Depuis l’adoption de la loi olympique du 19 mai 2023, la vidéosurveillance algorithmique (VSA), ou vidéosurveillance intelligente, est désormais initiée pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. Les 3 et 5 mars 2024, les premiers tests de la VSA ont été effectués à l’occasion d’un concert à l’Accor Arena de Bercy. Cependant, de tels essais ne sauraient confirmer la réussite de la vidéosurveillance pour les JOP de Paris 2024.
Le décret d’application de l’article 10 de la loi olympique précise que la VSA sera utilisée dans 8 cas particuliers et ne servira pas à absolument tout surveiller. Il s’agit par exemple de repérer un objet abandonné dans un lieu public, une voiture en contre-sens, ou encore une arme.
L’utilisation de la vidéosurveillance doit s’achever à la fin de l’année 2024, mais des inquiétudes demeurent, notamment chez les associations comme La Quadrature du Net qui dénonce, en l’occurrence, des risques d’atteinte aux libertés publiques. Amnesty International pointe à son tour une faiblesse de ces technologies pour lutter contre la criminalité. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) souligne quant à elle le caractère intrusif de la vidéosurveillance algorithmique.
La VSA doit, en principe, favoriser le respect de la vie privée tout en protégeant l’ordre public comme le rappelle Claudine Guerrier, chercheuse en droit, économie et finances à Institut Mines-Télécom Business School : « Les images qui viennent des caméras augmentées sont des données à caractère personnel. Dès lors, ce traitement de données peut risquer de porter atteinte à la vie privée, à la protection des données à caractère personnel mentionnée dans le RGPD qui a été adopté en 2016 et qui est entré en vigueur au niveau de l’Union européenne en 2018. »
Vidéoprotection ou vidéosurveillance : l’impact de l’intelligence artificielle
En réalité, il existe une légère distinction entre les termes de vidéosurveillance et de vidéoprotection. Les premiers textes sortis en France en 1995 mentionnent le terme de la vidéosurveillance. Le passage à la vidéoprotection s’est fait parce que le terme de « protection » était considéré plus large au niveau des technologies, mais aussi du sens. « Désormais, le terme vidéoprotection est valable sur le plan juridique, et est d’ailleurs visible dans des lieux. Mais la réalité, c’est qu’il s’agit de vidéosurveillance », précise la chercheuse. Lorsqu’il était question d’introduire l’intelligence artificielle dans les caméras augmentées, le terme de vidéosurveillance a donc été repris car plus neutre.
La particularité de la VSA est d’associer la vidéosurveillance ou la vidéoprotection à l’intelligence artificielle. Claudine Guerrier rappelle que « le projet de loi initial n’a pas voulu introduire le terme d’intelligence artificielle, parce qu’à ce moment-là, l’intelligence artificielle n’existait pas au niveau du droit européen. » Le Parlement européen avait alors appelé à ne pas utiliser tout ce qui s’assimile à une analyse automatisée. Cela peut éventuellement créer une certaine forme de confusion, d’autant plus que le Parlement européen est tout à fait hostile à tout ce qui peut relever de la biométrie en matière d’intelligence artificielle.
Premiers tests de vidéosurveillance en région parisienne : quel bilan ?
Claudine Guerrier reste dubitative quant aux premiers tests de vidéosurveillance réalisés lors d’un concert à Bercy : « les premiers tests sont rarement vraiment concluants, et il n’y a justement pas eu suffisamment de tests. » Lors de ces essais, c’est le logiciel City Vision qui a été utilisé pour la vidéosurveillance. Et c’est ce logiciel qui sera utilisé en Île-de-France, notamment dans les gares et aussi sur les drones.
Il faut savoir que ce type de technologie de vidéosurveillance sert depuis longtemps sur le territoire —la RATP l’utilise — et aussi dans certaines villes de France. Toutefois, la nouvelle donnée est l’introduction de l’intelligence artificielle qui n’était pas utilisée auparavant. « Il y aura aussi un contrôle de la Cnil, qui est en général assez réactive en la matière. Mais ce n’est pas suffisant pour ne pas craindre qu’il y ait des dérives. Pour l’heure, personne ne sait ce qui peut se produire dans le cas de la vidéosurveillance algorithmique, car cela n’est pas vraiment fixé », pointe la chercheuse en droit. Au niveau national, l’Agence nationale de sécurité des systèmes informatiques (ANSSI) joue aussi un rôle de régulateur pour la vidéosurveillance algorithmique.
La déclaration de Bletchley signée en 2023 a pour but de parvenir à une certaine forme de régulation en matière d’intelligence artificielle. « C’est un texte très important parce qu’il a un dimensionnement scientifique, juridique et géopolitique », signale la chercheuse. Cette déclaration a été signée par 29 pays, dont l’Union européenne, les États-Unis et la Chine qui sont les principaux pays en matière d’intelligence artificielle.
Vidéosurveillance aux JOP : quid de la protection des données personnelles ?
Au niveau de la vidéosurveillance algorithmique, les acteurs qui sont prévus pour les JOP sont la police nationale, la police municipale, les agents de sécurité, et des sociétés privées qui sont sous-traitants. C’est sur le rôle des sous-traitants et leur contrôle dans la gestion et l’utilisation des données que les risques de dérive sont importants. À cela vient s’ajouter la question du rapport entre sécurité et liberté. Selon la chercheuse en droit, « Avant, au XXe siècle, le souci était de parvenir à un équilibre, à une proportionnalité entre l’exigence de sécurité et l’exigence de liberté. Progressivement, au XXIe siècle, dans le contexte géopolitique et avec les nouvelles technologies, l’accent est plus mis sur la sécurité que sur les libertés. »
Un des aspects importants de la gestion du risque lié à la vidéosurveillance est celui du stockage des données récoltées. « Apparemment, il n’y aurait pas de stockage général dans le cas de l’utilisation pour les JOP. Par exemple, si un sac est abandonné dans un stade, l’algorithme pourra l’interpréter comme une situation dangereuse, mais sans enregistrer les informations relatives aux personnes présentes », souligne Claudine Guerrier.
Pour l’organisation des JOP de Paris 2024, la vidéosurveillance algorithmique sera au cœur des débats. Entre les inquiétudes de la part des associations sur la protection des données personnelles et les ambitions du maintien de l’ordre, la vidéosurveillance sera sous le feu des projecteurs.