Quelle satisfaction d’arriver au bout d’une corvée de nettoyage ! Mais vous êtes-vous déjà demandé où partait l’eau de lavage grise et sale que vous videz généralement dans votre évier ou vos toilettes ? À la station d’épuration, me direz-vous. Oui, mais voilà : les systèmes de traitement actuels, conçus pour éliminer les principaux contaminants issus de la matière organique (carbone, phosphore, azote) peinent à filtrer d’autres composés comme les métaux et les micropolluants. Typiquement, les composés pharmaceutiques que nous ingérons ne sont pas toujours bien métabolisés : ils finissent dans les eaux usées et, faute de traitement adéquat, dans les rivières.
Ces composés résiduels, bien que présents en quantités infimes, ont des effets néfastes sur les milieux naturels, et en particulier les écosystèmes aquatiques. Ils perturbent notamment le système endocrinien des espèces locales, entraînant des déséquilibres comme une large prédominance de poissons femelles dans certaines rivières. De nouvelles directives visent cependant à mieux règlementer le traitement de l’eau afin que les micropolluants soient éliminés plus efficacement.
Depuis le 20 juin 2023, un arrêté impose aux installations industrielles un suivi strict des rejets de substances per- et polyfluoroalkylées, plus connues sous le nom de PFAS. De nouveaux amendements, proposés dans le cadre d’une directive sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, devraient également fixer des objectifs seuils pour ces composés ; tandis que les substances pharmaceutiques, parmi bien d’autres, sont en cours d’intégration dans une directive cadre sur la qualité environnementale de l’eau. De telles dispositions laissent imaginer que des normes de traitement raffermies pourraient être introduites pour les substances les plus préoccupantes… à condition de les avoir identifiées au préalable !
Polluants domestiques, industriels, agricoles : tous à l’eau !
Nos activités quotidiennes introduisent effectivement à elles-seules une multitude de polluants dans le cycle de l’eau : médicaments, détergents, cosmétiques, insecticides… Et les rejets domestiques ne sont évidemment pas les seuls en cause. L’industrie et l’agriculture déversent également leur lot de polluants : produits de combustion, perfluorés, anti-corrosifs, pesticides… Toutes ces substances représentent des dizaines de milliers de composés qui sont peu ou mal traités par les systèmes de retraitement.
Afin d’évaluer les performances de ces systèmes, il faut être en mesure de suivre les polluants dans les eaux, en entrée et en sortie. Mais il faut savoir quoi chercher, et les possibilités sont vastes ! Andrés Sauvêtre et François Lestremau, tous deux chercheurs sur la plateforme Diagnostic de polluants Organiques, Ressources en Eau et Environnement (DOREE) d’IMT Mines Alès, dédient une partie de leurs travaux à la caractérisation des innombrables contaminants dans les environnements aquatiques. Accompagné de Marine Bertrand, technicienne de la plateforme, le duo travaille sur ces thématiques en partenariat avec l’UMR HydroSciences Montpellier (HSM). « Les pesticides sont bien connus car suivis depuis de nombreuses années, mais c’est loin d’être le cas de toutes les familles de substances. La famille des perfluorés par exemple regroupe près de 4 500 composés distincts dont nous suivons quelques-uns depuis 2015 seulement », expose François Lestremau. « Il reste donc beaucoup d’incertitudes. »
En plus d’identifier le maximum de polluants, un des enjeux de ces travaux analytiques est de caractériser aussi les produits de dégradation. « On peut mesurer un polluant en entrée et constater qu’il a disparu à la sortie, sauf que le produit s’est dégradé et que les sous-produits de dégradation sont peut-être tout aussi toxiques », alerte François Lestremau. « C’est un défi monumental compte tenu de toutes les possibilités de transformation », complète Andrés Sauvêtre.
Des diagnostics au croisement de la chimie et de la biologie
Les deux chercheurs participent donc au développement de méthodes de caractérisation pour des familles de composés qui n’étaient pas suivies jusqu’alors, mais aussi au développement d’outils, comme des échantillonneurs passifs. Déployés dans l’eau pour quelques semaines, ils accumulent les résidus qui sont ensuite extraits pour évaluer les niveaux moyens d’exposition. Ils s’opposent aux techniques d’échantillonnage ponctuel qui mesurent à un instant précis. « Dans le cas de pics exceptionnels de pollution par exemple, si les mesures ne sont pas réalisées au moment-même, elles ne rendent pas compte de l’état chimique de l’environnement. Alors que les échantillonneurs passifs permettent d’avoir une vision plus globale », argumente Andrés Sauvêtre.
Les chercheurs ont expérimenté ces dispositifs en Martinique pour mesurer les niveaux de chlordécone, ou encore dans le cadre d’un projet régional, pour faire le bilan de la pollution des cours d’eau locaux. « Nous avons ainsi identifié une trentaine de pesticides et plus de cinquante produits pharmaceutiques », relate François Lestremau. Ce projet particulier, porté par des biologistes, a mis en évidence des effets d’adaptation de certains poissons à cette pollution, notamment des effets épigénétiques.
La collaboration transdisciplinaire est une composante forte des travaux d’Andrés Sauvêtre et François Lestremau, car elle permet de faire le lien entre la présence de polluants et l’impact sur le milieu et les écosystèmes. « Nous n’avons pas de compétences en écotoxicologie, c’est pourquoi nous faisons appel à des partenaires extérieurs. Une substance a priori bégnine car identifiée à des niveaux très faibles, peut en réalité être très préoccupante pour le milieu », développe François Lestremau.