L’intelligence artificielle pour anticiper le pire
Parce que les évènements catastrophiques sont rares par nature, il est difficile de s’y préparer. En offrant des moyens de modélisation et de simulation performants, l’intelligence artificielle est donc un bon outil pour imaginer, tester et optimiser la réponse à ces événements. À IMT Mines Alès, Satya Lancel et Cyril Orengo effectuent tous deux des recherches sur les évacuations d’urgence, dans des cas comme une rupture de barrage ou une attaque terroriste dans un supermarché.
« Les supermarchés sont des environnements très complexes dans lesquels les individus sont saturés d’informations », annonce Satya Lancel, doctorante en sciences des risques à l’Université Montpellier III et à IMT Mines Alès. Débutée il y a plus deux ans, sa thèse porte sur l’affordance, un concept de psychologie qui postule qu’un objet ou un élément de l’environnement a la capacité de suggérer sa propre utilisation. Avec ce travail, elle souhaite étudier le lien entre les processus cognitifs impliqués dans la prise de décision et la fonctionnalité des objets dans leur environnement.
Dans sa thèse, Satya Lancel s’intéresse spécifiquement à l’affordance dans une situation d’attaque à main armée au sein d’un supermarché. Elle va par exemple étudier comment optimiser des indications pour inciter les clients à se diriger vers les sorties d’évacuation d’urgence. « Les résultats découlant de mes travaux pourront servir de base pour des recherches futures et seront utilisables par les enseignes de supermarché pour améliorer la signalétique ou la formation des personnels afin d’améliorer les procédures d’évacuation », explique la doctorante.
Pour réaliser ses expériences, Satya Lancel et son équipe ont obtenu un financement de l’enseigne U. Cet accord leur a permis d’étudier, dans plusieurs magasins U, les facteurs situationnels et cognitifs impliqués dans la prise de décision des clients. « Un des travaux de la première partie de mon plan de recherche consistait à observer le comportement des clients en présence ou en absence de feux clignotants au niveau des issues de secours, déclare-t-elle. Nous avons remarqué qu’en présence d’une signalétique active, les clients ont davantage tendance à choisir de se diriger vers les sorties de secours qu’en leur absence », souligne la scientifique. Ce résultat suggère que la signalétique aurait une importance certaine pour guider la prise de décision des personnes, même si celles-ci ne connaissent pas à l’avance la procédure d’évacuation.
« Étant donné qu’il est proscrit de réaliser des simulations d’attaques armées avec des personnes réelles, nous nous sommes orientés vers une simulation informatique multi-agents », explique Satya Lancel. La particularité de ce type de simulation est que chaque agent qui la compose est conceptualisé comme une entité autonome avec des caractéristiques et un modèle comportemental propres. Dans ces simulations, les agents vont interagir et s’influencer entre eux via leur comportement. « Ces modèles sont aujourd’hui de plus en plus utilisés dans les sciences des risques, en raison du fait qu’ils s’avèrent très utiles pour analyser les comportements de groupes », déclare-t-elle.
Pour développer cette simulation, Satya Lancel a fait appel à Vincent Chapurlat, chercheur en modélisation informatique des systèmes à IMT Mines Alès. « Le modèle que nous avons conçu est une représentation tridimensionnelle du supermarché sur lequel nous travaillons », indique-t-elle. Dans cette simulation, les rayons sont représentés par des parallélépipèdes tandis que les clients et le personnel sont représentés par des agents définis par des points. En observant comment les agents se rassemblent et comment les amas qu’ils forment se déplacent, interagissent et s’auto-organisent, il est possible de déterminer les comportements de groupe que l’on retrouve le plus souvent en cas d’attaque à main armée quelles que soient les caractéristiques des individus.
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Représenter la complexité du réel
A l’extérieur des supermarchés, Cyril Orengo, doctorant en gestion de crise au laboratoire des sciences des risques à IMT Mines Alès, étudie les évacuations de population en situation de rupture du barrage. Le cas d’application sélectionné par Cyril Orengo est le barrage de Saint-Cécile-d’Andorge, près de la ville d’Alès. À partir d’une modélisation informatique de l’aire urbaine alésienne et des individus, il compte comparer les temps d’évacuation pour différents scénarios et effectuer la cartographie des différents axes de la ville susceptibles d’être bloqués. « L’un des buts de ce travail est de constituer un socle de connaissances mobilisables ultérieurement par des chercheurs travaillant sur les évacuations préventives », indique le doctorant.
Si lui aussi a choisi d’utiliser un système multi-agents pour simuler des évacuations, c’est parce que cette méthode permet d’incorporer des paramètres individuels à des agents afin de produire des situations qui tendent à se rapprocher d’une réalité crédible. « Parmi les variables sélectionnées dans mon modèle, figure une partie des caractéristiques socio-économiques de la population simulée, précise-t-il. Dans une situation réelle, une personne âgée pourrait avoir besoin de plus de temps pour se déplacer qu’une jeune personne : c’est ce que permet de reproduire le système multi-agents », explique le doctorant.
Pour générer une simulation crédible, « il faut d’abord comprendre le processus d’évacuation préventive, pointe Cyril Orengo, précisant la nécessité d’identifier les acteurs en jeu comme les citoyens et les collectivités, ainsi que les infrastructures impliquées telles que les bâtiments et les voies de circulation afin de produire un modèle qui servira de base au développement de la simulation informatique ». Dans ce cadre, le doctorant a notamment étudié des ensembles de données INSEE pour tenter de reproduire les caractéristiques socio-économiques de la population alésienne. Pour réaliser sa simulation, Cyril Orengo utilise une plateforme spécialisée dans la construction de simulation à base d’agents. « Cette plateforme permet à des chercheurs sans formation en programmation, de réaliser des modèles en contrôlant divers paramètres qu’ils définissent eux-mêmes », indique le doctorant.
L’une des limites de ce type de simulation est la puissance de calcul qui ne permet pas de prendre en compte un nombre de variables trop grand. Selon Cyril Orengo, il reste de nombreuses améliorations à apporter à son modèle. Parmi elles figurent « l’intégration des véhicules individuels, les transports en commun, les processus décisionnels à propos de la gestion de la crise ou une reproduction plus fine des comportements humains », précise-t-il. Pour Satya Lancel, la réalité virtuelle serait un apport important qui pourrait augmenter l’immersion du participant à l’étude. « En plaçant un participant au sein d’une foule virtuelle, le chercheur pourrait observer comment celui-ci réagit au contact des agents et de son environnement, ce qui lui permettrait d’affiner ses études », conclut-elle.
Rémy Fauvel
intelligence artificielle pour anticiper le pire, d’accord, mais attention aussi à l’inverse ! : https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/logiciels-applications-de-securite/la-prevention-des-risques-professionnels-de-lintelligence-artificielle