Le cancer constitue un domaine de recherche et d’innovation parmi les plus complexes. Les manifestations de cette pathologie sont quasiment individuelles et uniques, avec des profils de maladie extrêmement diversifiés. « Aujourd’hui nous classons les cancers par organe. Mais l’état des connaissances de la recherche est tel que certains spécialistes se demandent si nous n’avons pas complétement tort et s’il ne faudrait pas plutôt les catégoriser d’après leurs marqueurs moléculaires et génétiques. C’est vertigineux ! », constate Elsa Angelini.
Cette chercheuse à Télécom Paris, spécialisée dans le domaine de l’imagerie biomédicale et l’apprentissage automatique, est fortement impliquée dans un projet de soutien à l’innovation contre le cancer, le Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC). Avec une dotation de 100 millions d’euros sur dix ans dans le cadre de France 2030, ce projet qualifié de « Biocluster », prévoit de démultiplier la puissance de frappe de l’innovation dans la lutte contre le cancer en France. Fondé par l’industriel Sanofi, Gustave Roussy – Centre de lutte contre le cancer (CLCC), deux partenaires académiques, l’Université Paris-Saclay et l’Institut Polytechnique de Paris (dont Télécom Paris et Télécom SudParis), et l’INSERM, l’oncocluster réunit aujourd’hui des acteurs majeurs de la recherche et du soin (Institut Curie, AP-HP, Unicancer), et plus de 100 entreprises, depuis des grandes entreprises telles que Servier, IPSEN ou Merck, jusqu’aux start-up.
Soutenir des projets innovants pour lutter contre le cancer
L’objectif du PSCC : offrir un soutien technique et scientifique à toutes les personnes engagées dans une technologie innovante dans la lutte contre le cancer. Ce soutien se manifeste concrètement par des conseils en développement, un accès à un réseau d’experts, des données, des technologies, des infrastructures ou encore des laboratoires et enfin de l’aide à la recherche de financements. Il s’adresse aux start-up accompagnées par le programme, mais également aux industriels membres, et à la communauté scientifique dans les hôpitaux et laboratoires de recherche.
Les projets déposés par les startups sont scrupuleusement sélectionnés avant de pouvoir bénéficier de l’accompagnement. Les technologies proposées peuvent aussi bien être numériques que biologiques, par exemple une innovation autour de l’imagerie pour faciliter le diagnostic, un nouveau test sanguin de détection des cellules cancéreuses, ou encore de nouvelles molécules thérapeutiques. « À fin 2023, le PSCC a déjà accompagné une trentaine de projets concernant des thérapies, des dispositifs médicaux, et de l’analyse de données », constate Elsa Angelini.
Une ressource de données médicales propres et interopérables
Dans la recherche contre le cancer, le besoin d’accéder à de la donnée médicale nettoyée, standardisée, requêtable, multicentrique (en provenance de différentes structures de soin), et interopérable est crucial. À date, des données existent pour l’ensemble du parcours de soin et de suivi des patients et patientes : du diagnostic aux interventions thérapeutiques et à la surveillance en rémission. Mais ces données de toute nature (images, tests biologiques, tests génétiques,…) sont collectées et conservées sur des plateformes différentes, et difficilement interopérables, rien qu’au sein d’un même établissement de soins.
Un axe majeur du PSCC est d’assurer la souveraineté de la France sur ce point car « pour l’instant, nos industriels dépensent des millions pour acquérir ces données indispensables aux États-Unis », rapporte Elsa Angelini. « D’une part c’est beaucoup d’argent qui part à l’étranger ; d’autre part, cela signifie que tout ce qui est appris et étudié n’est pas sur une population française ! Donc il y a un vrai enjeu économique, scientifique et clinique. » Malheureusement, les grand hôpitaux publics et centres de lutte contre le cancer en France ne disposent ni de la trésorerie, ni de la disponibilité humaine nécessaires pour nettoyer et standardiser leurs données.
Afin d’y remédier le PSCC prévoit de reverser une part de ses fonds à ses hôpitaux partenaires afin que ceux-ci recrutent eux-mêmes le personnel ou les prestataires requis pour la création d’une telle ressource. Les données seront directement extraites, nettoyées et standardisées au centre Gustave Roussy et dans les autres hôpitaux partenaires (Foch, Curie et l’AP-HP). Un expert dans les données de santé a été spécifiquement recruté pour coordonner la communication et la mise en place, et notamment établir un format standard de données auquel tous les hôpitaux doivent adhérer.
Un lien étroit avec la formation
Là où Sanofi apporte des fonds, l’Université Paris-Saclay et l’Institut Polytechnique de Paris contribuent en nature au PSCC. Les deux membres académiques mettent à disposition des projets accompagnés par le PSCC un catalogue de leurs formations susceptibles de les intéresser. Les thèmes sont assez larges, allant de l’apprentissage automatique et la représentation des connaissances en imagerie médicale, à la mécanique des fluides appliquée à la biologie, en passant par la régulation et l’éthique autour de l’humain augmenté.
« Pour l’instant, nous ouvrons ces cours existants gratuitement à ces personnes : elles peuvent assister aux amphis et aux travaux pratiques », explique Elsa Angelini. « L’idée n’est pas de leur proposer des formations diplômantes au long cours, mais vraiment un support pour acquérir de la connaissance qui leur manque. C’est pourquoi dans un deuxième temps, nous souhaiterions leur proposer des formations dédiées et plus adaptées, comme des Master Class et Ecoles d’été. »
La chercheuse estime que la partition des partenaires académiques du PSCC s’inscrit dans un cercle vertueux. En plus d’alimenter l’écosystème, ils ont le rôle d’orienter leurs communautés étudiantes et doctorales vers ce domaine d’innovation « qui a du sens et un impact important », souligne-t-elle. « Nous avons également le souhait que la donnée mise à disposition soit exploitée dans des cas d’usage de nos cours, et que cela nous amène à former plus d’enseignants-chercheurs sur plus de types de données médicales, comme des données génomiques qui sont encore peu exploitées dans nos recherches. » Ces synergies pourraient conduire à la création de modules de formations ou de filières entières dédiées aux biotechnologies ou au biomédical.
Un accès à de l’expertise et des plateformes technologiques
Les cinq partenaires du PSCC s’engagent également à fournir aux projets qui en ont besoin et le demandent du temps d’expertise propre. « Par exemple donner à une petite start-up technologique qui travaille sur de la donnée l’opportunité de discuter avec un médecin et de réfléchir à la pertinence d’un algorithme », illustre Elsa Angelini. « Ou à l’inverse, proposer une expertise méthodologique à des biologistes qui génèreraient des données et auraient besoin d’un point de vue sur leur approche de modélisation statistique. »
Enfin, les projets d’innovation et de transfert accompagnés par le programme peuvent accéder à des équipements et techniques de pointe d’acquisition de données et d’analyse d’échantillons, comme des lames d’histopathologie (analyse de tissus de biopsie), des outils de séquençage génomique, ou encore des techniques d’analyse de cellules microfluidiques (de l’ordre du micromètre).
D’ici 2025, douze nouvelles plateformes technologiques doivent voir le jour ou être renforcées dans des hôpitaux partenaires ou des lieux de recherche partagés au sein du PSCC. La création de ces plateformes repose sur un processus de sélection interne et est soumise à une contrainte : les plateformes financées doivent, au bout de deux ans de fonctionnement, être autonomes financièrement et opérationnellement. Dans un deuxième temps, les plateformes des partenaires académiques, telles des microscopes de pointe pour l’imagerie photonique ou polarimétrique, pourraient également être mises à disposition.
Faire le lien entre industriels et académiques, ensemble face au cancer
Avec cette offre complète, le PSCC ambitionne d’inciter d’autres industriels à rejoindre son écosystème, issus notamment de la pharmaceutique, mais « pas que : d’autres types d’industriels comme Dassault se positionnent fortement sur l’innovation en santé ». Au-delà de l’accompagnement des start-ups, le PSCC construit une communauté des acteurs de l’innovation en oncologie en s’appuyant sur son association PSCC Connect. En devenant membre de PSCC Connect, les entreprises peuvent intégrer la communauté, bénéficier d’opportunités de networking, exprimer leurs besoins et avoir une visibilité unique sur le développement des innovations.
« C’est à la fois nouveau et ambitieux d’essayer de lever les barrières entre le monde de l’innovation chez les industriels et les start-up, tout en y intégrant les académiques », s’enthousiasme Elsa Angelini. Au-delà des infrastructures partenaires, le PSCC va pouvoir s’appuyer sur le développement du Campus Grand Parc, un nouveau quartier, à proximité immédiate de Gustave Roussy, où seront disponibles des lieux de vie mais également 100 000 m2 de bureaux et des « wet labs », des laboratoires biologiques. « C’est l’opportunité d’avoir un lieu où se rencontrer, se former, se connaître, et préparer l’avenir ensemble, pour soutenir l’innovation contre le cancer en France », conclut la chercheuse.