L’assemblage optimal de tous les éléments sur un seul et même support fait d’ailleurs l’objet de tout un pan du projet. À partir des paramètres clés de chaque module, une équipe modélise et simule le design identifié comme le meilleur et le moins énergivore possible. Une production identique – via les mêmes procédés, avec les mêmes matériaux organiques – devrait assurer la compatibilité de tous les composants.
Une approche écologique sur l’ensemble du cycle de vie
« L’utilisation de dispositifs pour faire de la classification on chip a déjà été envisagé dans des technologies de silicium ‘traditionnelles’. La valeur ajoutée de BAYFLEX, c’est de proposer une technologie qui permettra de faire de la classifications par l’IA en utilisant des circuits écologiques et à faible consommation d’énergie», argumente Esma Ismaïlova, chercheuse à Mines Saint-Étienne spécialisée dans l’électronique organique portable pour la santé.
La facture énergétique des technologies à base de silicium actuellement employées est effectivement élevée. Les composants organiques sont beaucoup moins énergivores à produire, ils nécessitent moins de polluants chimiques, toxiques ou corrosifs, et à l’usage, les transistors organiques requièrent moins d’énergie pour faire les mêmes calculs. En fin de vie, ces matériaux peuvent également être recyclés ou réutilisés en dépensant moins d’énergie, limitant la génération de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE, plus connus sous la désignation e-waste). « Ces dispositifs sont constitués de matériaux carboniques : il n’y a pas de matériaux précieux ou de procédés énergivores et coûteux donc, sur le long-terme, leur production devrait en outre être moins chère que celle des dispositifs à base de silicium », complète la chercheuse.
Le défi de la captation des signaux biologiques
BAYFLEX, comme son précurseur BAYOEN, est porté par une chercheuse du CNRS spécialisée en physique des dispositifs, Laurie Calvet. C’est au cours d’un symposium du Groupement de recherche Organic Electronics for the new era (OERA) à Paris qu’elle approche Esma Ismaïlova. « J’y présentais mes travaux autour d’électrodes capables de récupérer des signaux physiologiques et de les transformer en signal électrique pour le suivi de santé », raconte la chercheuse de Mines Saint-Étienne. « Laurie avait déjà travaillé lors de son premier projet sur la partie électronique de calcul mais il lui manquait le chaînon d’interface avec le corps humain pour ce nouveau projet. C’est comme ça qu’elle m’a proposé de rejoindre l’équipe. »
Pour Esma Ismaïlova, l’enjeu est d’améliorer la captation du signal en provenance des patients et patientes dans le cas d’un système portable. « Les cabinets médicaux ou les institutions de soin disposent de technologies robustes pour collecter des signaux physiologiques, mais hors de ce cadre clinique, ça se complexifie », constate-t-elle. « Le signal enregistré par un capteur portable sort souvent très bruité et très faible ». En conséquence, le traiter requiert une technologie plus importante – un ordinateur – et notamment plus d’énergie pour faire tourner les algorithmes. Pour y remédier, la chercheuse explore l’association d’électrodes passives et actives susceptibles de capter et transmettre le signal de façon plus robuste afin d’en améliorer la qualité.
Deux approches pour capter un signal physiologique de qualité
Pour ces électrodes, Esma Ismaïlova utilise également des matériaux organiques, à base de polymères conducteurs. Leur particularité : la conduction de signaux électriques mais également ioniques, permettant la traduction d’un signal biologique en signal électrique. Les polymères conducteurs sont en outre plus compatibles avec le corps humain car plus souples et mécaniquement adaptatifs, donc ergonomiques.
D’un côté, l’électrode passive est un dispositif de suivi électronique : elle enregistre le signal physiologique sous forme de variation de potentiel, mais ne le transforme pas. Le traitement est toujours réalisé par ordinateur. En revanche, le signal enregistré est propre, avec peu d’artefacts, il n’a pas besoin d’être excessivement purifié pour récupérer les informations critiques ce qui implique un traitement plus simple et moins énergivore.
D’où l’intérêt exacerbé de combiner cette électrode à un transistor électrochimique organique (OECT) pour créer une électrode active. Développée au département de bioélectronique de Mines Saint-Étienne, cette électrode innovante est capable d’enregistrer le potentiel, de l’amplifier et de le traduire en signal électrique. Les OECT sont très performants dans la traduction des signaux biologiques et moins sensibles aux effets de bruits environnementaux (mouvements, champs électromagnétiques, …), ce qui permet là-encore de récupérer un signal propre et de bonne qualité, conditionné et compatible, pour faciliter ensuite le calcul on chip.
La Rotonde, un CCSTI pour la dissémination du projet
BAYFLEX prévoit un volet de diffusion auprès de différents publics : les scientifiques par le biais de publications dans des revues et conférences, les industriels et utilisateurs finaux par le biais de démonstrations, mais aussi le grand public. Pour cette dernière cible, le consortium souhaite s’appuyer sur les capacités de médiation de La Rotonde, le Centre de Culture Scientifique Technique et Industrielle (CCSTI) de Mines Saint-Étienne.
Par le biais d’un atelier à destination des communautés non scientifiques, les chercheurs et chercheuses impliqués espèrent réussir à transmettre efficacement les nombreux concepts clés abordés par ce projet multidisciplinaire. « BAYFLEX parle de capteurs électrophysiologiques, de matériaux organiques, de neuromorphiques, de bioélectronique, de modélisations physiques, de traitement computationnel… Une activité ludique nous semble pertinente pour bien communiquer sur ce projet, sans générer de mauvaises compréhensions ou interprétations. Ce que nous voulons surtout transmettre, c’est qu’aujourd’hui, nous sommes capables de développer de l’électronique au service de la société, qui soit plus verte, moins énergivore et accessible au plus grand nombre », résume Esma Ismaïlova.