Certains parents d’enfants atteints du cancer communiquent sur les réseaux sociaux. Ils y détaillent leur parcours, pendant et après la maladie, ainsi que leur processus de reconstruction. Ces parents reviennent surtout sur leurs difficultés, leurs victoires ou leurs peurs. « La question de recherche autour de ce sujet est donc de savoir quels rôles peuvent jouer les technologies numériques aujourd’hui dans l’accompagnement et le soutien des parents d’enfants en rémission de cancer », dévoile Anne-Laure Delaunay, chercheuse en transformation digitale et technologies émergentes pour le management à Institut Mines-Télécom Business School.
Selon la chercheuse, l’objectif est de « cerner les besoins pour proposer des solutions aux parents, faire des focus groupes, et après, en fonction des solutions, appréhender les autres acteurs qui pourraient être sollicités pour la phase suivante de développement d’un outil ». Cette phase permettrait de consolider et répondre aux questionnements éthiques. Elle aborderait également les limites de ce type de technologie pour éviter tous les risques possibles, en l’occurrence « des parents qui demandent des analyses et des diagnostics sur les réseaux sociaux à des personnes non habilitées », renchérit-elle.
Le projet est financé pour deux ans par l’Institut national du cancer et a pour partenaire principal l’association Imagine for Margo. Cette dernière soutient des projets de recherche de lutte contre les cancers depuis 2011 pour un montant total de plus de 20 millions d’euros en 13 ans, et joue également un rôle important dans l’accompagnement des enfants et de leurs familles. Elle suit notamment près de 400 familles touchées ou ayant été touchées par le cancer de leur enfant. Ce projet est d’ailleurs parti du vécu personnel de la chercheuse : « je suis moi-même maman d’une enfant qui a eu un cancer et je me suis rendue compte que nous étions peu accompagnés pendant la rémission. J’ai donc mobilisé mon réseau, notamment associatif ». L’équipe de recherche est actuellement composée, au niveau académique, de trois enseignantes-chercheuses à Institut Mines-Télécom Business School, deux de l’Université Paris-Saclay et une de l’IAE Paris Sorbonne. Au niveau praticien, l’équipe compte six acteurs d’Imagine For Margo.
Un engagement pour évaluer les besoins des parents des enfants atteints de cancer
Force est de constater qu’une fois les traitements terminés, « c’est comme si tout était terminé. Sauf qu’il se passe encore beaucoup de choses derrière. Il y a de nombreux suivis, contrôles, mais aussi des tensions parce qu’il y a des risques de rechute », pointe la chercheuse. Le projet vise ainsi à répondre à un besoin qui, pour l’heure, ne semble pas pourvu. « Il y a une sorte de vide entre le traitement et la guérison. Il n’y a rien de prévu et aucun processus n’est mis en place pour l’accompagnement après le traitement », souligne Anne-Laure Delaunay.
La première phase du projet repose principalement sur l’évaluation des besoins pour poser les bases. « Il est fondamental de démontrer la scientificité de nos résultats, car c’est une étude exploratoire de type qualitative en sciences humaines et sociales, dans un domaine qui est quand même très médical et hypothético-déductif », insiste Anne-Laure Delaunay. L’ambition est de réussir à convaincre les différents acteurs qu’il y a un réel besoin et une nécessité de le construire ensemble.
La rémission, une période d’entre-deux dans le parcours post-cancer
Toute personne atteinte d’un cancer, enfant ou adulte, aura en premier lieu un diagnostic pour constater la présence de cellules cancéreuses. En second lieu, viendra un traitement comme une chimiothérapie et/ou une radiothérapie pour aboutir, à un moment, à la disparition des cellules cancéreuses. Toutefois, celles-ci peuvent subsister partiellement malgré les traitements ; c’est à ce moment qu’intervient la rémission.
Pendant la rémission, qui dure en moyenne 5 ans, de nombreux contrôles, suivis et traitements éventuels sont effectués pour gérer les séquelles et le risque de rechute. Certaines séquelles sont permanentes, tandis que d’autres sont temporaires et réversibles dans le parcours post-cancer. Les aspects sociaux interviennent aussi dans la phase de rémission, comme l’explique la chercheuse : « Chez les adultes, il y a le retour à l’emploi et chez les enfants, le retour à l’école, soit parce qu’ils ont complètement arrêté l’école, soit parce qu’ils y allaient de manière sporadique. »
Le projet a identifié quatre dimensions à la reconstruction. La première est la prise en charge médicale, logistique et administrative. La seconde dimension est celle de la parentalité qui met en avant la relation avec son enfant, la fratrie, mais aussi dans son couple. « Il faut savoir que deux tiers des couples se séparent quand l’enfant a été malade », précise l’initiatrice du projet. La troisième composante de la reconstruction, c’est le professionnel avec le retour à l’emploi. Anne-Laure Delaunay rappelle à ce titre qu’au moins un des deux parents cesse de travailler sur une période plus ou moins longue. Enfin, la dernière sphère reste celle de la vie personnelle du parent aidant, composée de sa santé, souvent mise de côté, ses loisirs, ses amis…
La technologie au service des parents pendant la rémission du cancer
En ce qui concerne la période des traitements du cancer, l’usage des réseaux sociaux par les parents se développe. « C’est aussi le cas des débuts de la pair-aidance. Pour s’entraider. Ceci intervient surtout pendant les traitements », rappelle-t-elle. Malgré l’existence de sites web informatifs et de plateformes autour du cancer de l’enfant, il est surtout nécessaire de cibler désormais les parents d’enfants atteints de cancer et en rémission. « Au niveau de la cancérologie pédiatrique, la pair-aidance est naissante en France. Il faut qu’il y ait plus de visibilité sur les besoins des parents et cela passe par des échanges réciproques. », souligne la chercheuse.
Trois angles sont explorés dans cette recherche. Premièrement, il s’agira de s’intéresser au « faire » des parents aidants d’enfants atteints de cancer pour avoir une compréhension plus fine de leur quotidien. Ensuite, il sera possible d’analyser l’usage actuel des technologies de type réseaux sociaux par les parents pour envisager potentiellement des solutions adéquates. Enfin, l’accent sera mis sur le rôle de pivot du tissu associatif en cancérologie pédiatrique à la fois pendant les traitements et dans la période d’entre-deux de la rémission.