Les biodéchets sont nombreux dans notre quotidien : restes de nourriture, mais aussi feuilles mortes, déjections animales… Jusqu’à récemment, ces déchets étaient principalement incinérés ou entassés en déchetterie produisant, dans un cas, du dioxyde de carbone issu de la combustion ; dans l’autre, du biogaz (dont du biométhane) par fermentation. Deux gaz participant fortement au réchauffement climatique en cours. Or depuis le 1er janvier 2024, et la mise en application de la règlementation sur la collecte séparée des biodéchets, la gestion et le traitement de ces détritus soulève de nombreuses interrogations.
Pour certains rebus organiques riches en lignine (une molécule présente dans le bois) et peu biodégradables, les traitements thermochimiques – qui consistent grosso modo à brûler la matière pour produire de la chaleur – restent le moyen de gestion en vigueur. Pour les déchets organiques fermentescibles en revanche, le compostage ou la méthanisation offrent des voies de valorisation bien plus intéressantes.
Le compostage repose sur la dégradation des déchets organiques en milieu humide et en présence d’oxygène. Inversement pour la méthanisation, la fermentation des déchets en milieu « anaérobie » (sans oxygène) favorise la formation de biogaz, essentiellement constitué de biométhane et de dioxyde de carbone. Ces deux voies permettent ainsi de retourner à la terre des résidus fertilisants, sous forme de compost ou de digestat (les résidus de la méthanisation), et de capitaliser sur le biogaz, dans le cas de la méthanisation, pour faire un vecteur d’énergie.
Des biodéchets qui roulent
Les utilisations du biogaz issu de la méthanisation sont nombreuses : de simple vecteur de chaleur à un biométhane purifié, débarrassé de son dioxyde de carbone, et injectable dans le réseau de gaz naturel. Moyennant un certain traitement, le biométhane peut aussi servir comme carburant. Certains bus parisiens font la démonstration d’un fonctionnement au biométhane, en provenance de décharges. Khaled Loubar, chercheur sur le campus nantais d’IMT Atlantique, travaille spécifiquement sur la valorisation du biogaz dans les machines thermiques. Il cherche à améliorer les rendements des moteurs actuels, mais étudie également de nouveaux procédés de combustion, dont celui des moteurs multi-carburants comme le dual-fuel.
L’intérêt de ces moteurs est que leur rendement est beaucoup plus élevé que sur les moteurs à allumage commandé (les moteurs à essence classique). Ils consomment moins de gaz pour produire la même quantité d’énergie, et sont aussi moins sensibles à la variabilité de la composition du gaz. « En-dessous d’un certain pourcentage de méthane, les moteurs classiques à allumage commandé ne fonctionnent pas ou s’arrêtent », illustre le chercheur. « À l’inverse la technologie dual-fuel s’adapte, y compris pour des taux de méthane assez faibles dans le gaz. »
En laboratoire, Khaled Loubar et son équipe ont réussi à convertir avec un minimum de modifications des moteurs diesel afin qu’ils soient en mesure de fonctionner à partir d’un mélange diesel-biogaz contenant jusqu’à 80 % de biogaz. Ce prototype ouvre la voie au développement d’un démonstrateur qui, dans le cadre du projet COGEPRO, sera déployé sur le site industriel d’une brasserie. Celui-ci exploitera le biogaz issu du traitement des eaux de procédés.
Alors, ça gaze ?
Si l’utilisation de biogaz offre de nombreuses perspectives dans la production d’une énergie bas-carbone, reste néanmoins à assurer une production efficace et compétitive de ce vecteur énergétique. Au sein du même laboratoire d’IMT Atlantique, le chercheur Yves Andrès explore différents procédés de traitement des déchets issus de biomasses. En croisant plusieurs expertises (microbiologie, énergétique, génie des procédés…), les deux chercheurs et leur équipe étudient les filières de valorisation les plus adaptées, compte tenu des déchets ou résidus disponibles sur un territoire et du bilan énergétique de la solution choisie. Leurs travaux portent en particulier sur l’intégration de la méthanisation dans ces filières de valorisation, et sur l’exploitation du biogaz produit.
Le choix de la méthanisation s’appuie avant tout sur un bilan énergétique positif ou nul. Les scientifiques d’IMT Atlantique disposent d’outils complexes de calculs et de modélisation pour étudier la viabilité et le dimensionnement des équipements. Ces derniers dépendent de la capacité de production de biogaz et donc, principalement, de la nature et de la disponibilité des intrants, les déchets qui vont alimenter le méthaniseur. « Notre but est d’estimer le minimum d’intrants nécessaire pour qu’il n’y ait pas à fournir plus d’énergie à l’installation qu’elle n’en produit », explique Yves Andrès. Si le bilan énergétique est favorable, la modélisation des futures quantités de biogaz récupérées permet de déterminer la taille des installations, pour produire de manière fonctionnelle : avec un bon rendement et une qualité stable dans le temps.
Les scientifiques accompagnent ainsi la mise en place d’installations à différentes échelles. De la micro-méthanisation à l’échelle d’un écoquartier ou d’une petite ferme, pour qu’elle soit autonome en énergie, à des réacteurs biologiques pour des volumes très importants. « Nous avons notamment accompagné une entreprise gérant un centre d’enfouissement technique dans le renouvellement de ses installations de valorisation », relate Khaled Loubar. « Afin de dimensionner les nouveaux équipements, nous avons typiquement dû modéliser les quantités de gaz que le centre allait produire sur 15 ou 20 ans ! »
Des déchets aux cultures dédiées, les déviances de la productivité
Cela dit, comme dans toute industrie, la problématique de l’exploitant n’est pas seulement de connaître sa capacité de production, mais aussi comment l’augmenter. La méthanisation ne s’en tient donc pas aux seuls déchets disponibles ? La réponse est non. D’une part, parce que dans le cas des installations agricoles, l’approvisionnement en continu des réacteurs implique parfois d’utiliser des intrants « extérieurs », qui ne sont pas soumis à la saisonnalité par exemple. D’autre part, parce que mélanger différents intrants influe directement sur la composition et la qualité du biogaz. « Un déchet peut apporter par exemple trop de carbone et pas assez d’azote lors de sa dégradation. Il est alors intéressant de compléter par un intrant plus riche en azote, afin d’équilibrer et d’améliorer le rendement de production de biogaz », développe Yves Andrès. Cela implique d’utiliser, en certains cas, des cultures ou des matières premières qui ne sont pas nécessairement des déchets.
Le chercheur alerte néanmoins sur certaines dérives. Un exploitant peut augmenter significativement le rendement de son méthaniseur s’il l’alimente d’une biomasse fortement productrice d’énergie, avec des amidons, des farines, des sucres… « Ce n’est pas dans cette démarche que s’inscrivent nos travaux », souligne Yves Andrès. « Mais, en Allemagne par exemple, des producteurs de lait qui faisaient au départ de la méthanisation avec du lisier de vache se sont rendus compte qu’ils gagnaient beaucoup plus à ne produire que du maïs pour faire de la méthanisation. Ils ont donc arrêté de produire du lait. »
En France, le recours à des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) est toléré car il n’entre pas en concurrence avec des cultures destinées à l’alimentation. La pratique permet au contraire de réhabiliter des sols pauvres, surexploités ou avec de l’intrusion saline par exemple. Les CIVE font alors office de cultures de « remédiation », en alimentant des méthaniseurs, tout en redonnant une qualité agronomique à ces sols. « Notre objectif n’est pas que ce genre de cultures soit pérenne. C’est pourquoi dans notre laboratoire, nous ne nous concentrons pas forcément sur le meilleur rendement pour les réacteurs, mais essentiellement sur la valorisation des déchets et des résidus », complète le chercheur.