À quoi ressemble le matériau que vous avez mis au point ?
Eric Guibal : Nous le voyons comme un matériau dont les caractéristiques rappellent celles du polystyrène. Il s’agit d’une mousse de faible densité dont l’architecture principale est constituée de biopolymères. Ce matériau, baptisé ALGIMEL, est principalement composé d’alginate, un polymère naturellement présent dans la paroi cellulaire des algues brunes. Le savoir-faire de l’équipe porte essentiellement sur la synthèse et la mise en forme de ces mousses.
Pourquoi ce choix de biopolymère ?
Thierry Vincent : Dès le début, notre objectif était de développer un matériau le plus écologique possible. C’est une volonté qui va bien au-delà du choix du polymère puisque nous n’utilisons, lors de la synthèse du matériau, aucun produit toxique. Par exemple, lors de la mise en œuvre, aucun solvant chimique n’est utilisé. Nous ne manipulons pas de produits dangereux et nocifs pour les opérateurs. Les additifs auxquels nous avons recours pour améliorer les propriétés du matériau sont eux aussi d’origine naturelle. Nos procédés de fabrication sont peu énergivores et le séchage des mousses polymères est réalisé à 50 °C maximum. Quelques produits synthétiques sont encore utilisés dans cette fabrication mais ils représentent moins de 1% de l’ensemble du matériau, et nous travaillons sur leur substitution par des produits biosourcés.
Quelle a été votre motivation pour mettre au point ces mousses ?
EG : Notre ambition était de proposer un matériau isolant… une alternative au polystyrène. Il faut plusieurs centaines d’années pour le dégrader. Il pollue les eaux et dégage des produits toxiques lors de sa combustion. Notre matériau en mousse biopolymère, tout en ayant des propriétés d’isolation thermique comparables à celles du polystyrène, s’en distingue par de remarquables propriétés de résistance au feu. L’ALGIMEL est un produit à durabilité contrôlée. Dans ses conditions d’usage, ce matériau est stable ; au contraire, en fin de vie, son caractère biodégradable autorise son élimination par compostage ménager.
Quelles seraient les utilisations d’un tel matériau ?
TV : Ce matériau léger, très versatile nous permet de décliner de nombreuses propriétés d’usage. Au-delà de ses propriétés d’isolation thermique et de retard de flamme, les propriétés de surface peuvent être modifiées par application de biopolymères afin de rendre la mousse hydrophobe pour des utilisations en atmosphère humide. Pour augmenter sa résistance mécanique, il est très aisé d’incorporer des fibres végétales ou des charges minérales. Nous pouvons également ajouter des pigments ou des colorants — dans la masse comme en surface — pour jouer avec les propriétés d’aspect. Son association avec d’autres matériaux comme le bois, les tissus, le cuir, etc. sous forme de composites ou de « sandwich », permet de nombreuses réalisations, pour la décoration, le packaging, la bagagerie, l’accastillage, la mode et le luxe… Donc des applications très nombreuses, il suffit d’imaginer.
Comment vos recherches vous ont elles amenés vers ce matériau ?
TV : Nous travaillons depuis une trentaine d’années sur la mise en forme de biopolymères. Nous avons notamment beaucoup d’expérience sur l’alginate, ainsi que d’autres biopolymères comme la chitine et le chitosane, obtenus à partir de carapaces de crustacés. Nous avons toujours orienté nos recherches vers l’élaboration de matériaux plus respectueux de l’environnement. ALGIMEL est le fruit de toutes ces compétences acquises au fil de nos recherches.
Ce matériau sortira-t-il bientôt de vos laboratoires ?
EG : Nous travaillons actuellement avec des organismes spécialisés dans le transfert technologique, dont la SATT AxLR Occitanie Est. Nous avons également bénéficié d’un contrat avec l’Institut Carnot M.I.N.E.S et la filière Carnot Carats. Aujourd’hui nous sommes en phase de montée en gamme et de pré-industrialisation du process. En synergie avec différents partenaires nous abordons l’amélioration du design de nos mousses pour des applications fléchées de type décoration, mode et luxe. Nous savons que le développement d’un tel matériau va dans le sens de nombreuses annonces faites de la part des pouvoirs publics et des industriels. Le dernier exemple en date est la mission confiée par Emmanuel Macron à François-Henri Pinault pour rendre le secteur de la mode et du luxe plus durable. Tout ceci nous conforte dans l’idée que ce produit a probablement un bel avenir devant lui.