Depuis l’apparition des premières plateformes en ligne immersives dans les années 2000, le métavers a connu plusieurs vagues d’évolution. Initialement pensés pour le divertissement ou les interactions sociales, ces environnements virtuels suscitent aujourd’hui un intérêt croissant dans le domaine industriel. Leur promesse : reproduire et synchroniser des environnements physiques en temps réel dans un monde virtuel.
Cette promesse est cruciale car elle permet d’améliorer la prise de décision grâce à des simulations précises, d’accélérer les innovations et de renforcer la collaboration en rendant les données complexes plus accessibles et visuelles. Contrairement aux jumeaux numériques industriels « classiques », les modèles évolutifs du métavers peuvent capter et intégrer les moindres événements (changements sur une machine, passage d’une personne…) pour guider les décisions opérationnelles. Le projet 5GMetaverse, qui réunit cinq écoles de l’Institut Mines-Télécom (IMT), plusieurs filiales d’Airbus, et Orange, cherche justement à préparer et promouvoir la 5G aux besoins du métavers, notamment dans un contexte industriel.
Une version dynamique des jumeaux numériques industriels
Le métavers offre effectivement de nombreuses possibilités pour l’industrie, telles que la simulation et l’optimisation des processus avant leur application dans le monde réel. « Il y a tout intérêt à simuler les différents paramétrages d’une machine pour en optimiser le fonctionnement dans un environnement virtuel contrôlé et contrôlable », argumente Marius Preda, chercheur spécialisé en réalité augmentée à Télécom SudParis et impliqué dans le projet 5GMetaverse.
La téléopération ou téléassistance sont également des applications prometteuses et font partie des cas d’usage du projet 5GMetaverse. Un opérateur équipé de lunettes de réalité augmentée (AR) peut par exemple être guidé par un expert à distance grâce à une représentation virtuelle de l’environnement industriel. « L’expert évolue dans un jumeau numérique de l’installation en temps réel, et ses interactions avec les éléments virtuels sont transmises à l’opérateur sur place », détaille Marius Preda.
Au-delà des gains en efficacité, ces technologies renforcent également la collaboration humain-machine. Alors que l’industrie évolue vers une robotisation accrue, le métavers offre une interface qui facilite les interactions entre humains et robots, tout en exploitant l’adaptabilité humaine dans des environnements où les robots restent limités. Pour en arriver là, le métavers doit néanmoins outrepasser des obstacles technologiques majeurs, et notamment satisfaire des contraintes techniques de latence et de débit de plus en plus exigeantes.
Latence et débit, des indicateurs clés de la réactivité
Dans une perspective où toute action qui a lieu dans le monde réel doit se propager instantanément à tous les utilisateurs du métavers en temps réel, les exigences en latence et en débit sont effectivement particulièrement critiques. « Dans une réunion Zoom, un échange vidéo de qualité nécessite environ 1 Mbps par utilisateur. Mais dans un métavers où il faut transmettre l’intégralité des mouvements corporels, on parle d’au moins 20 Mbps par utilisateur, pour une représentation réaliste », précise Marius Preda. « De même, la latence doit être très faible pour assurer une expérience fluide. Si l’animation de mon corps arrive même une demi-seconde après ce que je dis, c’est très visible. »
Ces besoins varient évidemment selon que l’on parle de réalité virtuelle (VR) ou d’AR. Alors que la VR plonge l’utilisateur dans un environnement entièrement virtuel, l’AR superpose des éléments virtuels à la réalité. La VR nécessite donc beaucoup de contenu et un débit élevé, car elle recrée l’intégralité de l’univers, alors que l’AR est moins exigeante mais requiert une synchronisation immédiate avec le réel. Dans le projet 5GMetavers, la VR est utilisée pour l’immersion totale des experts, et l’AR pour les opérateurs sur le terrain, posant des contraintes différentes sur la latence et le débit.
Optimisation des flux et hiérarchisation des données critiques
L’autre défi réside dans la gestion des données. Il ne s’agit pas simplement de garantir une transmission rapide, mais aussi d’identifier les informations prioritaires. « Dans un environnement industriel, certaines données, comme le contrôle d’une machine, sont plus importantes que d’autres », souligne Marius Preda. « Les protocoles de transmission doivent intégrer cette hiérarchisation pour optimiser les flux. »
Mais là encore, les exigences varient en fonction des usages : par exemple, les besoins pour un téléopérateur en interaction avec une machine sont différents de ceux d’une formation, sur laquelle un peu de latence est tolérable. De même, certaines machines nécessitent une interactivité forte, tandis que d’autres sont plus autonomes. Il est donc nécessaire d’impliquer les experts métiers dans l’étiquetage des informations critiques pour que le métavers les traite en priorité, assurant une transmission optimisée en fonction de l’importance de chaque donnée.
Des technologies clés pour un métavers à la hauteur des enjeux industriels
Pour répondre à ces exigences, plusieurs technologies interviennent. Celles de compression jouent un rôle important, pour compacter l’information et minimiser le temps de transmission. La 5G, quant à elle, permet d’assurer une meilleure gestion des flux grâce au slicing réseau, qui permet de partitionner intelligemment les flux de données selon les besoins. Toutefois, ces technologies restent limitées, et les évolutions futures, notamment vers la 6G, seront nécessaires pour répondre aux divers cas d’usage et supporter une adoption à grande échelle.
Ces évolutions devraient notamment faciliter l’interopérabilité entre différents métavers. Dans le cas de la téléassistance par exemple, l’expert est susceptible de passer d’un métavers à un autre pour intervenir sur différents sites : la gestion de son profil et de ses accès doit être fluide. Elles devraient également supporter l’intégration « par design » du multi-utilisateurs, essentielle dans des environnements tels que l’usine virtuelle, qui devrait accueillir une dizaine d’utilisateurs, ou la boutique virtuelle – deuxième cas d’usage du projet 5GMetaverse – qui en accueillerait potentiellement des milliers.
Enfin l’intelligence artificielle (IA) est également un levier essentiel pour exploiter pleinement le potentiel du métavers industriel, en intervenant à plusieurs niveaux, comme la classification des données pour optimiser leur traitement ou la représentation des contenus 3D. « L’IA peut par exemple générer, à partir d’une simple image, une représentation 3D fidèle d’une machine ou d’une pièce, relaxant ainsi les contraintes de débit puisque certaines données ne seront plus transmises mais générées », illustre Marius Preda.
Objectif « cinquième vague »
Si le métavers industriel offre des perspectives prometteuses, sa généralisation reste un objectif à moyen ou long terme. « Le grand projet du métavers, c’est l’immersion dans le monde virtuel, pas de faire un Zoom bis », soulève Marius Preda. « Pour cela, les interfaces fournies par les casques de réalité virtuelle sont indispensables ». Or les dispositifs actuels sont encore encombrants et peu adaptés à un usage prolongé dans un contexte industriel.
L’avenir du métavers dans l’industrie dépendra donc de plusieurs avancées simultanées : sur le plan matériel, la miniaturisation des équipements et leur adoption large ; sur le plan réseau, l’intégration de nouveaux protocoles, notamment avec la 6G ; et enfin, les progrès en IA et en modélisation pour enrichir les applications disponibles. Il faudra bien pour cela patienter jusqu’à la « cinquième vague » de métavers [voir encadré] si l’on en croit le chercheur : « pas avant 7 ou 10 ans donc. »