de faible puissance, mais elle n’est pas sans répercussion sur l’empreinte énergétique globale, puisqu’il faut à la fois construire et faire fonctionner tous ces émetteurs. Le projet JEN cherche donc à équilibrer au mieux ces différentes contraintes pour offrir une solution globalement acceptable, à la fois sur le plan énergétique et sanitaire.