CiViQ : vers un déploiement des communications quantiques sur nos réseaux
Le projet européen H2020 CiViQ a été lancé en octobre dernier pour une durée de trois ans. Il vise à intégrer les technologies de communications quantiques dans les réseaux de télécommunications classiques. Ce défi scientifique, qui apportera notamment plus de sécurité aux communications, implique la double expertise de Télécom ParisTech en cryptographie quantique et en télécommunications optiques. Romain Alléaume, chercheur en information quantique, est membre de CiViQ. Il détaille pour nous les enjeux et le contexte de ce projet.
Quel est l’objectif général du projet CiViQ ?
Romain Alléaume : L’objectif général du projet est de rendre les technologies de communications quantiques — et en particulier les communications quantiques cohérentes — beaucoup plus adaptées au déploiement sur un réseau de télécommunications sur fibre optique. Pour cela, nous voulons améliorer l’intégration de ces technologies de communications quantiques, leur miniaturisation, et leur interopérabilité.
Pourquoi vouloir intégrer les communications quantiques dans les réseaux télécoms ?
RA : Les communications quantiques sont particulièrement résistantes à l’interception. En effet, elles reposent typiquement sur l’échange d’impulsions lumineuses comportant très peu de photons. À cette échelle minuscule, toute tentative de les espionner — donc de les mesurer — va se heurter aux principes fondamentaux de la physique quantique qui garantissent que cette mesure les perturbera suffisamment pour que l’espion soit détecté.
En s’inspirant de cette idée, il est possible de mettre au point des protocoles dits de « distribution quantique de clé » [Quantum Key Distribution, QKD en anglais]. Ils permettent d’échanger une clé secrète de chiffrement à l’aide de communications quantiques. Contrairement à la cryptographie mathématique, un échange de clé par QKD ne peut pas être enregistré pour être cassé plus tard. Il offre ainsi une sécurité dite « everlasting » : c’est-à-dire qui durera quelle que soit la puissance de calcul de l’attaquant potentiel, aussi bien aujourd’hui que dans le futur.
Que représente ce projet pour le déploiement des communications quantiques en Europe ?
RA : La communauté européenne a lancé un grand programme consacré aux technologies quantiques, sur 10 ans, appelé Quantum Technology Flagship. L’objectif est d’accélérer le développement technologique et le transfert de la recherche vers l’innovation technologique sur ces questions. Le projet CiViQ est l’un des projets sélectionnés pour cette première phase du programme. Il intègre pour la première fois dans un projet de communications quantiques plusieurs opérateurs de télécommunication : Orange, Deustche Telekom, et Telefonica. C’est donc une action ample de développement technologique des communications quantiques cohérentes, allant de la co-intégration avec les communications classiques jusqu’à l’intégration photonique. CiViQ doit permettre le déploiement de la cryptographie quantique sur une échelle très large, mais aussi tracer les perspectives vers un usage ubiquitaire de communications renforçant la sécurité des infrastructures critiques en s’appuyant sur la couche physique des réseaux.
Quels sont les défis technologiques et scientifiques qui se présentent à vous ?
RA : L’un des gros enjeux auquel nous devons répondre est la convergence entre les communications optiques classiques et quantiques. Il faut notamment travailler sur la problématique de leur déploiement conjoint, sur la même fibre optique, et avec des équipements similaires, sinon identiques. Pour cela nous faisons appel, à l’échelle de Télécom ParisTech, à plusieurs expertises. Je travaille avec Cédric Ware et Yves Jaouen, spécialistes des télécommunications optiques. Cette collaboration permet de combiner des expertises en cryptographie quantique et en réseaux optiques. Nous nous appuyons sur une plateforme expérimentale à l’état de l’art pour étudier la convergence classique-quantique en communications optiques.
D’une manière plus large, comment le projet fait-il écho aux autres actions européennes que vous menez sur les communications quantiques ?
RA : Dans le cadre du Quantum Technology Flagship, en plus du projet CiViQ, nous participons au projet OpenQKD. Il consiste en des déploiements pilotes de la QKD, avec comme perspective, d’ici 10 à 15 ans, de voir l’Europe se doter d’une infrastructure de communications quantiques. Je participe également à l’activité de standardisation en cryptographie quantique, au sein de l’ETSI QKD-Industry Standardization Group. J’y travaille notamment sur les questions d’évaluation et de certification cryptographique de la technologie QKD.
Depuis combien de temps êtes-vous impliqué dans le développement de ces technologies ?
RA : Télécom ParisTech est engagée depuis 15 ans dans la recherche européenne en communications et cryptographie quantique, à travers notamment la mise en œuvre du premier réseau européen dans le projet SECOQC (2004-2018). Nous avions également participé au projet FP7 Q-CERT, sur la sécurité des implémentations en cryptographie quantique. Plus récemment, l’école est partenaire du projet H2020 Q-CALL, sur le développement industriel des communications quantiques, ainsi que d’un possible futur « Internet quantique » reposant sur des communications quantiques de bout en bout, rendues possibles par l’augmentation de la fiabilité des mémoires quantiques.
En parallèle, mes collègues spécialistes des télécommunications optiques développent une expertise de niveau international sur les communications optiques cohérentes depuis une dizaine d’années. C’est avec ce type de communications que CiViQ vise à intégrer les communications quantiques, misant sur le fait que les deux techniques reposent sur des techniques communes de traitement du signal.
Quelles seront les retombées du projet CiViQ ?
RA : Nous prévoyons des contributions clés quant à la démonstration expérimentale, en laboratoire, de convergence des communications quantiques et classiques avec un niveau d’intégration encore jamais atteint. En outre, une collaboration avec Orange est prévue sur les questions de multiplexage en longueur d’onde et leur démonstration entre le futur site de Télécom ParisTech à Palaiseau, et Orange Labs à Châtillon.
Enfin, nous prévoyons des contributions de nature théoriques, sur de nouveaux protocoles de cryptographie quantique, sur les techniques de preuve de sécurité, et la certification de la technologie QKD, avec un impact sur la standardisation.
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