Quèsaco les métamatériaux ?
Les métamatériaux sont des matériaux artificiels auxquels l’arrangement spatial spécifique, par exemple en treillis de formes « réentrantes » – par opposition aux formes nids d’abeilles classiques – confère des propriétés d’intérêt. Abderrahmane Ayadi, chercheur au Centre Matériaux et procédés (CERI-MP) d’IMT Nord-Europe, s’intéresse à la structuration par le design de ces matériaux, c’est-à-dire comment architecturer la matière pour aboutir à des propriétés non-usuelles. Il nous parle de ses travaux à l’interface de la simulation et de l’expérimentation.
Pour commencer, qu’est-ce qui définit un matériau ?
Abderrahmane Ayadi : Un matériau est un solide ou un objet conçu pour répondre à une fonction, assurée par une propriété qui dépend du stimulus appliqué. Dans le cas d’une sollicitation mécanique par exemple, la propriété recherchée pour le matériau va concerner sa rigidité, dans le cas d’une sollicitation électrique, sa conductivité, etc.
L’agencement et la structuration à l’échelle atomique des éléments constitutifs d’un matériau permettent d’identifier ou de prédire les propriétés résultantes. Cette structure lui donne également de la valeur. Le cas de l’atome du carbone illustre parfaitement ce lien entre agencement et propriétés. Les structures du charbon sont lamellaires avec des liaisons assez faibles entre les atomes : cela en fait un matériau aux propriétés très basiques et peu coûteux. Le même atome agencé de manière organisée va donner des structures de synthèse innovantes et beaucoup plus performantes, comme le graphène ou les nanotubes de carbone, mais aussi beaucoup plus chères.
Qu’est-ce qui différencie un métamatériau d’un matériau classique ?
AA : Le préfixe meta vient du grec et signifie « au-delà ». Dans un métamatériau, c’est l’arrangement spatial à l’échelle mésoscopique, c’est-à-dire « au-delà » de l’échelle atomique ou macromoléculaire, qui va donner des propriétés intéressantes. Les métamatériaux suscitent l’intérêt de la communauté scientifique car les propriétés induites par ces microstructures – d’origine artificielle – sont inhabituelles ou rares par rapport aux propriétés conventionnelles de leurs matériaux constitutifs.
Quelles propriétés d’intérêt présentent justement ces métamatériaux ?
AA : À date, elles sont classifiées en quatre catégories : électromagnétiques, thermiques, mécaniques, et acoustiques. Mes activités de recherche portent essentiellement sur la catégorie des métamatériaux mécaniques qui présentent des propriétés non-usuelles de conduction ou de propagation des ondes mécaniques, de dissipation d’énergie, ou encore un coefficient de Poisson négatif. Ces derniers, qualifiés également d’« auxétiques », m’intéressent tout particulièrement.
Le coefficient de Poisson caractérise la contraction de la matière par rapport à une déformation appliquée perpendiculairement. Le plus souvent, les matériaux conventionnels ont un coefficient de Poisson positif : si on les étire, comme c’est le cas pour un élastique en caoutchouc ou une structure en nids d‘abeilles classique, leur épaisseur diminue. À l’inverse, un matériau à coefficient de Poisson négatif, typiquement structuré en formes réentrantes, s’allonge dans une direction quand on l’étire dans l’autre. Cette propriété les rend particulièrement intéressants pour des applications d’absorption d’énergie ou de choc, par exemple la résistance d’un véhicule blindé aux explosifs, ou de métamorphisme (changement de forme).
Certaines chaussures sportives disposent de semelles dont les motifs, composés de formes réentrantes, leur confèrent des propriétés auxétiques. Lorsque la semelle est soumise à une contrainte dans une direction, sa structure fait qu’elle se dilate et amortit ainsi mieux les chocs. Crédits : Wikimedia Commons.
Comment sont conçus les métamatériaux mécaniques ?
AA : Le développement de ces métamatériaux a été rendu possible grâce à l’émergence de techniques d’architecturation innovantes, comme la fabrication additive qui permet d’agencer des structures à des échelles de l’ordre du dixième de millimètre jusqu’au mètre. Des métastructures peuvent être obtenues par assemblage de petites pièces.
Mais les chercheurs en science des matériaux s’inspirent également d’arts ancestraux pour créer des structures aux propriétés mécaniques intéressantes en pliant la matière, à la manière de l’origami, ou en la découpant, selon la technique du kirigami. Enfin, nous nous inspirons beaucoup de la nature pour reproduire des architecturations originales. Les ailes de certains papillons, par exemple, fournissent des exemples de microstructures formées de surfaces minimales triplement périodiques (TPMS) qui offrent d’excellentes propriétés mécaniques.
Quel est le niveau de maturité autour des métamatériaux ?
AA : Les premiers métamatériaux présentaient essentiellement des propriétés d’intérêt électromagnétiques, donc ce sont les plus fréquemment cités dans la littérature. Aujourd’hui, leur technologie est relativement mature et cette catégorie de métamatériaux est utilisée pour des applications industrielles, pour la défense ou encore les télécommunications. En 2021, le marché des métamatériaux à propriété électromagnétique était estimé à 305 millions de dollars et les prévisions pour 2026 montent à 1 457 millions.
En ce qui concerne les métamatériaux mécaniques, leur développement est beaucoup moins avancé. La littérature fait mention des premiers matériaux à coefficient de Poisson négatif dès les années 1980 et la notion d’« auxétisme » apparaît en 1991. Mais les métamatériaux mécaniques ne bénéficient d’un intérêt accru que depuis une dizaine d’années. Ils sont donc bien développés au niveau laboratoire mais il y a encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre une production industrielle.
Quels sont les défis soulevés par l’industrialisation des métamatériaux mécaniques ?
AA : Le principal défi concerne les coûts de fabrication qui sont trop élevés pour le moment : il faut compter du temps pour les phases de conception, de l’énergie pour chauffer et fondre la matière, et surtout la cadence de production est très faible. Avec la fabrication additive, la production d’une pièce peut prendre plusieurs heures, alors que dans l’industrie automobile, la cadence est inférieure à 3 minutes par pièce. C’est quasiment du prototypage, loin des lignes de production sérielles.
Le passage à l’échelle (scalability) soulève aussi des questions techniques : les propriétés induites par une métastructure à l’échelle mésoscopique vont-elles être conservées par la mise à plus grande échelle de cette structure ? Et surtout, une porte reste ouverte concernant la prédiction de la durée de vie en service de ces métastructures. Pour tenter de répondre à cela, des essais classiques de traction, compression ou flexion sont réalisés. Néanmoins la communauté scientifique n’a pas assez de recul concernant la tenue au vieillissement de ces métamatériaux, qu’il soit lié au stress hydrique, thermique ou mécanique, ou à plus long terme à la fatigue, à l’environnement, etc.
Quels sont les futurs enjeux autour des métamatériaux ?
AA : De nouvelles approches de conception sont à l’étude, intégrant plusieurs techniques d’architecturation. Par exemple, l’assemblage de plusieurs sous-structures produites par injection pour une structure complexe, plutôt que la production en un bloc via un processus de fabrication additive, coûteux et chronophage.
Dans le cadre de mes travaux de recherche, j’explore l’intégration de techniques d’optimisation dans la phase d’architecturation, afin d’accélérer l’étape de « prospection » en conception numérique. Mes collaborateurs et moi cherchons, en fonction des ratios entre rigidité et densité (pour le cas des métamatériaux mécaniques), à déterminer numériquement si une métastructure peut être générée ou non, et quelles sont les combinaisons de dimensions possibles pour aboutir aux propriétés voulues. Nos collègues du CERI-MP, experts sur la fabrication additive, nous accompagnent sur la production des structures identifiées comme optimales : ces structures sont ensuite soumises à une série d’essais mécaniques afin de valider les solutions numériques.
Les tendances sont également au développement de matériaux présentant non pas une, mais plusieurs propriétés d’intérêt et l’accélération de la phase d’architecturation en s’appuyant sur de l’intelligence artificielle. Le secteur du transport, par exemple, s’intéresse à des structures qui vont combiner légèreté, performances mécaniques et absorption d’ondes sonores pour minimiser les bruits dans l’habitacle. Les domaines demandeurs sont encore très spécifiques, voire de pointe, et peuvent « assumer » une fabrication lente et coûteuse. Mais il est certain qu’avec l’émergence et le développement des techniques de fabrication, la recherche autour des métamatériaux va tendre vers des domaines de moins en moins stratégiques et des applications plus démocratisées.
Propos recueillis par Ingrid Colleau.
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !