L’humain augmenté est un thème qui a toujours fasciné les auteurs de science-fiction. Cette théorie s’intéresse à la façon dont les progrès technologiques sont susceptibles d’améliorer les capacités humaines. C’est une thématique récurrente dans la série britannique Black Mirror, ou encore dans L’Homme qui valait trois milliards, pour ne citer que des œuvres télévisuelles. Mais au-delà de la dystopie ou de la fiction d’aventure, la question intéresse également la science. Les récents résultats obtenus par les équipes d’IMT Atlantique et de Mines Saint-Étienne en sont un des derniers exemples en date.
Jean-Louis de Bougrenet est responsable du département Optique d’IMT Atlantique. Thierry Djenizian dirige le département d’Électronique flexible du centre Microélectronique de Provence de Mines Saint-Étienne. Ensemble, ils ont mis au point une lentille de contact autonome intégrant une micro-batterie flexible : la cyborg lens. Une association qui a constitué une première mondiale.
Aux origines de la cyborg lens
Dans la branche médicale de son département, Jean-Louis de Bougrenet a été amené à travailler sur des dispositifs pour améliorer la vision. Dans ce cadre, le chercheur et son équipe ont utilisé des oculomètres : des instruments permettant d’analyser l’attitude des yeux, pour mesurer la fatigue ou le stress d’un individu, mais également pour connaître la direction du regard. Ces appareils sont utiles pour des technologies telles que les casques de réalité augmentée qui peuvent, par exemple, utiliser la direction du regard ou le clignement de paupières comme un actionneur de commandes.
Mais pour être réellement efficace dans ce contexte, l’oculomètre doit répondre à deux contraintes. Premièrement, il doit être d’une grande précision. Deuxièmement, il doit être le plus léger possible, pour ne pas surencombrer l’utilisateur avec un équipement en plus du casque. Une évidence s’est alors imposée : il fallait placer l’oculomètre directement sur l’œil. « La lentille de contact est apparue très vite comme une plateforme de l’homme augmenté, puisqu’elle permettait à l’humain de porter directement sur lui un dispositif intelligent », explique le chercheur en optique. Un système rendu possible par les progrès en nanotechnologie.
De son côté, Thierry Djenizian travaillait depuis environ quatre ans sur l’intégration de composants électroniques sur des supports souples et étirables. Les recherches ont notamment abouti au dépôt d’un brevet concernant une micro-batterie flexible. Un dispositif qui n’était toutefois pas particulièrement destiné à son utilisation dans une lentille de contact.
C’est finalement Jean-Louis de Bougrenet, intéressé par les travaux concernant l’électronique flexible, qui a pris contact avec son collègue de Mines Saint-Étienne. En se rendant au centre Microélectronique de Provence à Gardanne (Bouches-du-Rhône), il a pu apprécier les avancées sur les micro-batteries souples. L’idée a alors germé d’intégrer directement ce petit dispositif au sein des lentilles de contact cyborg développées à IMT Atlantique : une véritable innovation, puisqu’un brevet commun a été déposé.
Une micro-batterie flexible directement intégrée dans une lentille de contact
Car ce qui constitue une première mondiale, c’est bien l’ajout d’une source de stockage d’énergie directement dans un dispositif oculaire de si petite taille. « Dès lors que des fonctions sont assurées en local par un système autonome, ce dernier doit être doté d’une autonomie énergétique », détaille Jean-Louis de Bougrenet. Jusqu’à présent, les lentilles de contact « intelligentes » étaient alimentées par une source d’énergie externe : par exemple, un système à induction magnétique, à l’aide d’une bobine présente dans le dispositif. Mais avec un tel procédé, si la source d’énergie est coupée, l’appareil ne fonctionne plus, ce qui n’est désormais plus le cas avec l’innovation développée par les deux scientifiques. La lentille est ainsi alimentée par sa micro-batterie, qui peut également être couplée à une source externe pour son rechargement ou en cas de besoin supérieur en énergie.
Pour Thierry Djenizian, l’idée était d’exploiter les résultats qu’il avait déjà obtenus, en les appliquant au contexte d’un dispositif oculaire, avec les contraintes de dimensionnement et de performances associées. Il s’est donc appuyé sur ses précédents travaux, reposant principalement sur une innovation de design.
« Habituellement, les batteries flexibles sont constituées d’électrodes interconnectées par des serpentins étirables qui collectent simplement le courant. Notre innovation consiste à exploiter la totalité de la surface occupée par les serpentins en réalisant des microélectrodes directement sur ces interconnexions », résume le chercheur de Mines Saint-Étienne. En pratique, les électrodes fabriquées à partir de plusieurs matériaux composites sont positionnées sur une feuille d’aluminium et façonnées sous forme de « micropiliers » verticaux par ablation laser en respectant un espacement régulier. La même technique est utilisée pour fabriquer les serpentins supportant les microélectrodes, conférant ainsi à la batterie une grande flexibilité.