Quoique parfois cryptiques, les messages envoyés par les tableaux de bord automobiles actuels renseignent les propriétaires de l’état immédiat de leur véhicule, et permettent d’en assurer le bon fonctionnement. Ces informations sont relayées grâce à une multitude de capteurs présents à bord, et dont le nombre ne devrait qu’augmenter avec l’adoption des voitures électriques et intelligentes. Or, pour être alimentés, tous ces capteurs sont aujourd’hui reliés par du câblage à la batterie, ce qui constitue un poids indésirable pour le véhicule et augmente les risques de défaillance.
Pour y remédier, une solution est de développer des systèmes d’alimentation auto-rechargeables (self-charging power systems, SCPS), capables de créer leur propre énergie plutôt que de recourir à celle de la batterie. Ces développements sont au cœur du projet Horizon Europe SUINK, démarré en 2022, dans lequel est fortement impliquée IMT Nord Europe. Son but est de concevoir un générateur d’énergie piézoélectrique, pour transformer les vibrations mécaniques d’un véhicule en mouvement en énergie électrique, et alimenter de manière autonome une partie des capteurs à bord.
À l’heure où la plupart des matériaux utilisés en électronique fonctionnelle – l’or, le cuivre, la platine, … – sont dits « critiques » en termes d’approvisionnement, la technologie proposée par SUINK est issue de ressources biosourcées et non-toxiques. « Le consortium aspire ainsi à mettre au point une solution satisfaisant aux impératifs de durabilité tout au long de son cycle de vie, conformément aux objectifs de développement durables fixés par les Nations unies », expose Cédric Samuel, chercheur en matériaux à IMT Nord Europe.
Une micro-génération d’énergie à partir des vibrations automobiles
La piézoélectricité est la propriété de certains matériaux à générer des charges électriques en surface lorsqu’ils sont soumis à une vibration. Une fois le matériau piézoélectrique mis en vibration, l’énergie créée est récupérée et stockée par l’intermédiaire d’électrodes connectées à un circuit « de redressement ». Cette énergie, allant d’une centaine de microwatt au milliwatt, est faible mais largement suffisante pour alimenter des capteurs.
L’intérêt de la piézoélectricité est de générer localement de l’énergie, indépendamment d’une autre source – en l’occurrence la batterie d’une voiture. Le projet SUINK prévoit donc l’élaboration d’un système de récupération de l’énergie vibratoire, basé sur des couches de matériaux piézoélectriques, développé par IMT Nord Europe. Ce système est complété par d’autres briques technologiques dont un supercondensateur, intégré au circuit de redressement, pour stocker et restituer cette énergie aux capteurs automobiles.
Explorer des solutions vertes et durables
Le projet SUINK est profondément ancré dans une réflexion globale sur la durabilité, l’utilisation de matériaux biosourcés, non toxiques, et leur recyclage en fin de vie. L’ensemble est basé sur une combinaison d’encres biosourcées, conductrices, diélectriques et piézoélectriques, appliquées par impression à jet sur des surfaces flexibles, également biosourcées. Pour élaborer ce système, le groupe dirigé par IMT Nord Europe axe ses travaux sur deux approches.
La première, mature technologiquement, est la conception de biopolymères permettant de réaliser des films piézoélectriques sur lequel déposer les éléments du système (encre conductrice, électrodes, circuit de redressement…). La deuxième approche, plus exploratoire, est centrée sur le développement d’encres ayant elles-mêmes des propriétés piézoélectriques. Ces encres sont actuellement constituées de 10 % de matériau fonctionnel à propriété piézoélectrique et 90 % de solvant volatils, toxiques et inflammables. L’objectif est donc de développer des encres non toxiques, à partir de solvants verts, avec une formulation adaptée au procédé d’impression par jet. « C’est un module plus délicat du projet, sur lequel nous avons moins d’expertise. Mais c’est un sujet sur lequel nous souhaitons nous engager dans les prochaines années, même au-delà du projet », affirme Cédric Samuel.
PLA, une alternative piézoélectrique biosourcée
Les polymères biosourcés constituent des alternatives moins toxiques et polluantes aux principaux matériaux piézoélectriques actuellement utilisés, que sont les céramiques PZT, à base de plomb, et les polymères PVDF, à base de composés perfluorés. Le développement de biopolymères a déjà fait l’objet de plusieurs projets portés par Cédric Samuel, dont récemment un projet de recherche fondamental financé par l’agence nationale de la recherche (ANR). Le groupe de travail peut ainsi s’appuyer sur une dizaine d’années de recherche préliminaire et d’expertise sur le sujet.
Pour concevoir une gamme de matériaux biologiques et imprimables par jet d’encre, le chercheur et son équipe étudient particulièrement l’acide polylactique (PLA), issu de l’amidon de maïs. Du fait de ses performances piézoélectriques plus faibles – mais néanmoins intéressantes, le PLA était jusqu’ici peu exploité. Or, ses nombreux atouts en font un matériau compétitif. En plus d’être renouvelable et dégradable, le PLA est 10 à 100 fois moins cher que le PVDF ou le PZT, et sa transformation à l’échelle industrielle est maîtrisée.
Des objectifs d’application automobile
L’ensemble des briques technologiques, dont le système développé par IMT Nord Europe, sera imbriqué dans des démonstrateurs automobiles pilotés par les industriels du consortium du projet SUINK. Des applications sont prévues sur différent types de capteurs au sein de véhicules électriques ou autonomes, pour la mesure de la température, de l’humidité ou encore de la déformation des composites structuraux dans le châssis (afin de suivre l’endommagement des matériaux).
En fonction des capteurs envisagés, le générateur devra délivrer une énergie plus ou moins importante. « Il est possible pour cela de jouer sur la taille du dispositif – plus il est grand, plus l’énergie produite est élevée – ou de faire des systèmes multicouches », détaille Cédric Samuel. « Mais certains capteurs n’ont pas besoin de beaucoup d’énergie. » Pour le chercheur, il y a d’ailleurs un enjeu parallèle à développer des capteurs à très basse consommation, adaptés à la micro-génération d’énergie d’origine piézoélectrique. « Plutôt que de chercher à augmenter les performances des générateurs. Il faut aussi aller vers plus de sobriété », complète-t-il.
À ce stade d’avancement, SUINK bénéficie encore d’un ou deux ans avant la mise en place des démonstrateurs. Une des finalités du projet est notamment d’intégrer les systèmes électroniques flexibles et imprimés qui vont être développés dans un nouveau matériau textile recyclable, récupérant l’énergie et utilisé dans l’habitacle des véhicules.