Au début du mois de septembre, le gouvernement français a annoncé un plan de soutien de 7 milliards d’euros, à horizon 2030, pour la filière hydrogène. Avec cet investissement, l’Hexagone rejoint la liste de plus en plus longue des nations misant sur cette stratégie : Japon, Corée du Sud, Pays-Bas…
Néanmoins, l’exploitation de ce composant induit des interrogations majeures, d’un bout à l’autre de la chaîne. Les chercheurs savent depuis longtemps que l’hydrogène peut endommager certains matériaux, à commencer par les métaux. « Il y a plus d’un siècle déjà, les scientifiques ont remarqué qu’en plongeant du métal dans de l’acide chlorhydrique [du chlore et de l’hydrogène], on observait non seulement un effet de corrosion, mais également une fragilisation du matériau, relate Frédéric Christien, chercheur à Mines Saint-Étienne1 . Le sujet a alors donné lieu à de nombreuses études concernant l’impact de l’hydrogène sur les matériaux. Aujourd’hui, il existe d’ailleurs des normes encadrant l’utilisation de matériaux métalliques en présence d’hydrogène. Cependant, des questions reviennent de façon récurrente, car les matériaux évoluent régulièrement ».
Valoriser l’électricité produite mais non consommée
Depuis environ trois ans, les travaux menés par le chercheur de Mines Saint-Étienne s’inscrivent dans le contexte du « power-to-gas ». L’objectif de cette technologie : valoriser l’électricité surabondante plutôt que de la perdre, en la transformant en hydrogène gazeux, via le procédé d’électrolyse de l’eau.
« Le power-to-gas consiste alors à injecter l’hydrogène ainsi produit dans le réseau de gaz naturel, en faible proportion, afin de l’utiliser comme combustible », expose Frédéric Christien. Pour le particulier, cela ne change rien : il peut continuer à utiliser ses équipements au gaz comme d’habitude. En revanche, pour le transporteur, une telle modification n’est pas sans incidence. D’où la question posée aux spécialistes de la durabilité des matériaux : quel effet peut avoir l’hydrogène sur l’acier constituant la majeure partie du réseau de transport de gaz naturel ?
Déformation localisée
Les chercheurs de Mines Saint-Étienne, en collaboration avec le CEA de Grenoble, travaillent depuis trois ans sur un échantillon de tuyau afin d’étudier l’action du gaz sur le matériau. Il s’agit en l’occurrence d’un acier que l’on retrouve dans le réseau de gaz naturel.
Dans ce cas, les chercheurs ont mis en évidence un mécanisme d’endommagement, par « localisation de la déformation plastique ». Concrètement, ils ont étiré leur échantillon, de sorte à reproduire les sollicitations mécaniques survenant sur le terrain, dues notamment aux variations de pression et de température. D’ordinaire, une telle opération conduit à allonger le matériau de façon diffuse et homogène, jusqu’à un certain point. Au contraire, ici, sous l’effet de l’hydrogène, toute la déformation se concentre à un endroit, fragilisant de plus en plus la matière sur une même zone, jusqu’à la déchirure. En temps normal, une couche d’oxyde native du matériau empêche l’hydrogène de pénétrer à l’intérieur de la structure. Mais sous l’action de la sollicitation mécanique, le gaz peut alors profiter de la faille pour venir endommager l’édifice localement.
Il faut toutefois garder à l’esprit que ces résultats correspondent à des essais en laboratoire. « Nous sommes assez loin de la situation industrielle, qui demeure complexe, tempère Frédéric Christien. Il ne s’agit bien sûr pas de la même échelle. De plus, selon les endroits, les aciers ne sont pas tous les mêmes, certains ont des revêtements internes, d’autres non, idem pour les traitements thermiques… » Des études complémentaires seront donc nécessaires pour connaître plus précisément l’action de l’hydrogène sur l’ensemble du réseau de transport de gaz naturel.
Le casse-tête de la production
Les travaux académiques contribuent donc à une meilleure compréhension des effets de l’hydrogène sur les métaux dans certaines conditions. De là à pouvoir créer un matériau totalement insensible à ces actions ? « Il paraît aujourd’hui irréaliste de pouvoir trouver un tel matériau de rêve, affirme le chercheur de Mines Saint-Étienne. En revanche, en jouant sur les microstructures ou sur les traitements de surface, nous pouvons imaginer augmenter sensiblement la durabilité des métaux employés ».
Si la filière hydrogène a de grandes ambitions, elle doit donc d’abord répondre à quelques problématiques. La sécurité du transport et du stockage en est une, au même titre que les questions en cours sur l’optimisation des processus de production pour les rendre compétitifs. Sans un réseau robuste et sûr, il sera difficile pour l’hydrogène de s’imposer comme le mode énergétique du futur qu’il ambitionne d’être.
1 Frédéric Christien est chercheur au laboratoire Georges Friedel, UMR CNRS/Mines Saint-Étienne